CREDIT COMMUNAL de BELGIQUE (Publié en 1988).
HERSTAL CENTRE S.N.C. DENGIS-VANDORMAEL
Rue Elisa Dumonceau, 22 4400 HERSTAL
PREFACE
J'avoue que la perspective d'écrire une préface
m'est apparue d'abord comme une tâche délicate ! Lire avec attention les épreuves
d'un ouvrage dont je ne savais pas grand-chose, essayer d'en dire du bien,
alors que personne ne pouvait m'assurer que "DIS PEPERE, RACONTE..."
trouverait le chemin de mon coeur...
D'ailleurs, n'est-ce pas une sorte de
miracle quand un livre inconnu ou célèbre, touche le lecteur dans ses affinités
au point d'éveiller la complicité indispensable que réclame une lecture
heureuse ? Le miracle a eu lieu !
Malgré quelques imperfections, répétitions
ou rocailles de langage, le récit palpite comme un être vivant, il respire, il
frémit. Ecrivain prolétarien, âgé aujourd'hui de quatre-vingt-un ans, Alphonse
FREDERIX a consacré beaucoup de temps, des années peut-être, à cette plongée
dans le passé que représente "DIS PEPERE, RACONTE...". Le vieux
Herstal et, avant tout, La Préalle remontent à la surface du temps. Certains
retraités de notre commune reverront dans les pages d'Alphonse FREDERIX la
boutique qu'on désignait jadis par une appellation très simple, "CHEZ JACOB" .
C'était rue Haute Préalle, à côté du
commissariat qui existait alors, à quelques mètres du passage à niveau et du
bureau de poste. Les JACOB vendaient, entre autre, du rêve pour les enfants,
trains actionnés par un ressort, cerceaux, poupées, cerfs-volants. Ah ! les
cerfs-volants ! Garçons et filles couraient jusqu'aux prés et même jusqu'aux
champs qui s'étendaient au pied du terril de la PETITE BACNURE. Là, ils éprouvaient
la joie incomparable de donner aux oiseaux de papier la liberté du ciel, la
seule qui fût digne des cerfs-volants de chez JACOB.
Je n'ai pas connu la boutique, cela se
passait avant ma naissance. Mais j'ai vu dans l'oeuvre d'Alphonse FREDERIX,
bien des endroits qui me sont familiers, le pré Wigy, la Fabrique Nationale,
l'emplacement des houillères, la rue Marexhe dont le nom signifie
"marais", le bois de Bernalmont qui m'a permis de compléter un
herbier quand j'étais normalien, sans oublier les mystères de l'île Monsin dans
les premières décennies du siècle.
Peu à peu, j'ai découvert l'existence de
l'auteur comme on découvre une rivière tantôt paisible, tantôt agitée. La rivière,
je veux dire la vie d'Alphonse FREDERIX, coule entre les rives où l'on reconnaît
tel souvenir, tel visage, telle maison. C'est Herstal, c'est La Préalle qui
occupent les rives de la mémoire et de la nostalgie.
Récit sans prétention littéraire, DIS
PEPERE, RACONTE... touchera ceux qui ont assez d'imagination pour deviner que
Herstal et La Préalle ont vécu, souffert, aimé, épousant l'évolution de l'époque,
comme Alphonse FREDERIX lui-même.
Jean NAMOTTE, ancien Bourgmestre de Herstal.
AVANT-PROPOS
En cette année 1979, nous sommes en juin.
La nature s'épanouit: c'est le printemps et le ciel est tout bleu! Il y a des
fleurs partout qui s'ouvrent à la brise très légère qui les caresse et emporte
leur parfum. Les oiseaux ivres de soleil décrivent leurs farandoles si
gracieuses dans l'azur du ciel. Dans les jardins tout le monde travaille de bon
cœur. Au loin, la vallée mosane fait entendre la continuelle rumeur de son
activité toujours en éveil.
Eglise de La Préalle. |
Avec nos grands enfants, nous parcourons
les sentiers du jardin sous leurs regards admirateurs. On évalue déjà ce que
seront les futures récoltes que nous aurons. Que c'est beau ces baies naissantes
sur les groseilliers, les cassis, les framboisiers, le grand mûrier ainsi que
les toutes petites pommes et prunes qu'on devine déjà.
Rentrons à la maison, boire une tasse de
café et bavarder ensemble. Il fait bon, la porte est grande ouverte et bientôt
une jolie petite frimousse apparaît. C'est Chantal, une de nos arrière-petites-filles
qui vient se blottir contre moi et s'assied sur mes genoux. Avec un sourire à
vous damner un saint, elle me prend une main, me fait baisser la tête et, la
bouche en cœur, dit d'une voix très, très douce "dis, Grand-Père, raconte
".
Alors, il ne me reste plus qu'à m'exécuter
car les autres se sont également groupés autour de moi. Bien sûr, il y a les histoires
pour enfants dont quelques-unes me sont restées en mémoire, mais ce qui
rencontre les faveurs de mes chérubins, c'est l'évocation d'un temps qu'ils
n'ont pas connu. Hé oui, ils adorent que je leur parle de notre enfance, de
notre jeunesse...
Et, de mon côté, j'avoue que j'éprouve du
plaisir à leur parler de cette époque révolue. Ceci afin que, plus tard, ils
soient mieux à même d'apprécier le confort dont leur vie présente est saturée.
J'aime les enfants, tous les enfants, voilà
le motif qui m'a incité à confier à ce modeste ouvrage le résumé des faits, des
circonstances, des découvertes qui ont parsemé notre existence de septuagénaire.
Tout cela est bel et bien bon, allez-vous
penser, mais on aimerait savoir où se trouve l'endroit qui servit de cadre au
récit qui va suivre.
Il s'agit tout simplement du hameau de La
Préalle, populeux quartier de Herstal. Vous ne connaissez pas? Alors, admettons
que vous veniez de Liège par bus.
Sitôt arrivé que voyez-vous? D'abord, une
colline parallèle au chemin de fer. Tout le sommet est pourvu de nombreuses
habitations et, derrière ces maisons, s'étend un vaste plateau sur lequel se
trouve le cimetière de Rhées où reposent nos chers disparus. De là-haut on découvre
un vaste panorama, Vottem, Thier-à-Liège et, à nos pieds, La Préalle que nous procurerons
brièvement.
La Préalle doit son nom aux prés tapissant
la vallée du Bériwa, flanqué du Rida dont les eaux fertilisaient cette terre où
Charlemagne et ses fils venaient chasser le gibier nombreux au temps jadis.
C'est la Ferme Cajot qui leur servait de lieu de repos. De très anciennes
maisons témoignent éloquemment de l'attrait de cette belle petite région.
Ferme Cajot |
Certains noms de rues se passent de commentaires,
rues Verte,
Charlemagne,
Sur-les-Thiers,
par exemple. D'autres méritent une explication comme la rue de la
Baume ainsi nommée parce que voilà plusieurs siècles, les Préalliens
y avaient tracé un sentier afin d'aller creuser des souterrains (ou baumes)
dans l'espoir d'y découvrir du charbon. Au-dessus de la colline, on peut encore
voir de nos jours quelques monticules contenant les restes des déchets extraits
de ces " baumes".
La rue du Moulin
Maisse porte ce nom en mémoire du moulin qui existait à l'entrée
d'une cour en contre-bas, juste à l'entrée de ladite rue. Le bâtiment est
toujours là, habité, et porte visiblement les traces des ouvertures par où
passaient les sacs. Ce moulin était mis en mouvement par le ruisseau Bériwa.
Face à cet endroit, des prairies en pente
et tout en haut, le Bois de Bernalmont avec son château.
Pour les besoins spirituels, outre les
sorcières et autres superstitions, il fut procédé à la construction du Monastère
du Bouxthay doté d'une chapelle.
A noter que ce qui existe encore est
toujours habité. La chapelle, hélas, n'a plus que ses quatre murs envahis par
la végétation. De notre jardin, on distingue fort bien ce lieu entouré de
champs et arboré, ce qui ne manque pas de charme.
Chapelle des Monts. |
Grâce à la découverte d'un excellent
anthracite, un magnifique charbonnage, la Petite Bacnure, a assuré la prospérité
de tout le hameau pendant de longues années.
Toute La Préalle vibrait d'une intense
activité. Durant son règne, cette mine avait, par ricochet, donné naissance à
des commerces et artisanats de toutes sortes, cafés, jeux de quilles, chants de
coqs, cinéma, salles de danse, médecins, pharmaciens, magasins divers et j'en
oublie certainement...
De tout cela que reste-t-il? La plus grande
partie de la houillère a été démolie. Seul l'immense terril monte toujours la
garde comme un reproche, comme un mausolée, comme un douloureux souvenir.
N'allez pas en conclure que notre petit
pays soit devenu triste pour cela. Que non.
Il y a encore quelques commerces et, pour
le reste, les moyens de locomotion actuels sont une aide utile.
La localité est devenue résidentielle et la
vie continue. Certes, nous n'avons pas le moins du monde la prétention de
vouloir mettre notre patelin sur un piédestal, loin de nous une telle pensée,
mais tel qu'il est nous l'aimons et, après avoir lu les pages qui vont suivre
autant avec son cœur qu'avec ses yeux, le lecteur saura encore mieux comprendre
ce qu'est l'amour du pays natal.
Carte industrielle du bassin de Liege (Felix Jottrand, ing. des mines) Gallica/Bnf |
I. PREMIERS PAS
Donc, ce jour-là, mon Petit-Fils s'arrête
de jouer à la balançoire, tandis que, près de lui, je m'occupais du jardin. Il
me dit ceci.
-"Pèpère, le Maître à l'école nous
parlait de l'histoire de la Belgique en nous signalant que jadis, il y avait
beaucoup plus de pauvres que maintenant. Qu'est-ce que tu penses de ça toi
?"
-"Ton instituteur n'a dit que la vérité.
Toutefois, si on ne connaissait pas le confort ni les gaspillages cela ne veut
pas dire que l'on se sentait malheureux, non, on se contentait de ce qu'on
avait, à part, bien sûr, des cas vraiment tristes comme à présent, du
reste."
-"Ecoute, Pèpère, je ne peux pas
croire que la pauvreté et la bonne humeur puissent aller ensemble."
"Pourtant, mi p'ti fi, il en est bien
comme je te dis, mais afin que tu comprennes, il faudrait que je raconte ma
vie, et, crois-moi quand j'affirme que les gens de ma génération auront vécu
une période réellement fantastique."
-"Comment ça ? Vas-y Pépère, nous t'écoutons
!"
-"Eh bien voilà, je suis né le
vingt-huit février 1907. Il paraît que dès mon plus jeune âge, j'ai toujours
aimé ce qui est bon et beau: ma famille, les fleurs, les oiseaux, le ciel bleu,
la musique, la belle nature... A remarquer qu'en septante-deux années, je n'ai
pas du tout changé. J'ai une profonde horreur de ce qui est laid, incorrect ou
injuste !"
Quelques petites maisons entourent une
cour, au bout de la rue Sur-les Thiers, c'est dans l'une d'elles que j'ai vu le
jour.
Mes Grands-Parents maternels habitaient
dans la même cour et lorsque j'ai pu faire mes premiers pas, ce fut tout
naturellement que je me dirigeai vers leur logis, sous le regard émerveillé de
Maman et de Grand-Mère Catherine.
Le Bon Dieu me fit bientôt cadeau d'une
petite sœur, Huberte, dont je n'ai aucun souvenir car j'étais encore tout
jeunet quand elle est allée rejoindre les anges, à quatorze mois, emportée par
une de ces maladies infantiles assez fréquentes à cette époque...
Je suis donc resté fils unique et je dois
dire que toute ma famille m'a dorloté, ce dont je n'ai pas abusé parce que l'on
m'a élevé en m'apprenant à être raisonnable !
II. ON DEMENAGE
Ancienne gare de Herstal |
1 Franc belge |
En cas de maladie, la Sécurité Sociale
n'existait pas. Alors, vous vous rendez compte... Heureusement Papa était
robuste (il a vécu 85 années), toujours en forme. Par hasard, Maman déniche une
maison à louer, rue Verte,
également dans une cour. Le trajet journalier de Papa devenait plus aisé, n'ayant
plus besoin de grimper Sur-les-Thiers chaque jour !
C'est à l'aide d'une charrette à bras qu'on
a fait la navette et la sueur a coulé à flots ce jour-là ! Mais le sourire n'a
pas cessé tout au long du jour par les plaisanteries échangées entre mes oncles
et tantes et, le soir, le ménage était en ordre et tout le monde fourbu. On a
bien dormi cette nuit là, oh oui !
Je dois à la vérité de reconnaître que les
gens de la cour, nos futurs voisins, ont été d'une extraordinaire serviabilité
envers nous et les enfants m'ont pris par la main et fait partager leurs jeux
pendant que les parents s'affairaient à l'aménagement.
Cette maison est toujours là, bien propre,
et la rue Verte est parcourue par les véhicules guère aussi nombreux qu'à l'époque
dont je parle car elle était la voie d'acheminement principale qui relie
Herstal et ses industries et ses houillères, au nord de la Province de Liège et
au Limbourg.
III. LES JOUETS
-"A propos, Grand-Père, à quoi
jouaient les enfants ?"
-"Excellente question, fiston. Mais
laisse-moi me rappeler..."
Avant tout, je dois te dire qu'on n'était
pas blasé comme à présent. Dame, on n'avait pas le crâne bourré de publicité, en
ces temps-là. On se débrouillait avec trois fois rien. Les jouets de luxe,
nous, les gosses d'ouvriers, on n'y pensait même pas, à quoi bon...
Et on se débrouillait fort bien, je vais te
citer quelques exemples. Commençons par le découpage des vieux journaux que
l'on plie plusieurs fois sur eux-mêmes. On arrive à en obtenir une pochette et à
l'aide d'une paire de ciseaux, il n'y a plus qu'à découper des trous selon sa
fantaisie, puis de rouvrir délicatement la feuille de papier. C'est inouï ce
que l'imagination peut produire de véritables chefs-d’œuvre qui ne coûtent rien
!
C'est à qui ferait le plus beau napperon
et, les jours de mauvais temps, quel agréable passe-temps! Toujours à l'aide de
vieux journaux, restes de papier peint, Maman me montrait comment confectionner
un chapeau, un aéroplane, une maisonnette, un bateau et j'en oublie. Ou monter
une pagode avec un jeu de cartes et énormément de délicatesse. Les petites
filles s'arrangeaient de drôles de chapeaux, des blouses ou encore à l'aide
d'une ficelle et de bouts de papier de couleur fabriquaient de belles guirlandes
qu'elles accrochaient un peu partout.
Avec un peu d'imagination, quand on n'est
pas riche, c'est incroyable ce qu'on devient habile...
Par exemple, une simple toupie. Comme
j'avais été fort sage et que j'en avais vu dans les mains de plusieurs garçons,
Maman m'a acheté une belle petite toupie rouge et bleue. Papa m'a fait un petit
fouet avec une baguette et une ficelle. J'ai bien vite appris à lancer ma
toupie que j'avais beaucoup de plaisir à regarder tourner sur elle-même avant
de s'arrêter. J'étais très fier de faire virevolter ce tout simple jouet sans
jamais casser un seul carreau !
Voyant mon habileté, mon oncle m'a fait
cadeau d'un jouet que je ne connaissais pas : un diabolo.
-"Oh c'est tout simple : imagine deux
cônes soit en bois soit en caoutchouc reliés par leur petit bout, tu as ainsi
une espèce de poulie à gorge. Une ficelle dont chaque bout est fixé à une
baguette. Le jeu consiste d'abord à pendre le diabolo par la ficelle puis par
un mouvement de va-et-vient des bras, le faire tourner de plus en plus vite, le
lancer en l'air et le rattraper sur la ficelle, puis recommencer."
-"Oui, Pèpère, je crois déjà avoir vu
cela à la télévision qui transmettait un programme de cirque."
Et les billes donc, ah là là quelle
affaire, une vraie passion chez les garçons !
En effet, il y a bien des manières de jouer
à ce jeu, soit seul ou, ce qui est mieux, à plusieurs.
On ne jouait pas pour de l'argent, oh non,
mais les mises consistaient en billes de verre coloré qu'en wallon on appelle
des "djass". Les billes servant au jeu proprement dit sont de terre
cuite, toutes simples.
Certes on pouvait acheter à bon marché
celles en terre cuite, les autres aussi, bien sûr, mais comme celles-ci coûtaient
plus cher, la plupart des gamins se les procuraient d'une autre façon. Il faut
dire qu'en ces temps-là, on vendait les bouteilles de
limonade qui étaient bouchées par une bille en verre. La pression
intérieure la maintenait contre un joint en caoutchouc logé dans le goulot.
Pour ouvrir, on appuyait fortement sur la bille qui restait donc dans la
bouteille. Afin de s'en emparer, certains gamins cassaient la bouteille en
cachette, chose que je n'ai jamais faite.
Un jeu que j'aimais est le cerceau fait le
plus souvent d'une latte en bois courbée en forme de cercle ou, avec un peu de
chance, d'une vieille jante de vélo. A l'aide d'un bout de bois, on pousse le
bois, on pousse le cerceau et ... en avant !
On organisait même des courses ce qui était
encore possible car les rues n'étaient pas infestées par les véhicules rapides
et nauséabonds qui font actuellement la chasse aux piétons !
N'oublions pas les cerfs-volants si
nombreux chaque fois qu'il y avait du vent. C'est fort amusant. Naturellement,
on en trouvait de toutes sortes dans le commerce, mais la plupart du temps, on
les fabriquait soi-même. Pour commencer, on allait couper le long des haies des
baguettes convenables, c'est-à-dire souples. Rentré, on demandait à Maman une
belle feuille de papier, de couleur si possible, de la colle qu'on devait faire
fondre au bain-marie et une bobine de fil. Pendant des heures, on s'amusait à
préparer les baguettes, découper attentivement le papier, le coller, fixer les
amarres et, quand le cerf-volant est assemblé, laisser sécher la colle. Durant
ce temps, on va cueillir du liseron le long des haies pour faire la queue qui
maintiendra le chef-d’œuvre en équilibre dans le ciel. Faute de liseron, on
arrangeait la queue avec une ficelle et des bouts de papier liés tous les dix
centimètres.
10 centimes |
Grande est la joie lorsque l'on peut
admirer le fruit de sa patience évoluer majestueusement dans le ciel au bout du
fil qu'on déroule peu à peu jusqu'à la fin de la bobine !
Il m'est arrivé de voir de grands
cerfs-volants de toile tenus par des hommes au moyen de gros fil de cordonnier,
long parfois de plusieurs kilomètres, parfaitement !
Certains d'entre eux pendaient de petites
lampes à huile qu'on voyait briller à la fin du jour. Il y avait chaque fois un
attroupement qui admirait ces prouesses qui, hélas, ne se terminaient pas toujours
bien. Oui, de temps à autre, le vent tombait ou changeait de direction. Dans de
tels cas, c'était la panique et, assez fréquemment aussi, la perte du
cerf-volant. Mais, en général, les choses se passaient très bien.
La cour où nous habitions était, pour
autant que le temps le permette, garnie d'une ou deux marelles tracées à même le
sol par les filles qui jouaient au "tahai". Elles aiment également
jouer à la boule, et comme une boule ça coûte de l'argent, il ne leur fallait
pas longtemps pour en confectionner une avec des chiffons. Il y avait, bien sûr,
des exceptions, quelques-unes possédaient une ou deux boules en caoutchouc
exactement comme celles d'aujourd'hui. Caoutchouc ou chiffon, peu importe, cela
les amusait et n'est-ce pas ce qui compte ?
Et les poupées, parlons-en un peu. Il en
existe de nos jours chez les antiquaires ou collectionneurs qui sont des rescapées
de la "belle époque" (hum...).
Elles sont en général magnifiques et n'ont
certainement pas appartenu à des filles d'ouvrier. Alors, que faire afin que
les fillettes de condition modeste aient quand même une poupée ? Tout
simplement acheter celles, en tissu, remplies de sciure de bois et avec une
figure peinte naïvement. Les vêtements étaient faits de restants de tissus
ordinaires mais propres.
Tu crois qu'elles ne s'amusaient pas, les
filles avec d'aussi simples poupées ? Eh bien tu commets une erreur car
l'instinct maternel était déjà là, plus fort que toute considération et, tu
l'as peut-être remarqué, qu'elle soit luxueuse ou non les filles chérissent
leur poupée comme si elle vivait réellement.
Il en existait aussi en celluloïd et en
bois...
Parfois, la cour offrait un spectacle que
je me gardais de ne pas manquer et que l'on rencontre encore de-ci de-là,
c'est-à-dire les cortèges nuptiaux mis sur pied par les fillettes. A l'aide de
vieux vêtements dénichés au grenier et de vieux chapeaux à fleurs ou à plumes
datant de Dieu sait quand, sans oublier les souliers de Maman dans lesquels
leurs petits pieds nageaient, évidemment !
C'était réellement tordant de les voir se
prendre au sérieux et mimer, avec plus ou moins de grimaces, les gestes et
attitudes que l'une ou l'autre d'entre elles avait retenus d'un mariage auquel
elle avait eu l'occasion d'assister. De tels moments, ça ne s'oublie pas, oh
non !
Quant à moi, ce
sont les trains qui ont toujours eu ma préférence. Papa me les confectionnait à
l'aide de caisses à cigares vides qu'il demandait en allant chercher son tabac.
Bien que sommairement outillé, il était si adroit de ses mains que les locomotives
et wagons qu'il me donnait constituaient des répliques fort acceptables de ce
qu'il manœuvrait à longueur de journée. A peu près tous les détails principaux
se trouvaient à leur place ! Même les couleurs étaient exactes. Bien sûr, il
n'y avait pas de rails, c'eût été trop beau, mais j'étais très content de jouer
ainsi. D'ailleurs, si, par beau temps, je manœuvrais mes trains dans la cour,
les gamins me les enviaient et jouaient avec moi au chef de gare !
Locomotive Type 64 |
-"Mais, Grand-Père, ça devait joliment
polluer l'air !"
-"Peut-être, mais certainement moins
que les moteurs actuels. Du reste, en ce temps-là, le mot pollution ne voulait
rien dire du tout, ça n'existait pas! Alors, veux-tu que je te parle encore des
jeux, ou es-tu fatigué ?"
-"Pas du tout, Pèpère, continue j'aime
bien."
-"Bon. Puisque ça t'intéresse, nous
allons un peu voir comment se passait la Saint-Nicolas, d'accord ?"
En réalité, à part le choix des jouets et
les prix, cet événement n'a guère changé puisque le grand Saint va partout aidé
par Hans Krouff pour accomplir sa mission : distribuer ses cadeaux aux enfants
sages...
Depuis le luxueux château jusqu'à la plus humble chaumière, tous les enfants reçoivent quelque chose, des jouets, vêtements, objets scolaires, friandises etc...
Dans les familles modestes, il n'est pas
question de se montrer difficile : on se contente de peu. Mais pendant toute ma
vie, j'ai remarqué que ce ne sont pas nécessairement les jeux très sophistiqués
ni les plus chers qui amusent le mieux. C'est plutôt l'inverse !
Il en va de même le jour de Pâques. Les
cloches, en revenant de Rome, ont soin de déposer délicatement dans les jardins
ou au pied des haies de délicieux "cocognes" en sucre, massepain ou
chocolat accompagnés d'un petit jouet.
C'est aussi le moment où Maman vous conduit
au "Drapeau Belge" à Liège pour vous y choisir un costume marin à
votre taille car celui de l'année dernière est devenu trop petit. Costume à
culotte courte évidemment.
Et le temps passe, le printemps, l'été, les
prix à l'école, les vacances à La Préalle avec un ou deux petits voyages pas bien
loin, oh non. Et on était heureux ainsi.
Puis c'est l'hiver et la neige.
Alors c'est la ruée, c'est à qui aura le
grand bonheur de posséder un traîneau ou quelque chose qui y ressemble mais
capable de glisser facilement.
Et allez-y. Faut les voir descendre la rue
Verte en hurlant de joie. Les filles les bombardent à coups de boules de neige.
D'autres dressent des bonshommes en forme
de Père Noël parfois bien réussis avec des petits cailloux pour figurer les
yeux et la bouche et une carotte pour le nez. Ah ce qu'on riait, c'était
l'euphorie !
Excepté les charretiers qui juraient à qui « mieux
mieux » en voyant leurs chevaux déraper et tomber sur la neige durcie par
les glissades.
Les pauvres bêtes avaient pourtant été dotées
de nouveaux fers à vis pointues et néanmoins, elles se retrouvaient coincées
sous le poids de leur lourd tombereau toujours chargé de 1800 kilos de charbon
de la Petite Bacnure locale.
Bien sûr, tout le voisinage se mettait de
bon cœur à redresser véhicule et chevaux et puis poussait jusqu'au sommet de
la rue.
Dans les encoignures des murs, la neige
formait parfois des congères assez importantes pour que les gamins y creusent
de petits tunnels.
-"Pèpère, es-tu bien sûr ? Moi, je ne
peux pas le croire, tu te trompes certainement."
-"Tu as tort de douter de ma parole
car ce que je raconte ici n'est que la pure vérité. Mais je ne t'en veux pas
parce que toi, tu habites en ville où on ignore ce genre de distraction : ça
pourrait gêner, alors tu comprends..."
Et l'hiver ça durait tout comme à présent.
Un jeu qui a fait fureur c'est l'hélice.
Voici : Il s'agit d'une tige d'environ trente centimètres en fer méplat et
torsadée sur toute sa longueur avec en terminaison, le bout en forme d'anneau
afin de la tenir.
Une "busette" (petit tube) glisse
le long de la tige sur laquelle on introduit une petite hélice en tôle de
couleur vive.
Elle s'appuie sur la busette qu'on tient
entre le pouce et l'index. Il suffit de soulever vivement ladite busette pour
imprimer une grande vitesse à l'hélice qui monte alors jusqu'à dix ou quinze mètres
et il n'y a plus qu'à aller la ramasser et recommencer mais on en a perdu
beaucoup sur les toits des maisons...
"Mais, Grand Père, comment
faisiez-vous pour vous procurer des jouets ? Cela existait-il à La Préalle
?"
-"Bien sûr, rue Haute-Préalle,
à l'entrée, près du passage à niveau et à côté du Commissariat de La Préalle,
il y avait le paradis des enfants avec sa vitrine pleine de tentations tant
pour les garçons que pour les filles."
(Voir Aussi: René Henoumont.)
(Voir Aussi: René Henoumont.)
C'était chez Jacob un nom qu'on n'oublie pas...
A la bonne saison, de petits voyous
s'amusaient à capturer des hannetons pour les introduire dans le dos des
fillettes épouvantées.
C'est comme pour aller chercher l'eau à la
pompe, il faut que je t'en parle.
-"Comment, Pèpère, que veulent dire
tes paroles : chercher l'eau à la pompe ?"
-Tout simplement que les robinets dans les
maisons étaient un confort
inconnu à La Préalle. Or donc, en hiver, la base en
pierres de la pompe ne formait plus qu'un bloc de glace, tout comme les abords.
Rends-toi compte des dispositions d'acrobate et surtout d'équilibriste qu'il
fallait déployer dans de telles circonstances.
Vue identique via Google Earth... |
Heureusement, la solidarité étant réelle,
les jeunes se faisaient un devoir de se rendre à la pompe en lieu et place des
gens incapables d'y aller eux-mêmes. Et les mains gercées étaient chose courante.
Horkai ou Fardier |
-"A propos, Pépère, tu dis que les
hivers étaient rudes, dis, comment se chauffait-on ?"
-"Dis donc, n'es-tu pas fatigué de m'écouter
?" –
"Pas du tout, j'aime bien t'écouter,
continue."
"D'accord, eh bien, pour se chauffer,
il existe le charbon tout près de chez nous et, afin de s'en procurer, Maman se
rendait à la Petite Bacnure avec sa brouette et ramenait cinquante kilos de
"tout venant", c'est à dire non trié, c'était un mélange de gros morceaux,
de plus petits et de poussière. Les morceaux, Maman les cassait et la poussière,
elle la mélangeait avec un peu d'argile et un peu d'eau dans le but d'en faire
du "hotchè", une espèce de mortier qui brûle tout doucement."
Les plus pauvres se chauffaient autrement :
ils se rendaient sur un versant du terril et, au fur et à mesure que les bennes
déversaient les déchets depuis le sommet du terril, se mettaient à y fouiller
en vue de trouver quelques morceaux de charbon ou de bois qu'ils déposaient
dans leur sac... Tu te rends compte ? Et cela par n'importe quel temps ! Et, néanmoins,
le moral était quand même bon. On trouvait la chose toute naturelle. C'est la
vie...
Et maintenant, Fiston, écoute, on va s'arrêter
là aujourd'hui. Lors de ta prochaine visite, je te raconterai de quelle façon j'ai
eu connaissance d'une invention qui a fait du bruit : le gramophone.
IV. LE GRAMOPHONE
Quelques jours plus tard, nouvelle visite
de mon Petit-Fils Xavier, un mercredi après-midi maussade. Pas question de
jouer dehors. Echange de nouvelles de la famille et, bientôt, c'est la prière
traditionnelle.
-"Dis, Grand-Père, raconte, oui, tu
veux bien ?"
-"De quoi veux-tu que je parle ?"
-"Tu m'avais promis de me raconter
comment tu as connu le phono.
Bien entendu, je fus reçu à bras ouverts.
Tante Louise m'offre un chocolat, puis ensemble, nous pénétrons au "
salon" où mon Oncle me montre, posé sur la table en chêne cirée, une espèce
de coffret en bois verni muni d'une manivelle et surmonté d'un support nickelé
qui maintient un rouleau couvert de drap vert. Un deuxième support en forme de
console fixé sur un côté du coffret est surmonté d'un pavillon en cuivre
brillant. Pendant que je détaille l'appareil, d'une boîte il en retire une
autre qui est ronde; il l'ouvre avec précaution et en extrait un rouleau noir
qu'il introduit sur le vert. Quelques tours de manivelles, il pose un bras relié
à un pavillon et muni d'un diaphragme à saphir dans le premier sillon du
rouleau noir qui commence à tourner et, ô miracle, une musique de fanfare
emplit toute la place et une voix d'homme se met à chanter un air que je
n'oublierai jamais. C'était "Ah les p'tits pois, les p'tits pois,
les p'tits pois...". Le chanteur était, je crois, Dranem. J'étais tellement ébloui
que j'ai cessé de lécher mon chocolat !
Mon Oncle me montre alors plusieurs autres
boîtes rondes portant des inscriptions que, étant encore trop jeune, je
n'aurais pu lire. Il me demande alors:
-"Comment trouves-tu ça, Alphonse
?"
-"Très beau mon Oncle. Encore, s'il
vous plaît !"
Mais naturellement, mon garçon. Tiens,
voici la dernière nouveauté que j'ai achetée hier chez Hendricks, rue de la Régence
à Liège. Attends que je relise le titre. Ah oui, j'avais oublié. C'est "la Petite Tonkinoise"
qui a été composée par Vincent Scotto."
Et cet air m'a énormément plu. Plusieurs
fois, mon Oncle a remonté la manivelle parce qu'il lisait dans mes yeux le bonheur
que je ressentais à écouter cet air qui, par ailleurs, a fait le tour du monde
et que l'on joue encore parfois à la radio.
Enchanté du bon moment que je venais de passer,
et curieux comme toujours, je demande à mon Oncle qui a inventé une aussi
formidable machine qui parle, chante et joue de tous les instruments de
musique.
Très simplement, il m'expliqua que le gramophone
fut inventé par le français Charles Cros
mais que c'est un américain, Thomas Edison, qui l'a mis
en fabrication en 1887. Malheureusement, comme on n'était pas bien riches à
cette époque, il a tout de même fallu des années avant que ce progrès n'atteigne
les classes laborieuses...
Et c'est ainsi que j'ai connu une
prodigieuse invention, mais rassure-toi, il y en aura encore d'autres!
Après quoi, mon Oncle ouvre un tiroir du
buffet, en retire une petite boîte en disant : "Tiens, tu es gentil, voilà
pour toi." Il me donne la boîte que j'ouvre et j'en retire tout tremblant
devine quoi : quelque chose de très rare et que je ne connaissais pas encore...une
auto en tôle aux couleurs vives qui se mit à rouler toute seule après que mon
Oncle l'eut remontée. Je ne pouvais en croire mes yeux.
C’était mon premier jouet qui roulait tout
seul !
Ceux qui n’ont pas connus cette époque ne
peuvent pas comprendre…et c’est parfois dommage.
Mon Dieu, quelle journée pour moi. Eh oui,
moi petit bonhomme de quatre ans, découvrir en une heure deux choses dont
j'ignorais l'existence, d'abord de la musique en boîte, comme des conserves, et
un jouet mécanique, ça ne te dit rien, à présent, mais alors on n'était pas
blasé, oh non !
-"Merci, Grand-père, tu ne me croiras
peut-être pas, et c'est cependant vrai, j'aime bien d'entendre raconter comment
on vivait dans ton jeune temps. Ce que tu viens de dire à propos du gramophone
donne à penser le temps qu'il a fallu pour en arriver aux "pick-up"
modernes, les Hi-Fi, comme on dit maintenant."
-"A propos, Pépère, hier, je venais de
rentrer de l'école lorsque la sonnerie de la porte retentit. C'est Maman qui va
ouvrir à un marchand de tapis dont nous n'avons nul besoin. Il insistait
tellement que Maman a dû littéralement le pousser dehors. Dans le temps jadis était-ce
pareil ?"
-"Absolument, et le commerce ambulant
avait un développement beaucoup plus important qu'à présent car les supermarchés
n'existaient pas, du moins de notre côté, et les moyens de transport plutôt
rares, alors...
Si cela t'amuse, je ferai un effort afin de
me souvenir des principaux commerces de rues que j'ai connus. Qu'en penses-tu
?"
-"Je te suis tout oreilles, Pépère,
vas-y !"
-"Installe toi confortablement parce
que ce sera assez long. Après, nous savourerons le souper délicieux, comme
toujours, que Mémère est en train de nous préparer.
V. LES MARCHANDS AMBULANTS
Leur passage met de l'animation dans le
quartier et leurs appels ne laissent personne indifférent. Que ce soit une
trompette, une sonnette ou simplement leurs cris, on s'y intéressait chaque
fois qu'on les entendait.
Cutès peures |
Invariablement, avant de commander les
poires cuites, la même question sortait des lèvres : "Quènn novèle Mareye,
qui raconte-t'on di bon à Lidje ?" (Quelle nouvelle, Marie, que
raconte-t-on de bon à Liège ?)
Et, après avoir écouté les dernières
informations, et réglé leur compte, les ménagères rentraient vite chez l'une ou
l'autre voisine commenter ce que la marchande leur avait décrit concernant les
faits du jour.
Gozette |
Puis, c'est la cloche du marchand de pétrole,
fixée au-dessus de la charrette citerne qui fait arriver les gens munis de
bidons ou autres récipients afin d'alimenter les quinquets, seule lumière en
usage à l'époque chez nous.
En effet, faire installer le gaz
constituait une folie impensable à la majorité des ménages.
Il y avait aussi le marchand d'étoffe qui
va de porte à porte et qui vous a un de ces bagouts en wallon. Selon lui, ses
tissus étaient les meilleurs et ses prix les plus bas. Leur insistance
m'amusait et, ma foi, il leur arrivait assez souvent de vendre leur marchandise
parce que, en ces temps-là, les femmes cousaient beaucoup plus qu'actuellement
: le prêt-à-porter made in Hong-Kong ne se trouvait encore nulle part.
Et le vannier attirait tous les regards
avec sa grande charrette tirée par un petit cheval tout rutilant du cuivre de
ses grelots. C'est incroyable ce que contient ce véhicule : mannes à linge,
paniers à pigeons, berceaux en osier, fauteuils, jardinières etc.
Encore une trompette, on va voir, il s'agit
encore une fois d'un cabriolet bourré de tisane dont le vendeur se met à crier
les vertus miraculeuses. Et comme la Sécurité Sociale n'existait pas, on se soignait
soi-même à l'aide de plante et presque toujours avec succès.
Une autre fois une sonnette fait sortir les
gens et le coup d'œil en vaut la peine, il s'agit d'une charrette tirée par un âne.
C'est inimaginable ce qu'on trouve sur cette charrette en articles de mercerie.
Depuis les épingles de toutes sortes jusqu’aux paires de bas en passant par les
ceintures et lacets, il y a l'embarras du choix et les ménagères se servent
pour quelques francs.
Tous les jours, les marchands de fruits et
légumes retrouvent leur clientèle de ménagères.
Encore un appel hebdomadaire en wallon crié
par une femme âgée qui poussait une charrette à bras : "Av' des clicottes,
vix fiers, pô d'lapins ?" (avez-vous des loques, des vieux fers, des peaux
de lapins ?)
Je le dis, la rue est un spectacle
continuel !
Marchand de chansons sur feuilles volantes. |
"Cela coûtait combien ces chansons,
Grand-Père ? "
"Vingt-cinq centimes pour une grande
feuille avec les paroles mais sans la musique bien sur. D'ailleurs très peu de
gens connaissaient le solfège, alors..."
De temps en temps, un mendiant tournait la
manivelle de son orchestrions posé sur une vieille voiture d'enfant.
-"Ah oui, Pépère, j'en vois souvent
place Saint-Lambert qui actionnent leur orgue de Barbarie."
"Xavier, je t'arrête, écoute
bien..."
En réalité, c'est à Modène en Italie que ce
genre d'orgue fut inventé par le signor Barbéri, voilà la vérité!
Donc, notre homme actionnait son orgue pour
notre plaisir tandis qu'un ouistiti juché sur son épaule grignotait une
arachide. Sur l'orchestrion,
une boîte à cigares recevait les dons des passants, tout comme à présent, en
guise de remerciement pour le bon moment offert à la ronde.
D'autres fois, l'homme orchestre se
promenait en jouant de ses instruments fixés au bras et aux jambes. C'est
curieux. Et, pendant ce temps, sa compagne faisait du porte à porte en tendant
sa sébile qui reçoit toujours quelques sous.
Tout au long de la semaine, des mendiants,
la plupart du temps infirmes, frappaient aux portes en marmonnant des prières.
Il m'est arrivé lorsque j'habitais Tongres (dont je parle plus loin) de voir,
en passant pour aller à l'école des groupes d'une dizaine de gens priant tout
haut devant les portes des maisons.
Pourquoi cela ? Tout simplement parce que
c'était pendant la guerre 14-18 et que la Sécurité Sociale n'était encore qu'un
rêve...
Les "tchouk-tchouk" étaient plutôt
amusants à écouter. Il se promenaient avec sur l'épaule une incroyable pile de
couvertures et autres textiles en vous faisant un baratin dans leur savoureux
sabir à seule fin de vous vendre leur marchandise et, ma foi, leurs prix étaient
toujours raisonnables.
Mais pour les gosses que nous étions, le
son d'une trompette provoquait une indescriptible ruée vers les mamans afin de
lui demander une "cenne". Pourquoi ?
Parce que la trompette qu'on entendait était
pour nous le signal d'un immense bonheur puisque c'était celle du marchand de
crème glacée Alphonse. Une fois le sou en main, c'est le sprint jusqu'à la si
belle aventure qui nous arrivait: un cornet savoureux!
Et cet appel que les vieux n'ont pas oublié,
lancé par une voix de femme "A bèlè moss d'Anvers, a bès dous inglitins, a
bès harins, a bès stokfèss" Traduisons : "Aux belles moules d'Anvers,
aux beaux doux saurets, aux beaux harengs, au beau stockfisch" De quoi se
régaler à bon compte !
Et une fois l'automne venu, on entend ce
cri : 'Trass bèlè djèîs po cinq censses" (Treize belles noix pour cinq
centimes).
En résumé, tous ces appels faisaient partie
du décor de la vie quotidienne. A présent, ils ont été remplacés par les pétarades
des moteurs.
D'autres visiteurs m'ont, à leur tour,
laissé un bien émouvant souvenir. Ce sont les prêtres.
Tenue traditionnelle du prêtre... |
Alors, le soir, fourbus, comment
auraient-ils pu étudier ?
C'est tout juste s'ils pouvaient un peu se
distraire ou jouer aux cartes jusqu'à ce que leurs yeux se ferment à cause de
la fatigue...malgré la faible lumière du quinquet quelque peu fumeux.
-"Non mon cher Xavier, bien que la découverte
du pétrole remonte à 1611, ce n'est que longtemps après que son usage s'est répandu
à travers le monde."
"Pourtant, à l'école on nous a appris
que nos ancêtres vivaient dans des grottes. Donc pas de lumière. Comment
faisaient-ils dans ces conditions pour s'y retrouver ?"
-"Ecoute : d'abord ils avaient une
meilleur vue que nous et, en frottant des bois l'un contre l'autre, ils
parvenaient à faire brûler des bois résineux et ainsi faire des torches qui
leur donnaient une faible lumière et, qui sait, les réchauffer un tant soit
peu, ces hommes des cavernes."
D'ailleurs il est bien connu que certaines
grottes contiennent des dessins et peintures du plus grand intérêt.
En plus ils se sont servis des graisses
animales pour s'éclairer. Finalement c'est la graisse de mouton qui a donné
naissance à la chandelle qui, hélas, fume beaucoup. Longtemps après, on a découvert
la stéarine qui mêlée à la graisse de mouton, permet la confection de la bougie
telle qu'elle est actuellement.
"Et l'électricité, Pépère, qu'en
dis-tu ?"
-"Elle existe depuis toujours à l'état
latent ou statique. Même dans le corps humain, parfaitement. Jadis et encore
aujourd'hui on a inventé la pile Leclanché et les piles sèches dont l'usage est
universellement connu.
Dynamo Gramme |
C'est en 1872 qu'il a eu l'idée géniale de
transformer un mouvement rotatif en courant électrique. De là est née la dynamo.
VI. VOYAGE A LIEGE
-"A propos, Pépère, quand tu étais
petit, tu ne quittais jamais la Préalle ?"
-"Ma foi, jusqu'à l'âge de quatre ans,
je ne pense pas que j'ai voyagé hors de mon patelin. Pourtant un jour de
juillet 1911, j'avais donc quatre ans et quatre mois...
Ce jour là, tante Marie, sœur aînée de Maman
que je voyais lors de ses visites chez nous est arrivée en train et a conseillé
à Maman de l'accompagner à Liège afin de profiter des soldes extraordinaires
qui s'y pratiquaient.
Elle avait laissé sa teinturerie d'Ougrée à
son mari, mon oncle Léon, ce jour là.
Comme il fallait attendre trop longtemps
pour avoir un train, on s'habille en vitesse, Maman griffonne quelques mots
pour Papa quand il rentrera de la gare de Herstal où il est "garde
d'excentriques", et nous voilà partis faire mon premier voyage à pieds
jusqu'à Coronmeuse.
Là-bas, c'est un tram qui devait nous
transporter au centre de la ville et j'avoue que je n'avais jamais vu de tram
autrement que sur des images.
De la Préalle à Coronmeuse, cela représente
une bonne trotte pour un gosse de quatre ans. En effet, après avoir contourné
le charbonnage par la rue Charlemagne et la Place Oscar
Beck puis salué l'église, il y a la grimpette de la rue Henri
Nottet qui se prolonge jusqu'au bout du bois de Bernalmont.
On passe devant la houillère Gérard Cloes et c'est la longue descente par les Petites
Roches, un étroit chemin de terre battue parsemée de cailloux. Enfin,
on arrive rue Jolivet
dotée de trottoirs et l'on parvient au passage à
niveau avec ses lourdes barrières sur roues qu'un garde manœuvre au
moyen de sa manivelle qui fait tourner un rouleau sur lequel passe le câble qui
commande les barrières exactement comme celles de la Préalle près de chez nous.
Un peu plus loin, la rue derrière
Coronmeuse assez longue et, enfin, la Place Coronmeuse qui m'a
tout de suite impressionné : ce mouvement, ce bruit de la circulation, il faut
que je te raconte ça, écoute.
D'abord, ce n'était pas du tout comme de
nos jours. Dans l'axe de la place, il y avait une importante route pavée et comportant
les rails du tram ainsi que des voies secondaires qui aboutissaient au dépôt près
de là.
Cette route, la Nationale 17, relie les
quais de Liège à la rue Hayeneux
de Herstal.
Le trafic y est très intense. Imagine les
roues ferrées des véhicules de toutes sortes et les sabots des chevaux qui
tiraient tout cela, sans omettre les sonnettes des trams qui roulaient plus
vite que le reste.
De part et d'autre, des terre-pleins garnis
de bancs à l'ombre de rangées d'arbres qui se prolongeaient à perte de vue
jusqu'à la fonderie de canons au bout du quai de Coronmeuse. C'était
merveilleux à mes yeux d'enfant. A noter que tout au long de ce quai, une large
pelouse offrait son charme aux enfants qui s'y ébattaient en toute sécurité
pendant que les mamans occupaient les bancs pour tricoter en surveillant les mômes.
Mais restons sur la place. Que voyons-nous
encore ?
D'abord, là où nous nous trouvons, résumons
la perspective. Premièrement, le tram couleur verte à deux voitures. Derrière,
les pelouses et les arbres des terre-pleins, puis la route et son incroyable
animation.
Ensuite le quai du Port du Canal Liège Maastricht
et son incessant charroi et comme toile de fond, on devinait les péniches à la
vue des mats avec les câbles et leurs drapeaux multicolores et finalement le
haut du mur du tir communal disparu comme le reste.
Croirais-tu qu'en dépit de ce remue-ménage,
on voyait des hommes et des femmes se précipiter entre les attelages pour aller
en vitesse ramasser les crottins des chevaux.
Nous voici donc près de ce tram, invention
pas bien ancienne qui roule sur rails par l'électricité, cela ne vous dit plus
rien. C'était nouveau et formidable à nos yeux tout comme le sont aux vôtres
les exploits spatiaux. Hé oui, réfléchissez un instant, c'est bien ainsi !
Le tram devant lequel je m'extasiais
comportait deux voitures à peu près semblables qu'actuellement mais moins
belles sauf que la deuxième ne possédait pas de flancs mais deux marchepieds
pour permettre au percepteur de servir les usagers qui se trouvaient soit sur
les plates-formes, debout ou assis sur les larges banquettes en bois vernis
dont le dossier, une simple planche façonnée et vernie, était mobile c'est à
dire que d'un seul geste de la main, on la faisait pivoter de façon à toujours être
dans le sens de la marche, ce qui est bien agréable.
En ces temps-là, le personnel se composait
d'abord du conducteur et d'un receveur à chaque voiture.
Mais un strident coup de sifflet à roulette
me fait sortir de ma contemplation en plus de l'appel de Maman et de tante
Marie.
Le temps de les rejoindre et on démarre...
Faisons une parenthèse : je me souviens
qu'un jour, mon oncle Toussaint, frère de Maman m'avait conduit je ne sais plus
où et qu'on avait circulé dans un tram à cheval.
Arrivés place Saint-Lambert, nous
descendons et Maman me prit par la main. Heureusement car j'avais trop peu de mes
deux yeux pour regarder partout sauf... devant moi.
En plus du Palais toujours là, toute la
place était entourée de magasins luxueux, d'hôtels et restaurants. Le long des
trottoirs, les calèches et landaus ainsi que les cochers attendaient le bon
vouloir de leurs maîtres. Rien ne subsiste de tout cela. Le dioxyde de carbone
a remplacé l'odeur du cheval et le parfum des marchandes de fleurs... c'est le
progrès !
Les tournées des grands magasins vous
connaissez donc passons, toutefois tante Marie m'a acheté une locomotive à
pousser à la main, en tôle peinte en rouge vif; elle nous a embrassés puis est
retournée à Ougrée.
Nous, on a pu avoir un train qui s'arrête à
La Préalle et sur le quai de la gare, Papa nous attendait avec sur son épaule
notre chatte miaulant de joie à notre retour. Papa s'empare du cabas de Maman,
je lui montre ma loco et on rentre à la maison où un bon repas nous attendait.
Cette nuit-là, j'ai fait de bien beaux rêves et c'est comme je viens de te raconter
que j'ai fait connaissance avec une invention qui, en son temps, a soulevé bien
des commentaires; son nom : le tramway.
VII. LE CINEMA
Un jour, dans l'après-midi, voici qu'arrive
seul notre arrière-petit-fils Marcel, grand garçon de dix ans.
Embrassades et demande de nouvelles coutumières
mais l'enfant paraît fatigué. Ma femme l'interroge et ils nous avoue qu'en
effet il est un peu fatigué parce qu'il a eu cours de gymnastique à l'école et,
après avoir dîné, il est encore aller jouer au football sur un terrain de sport
pas loin d'ici. Heureusement qu'il n'a pas transpiré, donc nul besoin de
changer ses vêtements. Tant mieux.
Alors au lieu d'aller jouer sur la balançoire
du jardin, il se contente de demander gentiment :
-"Dis, Pépère raconte-moi une histoire
concernant une invention de ton jeune temps."
-"Soit, aujourd'hui nous parlerons
d'une découverte vraiment formidable qui est connue dans le monde entier : je
veux dire le cinéma, parfaitement, écoute bien !"
Depuis bien longtemps on a essayé différents
moyens de reproduire le mouvement par l'image sans résultat valable jusqu'au
jour où les frères Lumière
ont eu l'idée géniale d'appliquer une invention pas encore centenaire; la
photographie, fruit des recherches de deux Français, Daguerre et Niepce.
Toutefois au lieu de plaques qui ne
donnaient qu'une photo fixe, les Frères Lumière ont conçu un appareil capable
de prendre environ une bonne dizaine de photos par seconde et cela sur un long
ruban muni de perforations et recouvert de bromure d'argent. Quand on
projette ce film sur l'écran, les images se succèdent si vite qu'on a
l'illusion de n'en voir qu'une mais reproduisant le mouvement photographié et
c'est comme cela qu'est né un art qui a réellement transformé la manière de
communiquer des hommes.
Par la grâce de cette invention, il est
possible de transmettre par l'image animée ce que l'on veut montrer mieux que
par les plus beaux discours, tu comprends ?
J'avais presque cinq ans lorsque Tante
Marie arrive et nous invite à passer une matinée au Cinéma Stella situé, je
crois rue de la Régence,
à Liège.
Maman et moi sommes donc partis en train
cette fois, et, une fois installés à une table, nous regardons.
Un garçon à épaulettes apporte de la
limonade Chévaux.
La séance est déjà en cours, je crois que
c'était un western, noir et blanc, cela va de soi. Un petit orchestre jouait de
la musique assortie.
Je ne quittais pas l'écran des yeux,
naturellement, et je remarquais que l'image faisait souvent place à des écrits que
je ne connaissais pas ne sachant pas encore lire mais Maman me les lisait tout
bas à mon oreille.
Un quart d'heure d'entracte à la lueur
d'une grosse lampe électrique pendue haut. Tante Marie appelle le garçon, renouvelle
les boissons et fait apporter un chocolat pour moi. Pendant que je le dégustais,
on a levé l'écran pour faire place à un rideau rouge en velours avec des
cordons et des floches dorées.
A son tour, ce rideau moitié à gauche moitié
à droite et la scène apparut resplendissante de lumière avec son décor de forêt.
C'était magnifique ! Une diseuse en robe de soirée prit possession de la scène pendant
que l'orchestre attaquait la ritournelle. Ce nous fut l'occasion d'entendre
plusieurs romances comme on n'en fait plus.
Ensuite, un numéro de prestidigitateur
suivi d'un ventriloque qui faisait parler une poupée.
Tout de suite après, l'écran reprit sa
place et le cinéma recommença par un film triste et la séance se termina par un
film comique.
Naturellement ce n'étaient que des films
muets en blanc et noir pas toujours nets mais on s'est quand même bien amusé ce
qui est, je crois, le principal. Pas vrai ?
En tout cas c'est grâce à Tante Marie que
Maman et moi on a passé deux heures bien agréables. Et c'est comme cela que
j'ai connu cette formidable invention des Frères Lumière. Quand je te dis que
ma génération aura été une des plus fertiles en découvertes grandioses, il
faut me croire. Et ce n'est pas tout, loin de là. Ecoute la suite.
VIII. C'EST NOEL
Un jour de décembre, nous avons acheté au
marhé un sapin en prévision de la Noël assez proche.
Pendant que j'étais occupé à lui préparer
un solide pied, on sonne à la porte, ma femme va ouvrir : c'est une de nos
petites-filles avec ses deux enfants, Marcel 10 ans et sa soeur Chantal 5 ans.
En découvrant mon attirail, les gosses me
demandent:
-"Oh Pèpère, qu'est-ce que tu fais là
?"
-"Je prépare un pied pour le sapin de
Noël. Mais allons d'abord boire une tasse de café. Je continuerai tantôt."
Et c'est pendant la petite réunion, et tout
en dégustant quelques friandises qu'une petite voix séduisante se fait
entendre, c'est Chantal.
-"Dis Pèpère, raconte..."
-"Raconter quoi ?"
-"La Noël quand tu étais petit."
"Mais, ma chérie, rien n'a changé à
part quelques détails."
"Bon, si cela vous amuse, voici ce que
j'ai retenu de ce que j'ai retenu de ce beau jour quand j'avais l'âge que tu as
maintenant.
"
Je commence mon histoire un vingt-quatre décembre
1912, il neige et le froid est vif.
Pourtant, à travers la fenêtre, je regarde
et constate qu'il y a plus de monde que d'habitude dans la rue.
Pourquoi ? Pour préparer le réveillon,
naturellement. Maman, elle aussi, est en pleine activité. Dans la marmite à
soupe, elle mélange la farine de sarrasin, des œufs, du sucre et du lait frais
acheté à Marie Hariga qui passe tous les jours avec sa petite charrette tirée
par un gros chien très gentil. En plus du lait de la ferme, elle vend aussi du
bon fromage de Herve, de la si bonne "maquée" et des œufs.
Papa a rapporté un sapin plus grand que moi
et a bien vite arrangé un pied solide pour le tenir. Maman va chercher au
grenier une grande boîte pleine de boules multicolores, de chandeliers, de
guirlandes argent. Une longue boule en flèche surmontera le tout ainsi qu'une
banderole que Papa lit tout haut : "Gloria in Excelsis Deo."
Dès que le sapin est posé sur son socle,
Maman commence à le garnir et moi, tout fier, je lui passe les boules
exactement comme tu le fais chez toi n'est-ce pas Chantal ?
-"Oui, Pépère continue, j'aime bien.
Et toi Marcel ?"
-"Bien sûr. Vas-y Pépère, nous t'écoutons."
Donc, l'installation du sapin a pris un
certain temps. Ensuite, la belle crèche que Papa avait faite pendant ses
moments de loisir fut placée sur un guéridon et c'est à moi qu'a été confié le
soin de disposer les santons de toutes couleurs, en craie, et j'en avais
beaucoup de plaisir.
Le soir, Papa a allumé les petites bougies
en faisant très attention de ne rien brûler et à mes yeux d'enfant, le
spectacle du sapin illuminé constituait une vraie féerie. Que c'est merveilleux
de savoir apprécier les choses les plus simples.
Papa allume le quinquet, tisonne la
"plate-buse" et se met à recharger le feu d'une bonne pelletée de
houille.
La pâte est à présent bien levée, la cuisson
des crêpes va commencer tout de suite. Je me réjouis déjà. Maman pose la poêle
sur le couvercle de la plate-buse et bientôt, une bonne odeur monte aux
narines. C'est curieux comme cette bonne odeur de crêpes chaudes fait avoir
faim ! Mais halte, pas toucher, c'est trop chaud et il ne serait guère poli de
ne pas attendre l'arrivée des invités : mes grands-parents maternels, mes
oncles Joseph et Toussaint et mes tantes Elise et Alexandrine.
Bouquettes (Crêpes) |
La bouilloire a été remplie à l'aide d'une
pinte avec laquelle on prend l'eau du pot en grès rempli pendant la journée par
Maman qui est allée la chercher à la pompe sur la place au bas de la rue.
Et, tandis que Maman verse l'eau bouillante
sur le café, on s'installe à la table en se serrant l'un contre l'autre et la pile
de "bouquettes" est immédiatement entamée. Tout le monde parle en
mangeant et chacun se régale car, il est bon et juste de le dire, Maman a
toujours été une très bonne cuisinière qui sait adroitement tirer parti des
aliments les plus ordinaires.
Je crois encore entendre Grand-mère
Catherine disant :"Babètte, dji f'félicite savez m'feye vos bouquettes
sont vreymins réusseyes, elles sont parfaites, ènon Houbert ?" (Elisabeth,
je vous félicite savez-vous ma fille. Vos crêpes sont vraiment réussies, elles
sont parfaites, n'est-ce pas Hubert ? ") Mon grand-père hoche la tête en
signe d'approbation tout en mangeant de bon appétit. Dans la rue, l'animation
ne cesse pas malgré la nuit venue et l'éclairage public médiocre.
Ou bien ce sont de joyeux drilles déjà
quelque peu éméchés qui chantent à se faire éclater le gosier et entourés de
gens qui font cercle en lançant des plaisanteries ou d'autres qui se prennent
par la main pour faire une farandole en chantant plus ou moins ensemble.
Outre la liesse croissante, n'oublions pas
les pétards déclenchant chaque fois le concert improvisé de tous les chiens des
environs. Mon Dieu, quel tintamarre !
Bah, ce sera Noël dans quelques heures !
Chez nous, c'est la veillée. Chacun y va de
sa petite histoire souvent rigolote, parfois lugubre à vous faire frémir avec
leurs loups-garous, feux follets, etc...
Mes tantes préfèrent entonner de vieux
chants de Noël. J'aime mieux ça !
De temps en temps, je jette un coup d'œil
par la fenêtre et vois la neige qui tombe tout doucement...
Bien que la lumière soit fort pauvre, dans
la rue, des gamins et même des grands se lancent des boules de neige en criant.
Je reprends ma place, près du poêle, Maman
me sert une tasse de lait chaud sucré tandis que les hommes font honneur au
cruchon de pèkèt (genièvre) que Papa a acheté pour la circonstance.
D'ordinaire, mon père ne boit pas d'alcool.
Peu à peu, la soirée s'écoule dans la bonne humeur et moi, de mon côté, mes
yeux se mettent à piquer. J'embrasse tout le monde et c'est Maman qui me
conduit dans ma chambre à la lueur d'une bougie qu'elle emporte dès que je suis
au lit bien au chaud I
Le jour était déjà levé quand j'ai ouvert
les yeux. Je me lève pour aller faire pipi et embrasser Maman en train de préparer
la fricassée du matin mais, oh surprise, que vois-je !?! Au pied du sapin :
une locomotive à remonter et de chaudes pantoufles ainsi qu'une couque de
Dinant.
Je jouerai tantôt car, après le déjeuner,
il faut se faire beau pour la messe de dix heures. Avec Papa et Maman. En
entrant dans l'église de La Préalle, nous constatons que la famille est là au
complet.
A peine entrés au lieu saint, on est agréablement
saisi par l'ambiance de fête qui y règne. En effet, l'église a été garnie avec
un soin extraordinaire, des oriflammes bleues, rouges, jaunes, pourvues de
grandes images saintes pendent sur toute la hauteur des colonnes. Des
guirlandes d'or ou d'argent sont fixées un peu partout et des fleurs, des
fleurs partout. Au fond de la nef gauche une magnifique crèche toute illuminée
par une myriade de bougies.
Il y a déjà foule bien que nous soyons en
avance et les grandes orgues de Monsieur Dechesne distillent des airs de
circonstance.
Voilà qu'une cloche tinte et c'est l'entrée
des officiants : trois prêtres et dix acolytes rouges et en surplis impeccable.
Quant aux prêtres, ils sont tous trois
couverts de splendides chasubles blanches brodées d'or et d'étoles également
magnifiques.
L'office commence et, d'emblée, les orgues
se déchaînent accompagnées par des violons et des choeurs. J'en ai encore la
chair de poule, tellement, je crois te l'avoir déjà dit, j'aime tout ce qui est
beau
A la sortie, on salue ses amis, sa famille
et l'on s'en retourne bien gentiment chez soi. En cours de route, on voit des
gamins qui font la bête dans la neige vêtus de leurs bons costumes. Gare à la
fessée, mes amis, en rentrant.
Après le repas de midi, Papa se met à jouer
sur son accordéon, les airs populaires qu'il connaît et Maman chante parfois en
même temps pendant qu'elle prépare une nouvelle marmite de pâte et que moi, je
joue avec les jouets reçus le matin.
A la tombée du jour, toute la famille se
retrouve autour de la table, on soupe ensemble, puis les hommes jouent aux
cartes en fumant, pendant que les femmes papotent à la lueur du quinquet posé
sur la table des joueurs. La soirée s'écoule très agréablement, le temps passe
vite on ne s'ennuie pas du tout, on est content de ce qu'on a et les plaisirs
de la radio, télévision etc...on les ignorait complètement. On ne se doutait même
pas qu'un jour ce serait un élément indispensable à la vie dans cinquante ans.
Je le répète, on s'amusait simplement, sans
arrière-pensée ni envie, l'esprit libre.
Le sapin et la crèche resteront jusqu'au 6
janvier, à la Fête des Rois mages que je te raconterai une autre fois.
IX. LA
FETE DES ROIS
Ce jour-là, Papa travaille, mais Maman m'emmène
à messe, chaudement vêtu car le froid est vif et la neige toujours là,
abondante.
Le soir, après le retour de Papa, un léger
repas, puis on s'habille à nouveau, on allume la lanterne et en route, nous
passons prendre oncle Joseph et tante Louise et nous gravissons bientôt le
fameux 'Thier-à-l'Baume"
ce qui ne fut pas une mince affaire, plutôt joyeuse, je te rassure.
En effet, vu la raideur de la grimpette où
nous sommes déjà passé en été, tu te rappelles, à tous moments l'un ou l'autre
de nous cinq tombait à genoux tellement le sentier était glissant, provoquant
chaque fois les rires. Bah, on se remettait sur pied en riant et on repartait.
Tu comprends bien que les enfants avaient glissé tout au long de la journée et
que, là où on mettait les pieds, ce n'était plus qu'un vrai miroir. Aussi,
avant d'entrer chez mes grands-parents on a consacré un bout de temps à se décrotter
et à enlever ses sabots.
Tout de suite, en entrant, une agréable
chaleur nous envahit de même que l'accueil chaleureux qui nous est réservé. La
famille est au complet excepté grand-père qui fait tourner la machine à vapeur à
Ans. Il est absent pendant toute la journée et loge à Ans car les journées de
travail sont très longues pour lui : il doit venir à son atelier pour faire de
la vapeur qui permettra à sa machine de tourner pendant des heures et, le soir,
préparer la chaudière pour la nuit. Grosse responsabilité comme tu peux te
rendre compte. Et, à cette époque, il n'existait pas de transports en commun convenable,
pour toutes ces raisons, le père de ma Maman n'était donc pas là ce jour-là.
Dans le fauteuil, trône aujourd'hui un
voisin qui a vécu au Congo, à présent Zaïre, et qui nous a intéressés par ses
histoires coloniales que j'écoutais attentivement, tu t'en doutes un peu hein
m'fi.
Grand-mère a préparé un immense gâteau des
Rois et deux grandes cafetières de café odorant et nous a fait prendre place à
table. Le gâteau est découpé sans tarder et on se met à le déguster doucement
dans l'espoir de découvrir la fève traditionnelle. Une joyeuse ambiance règne, émaillée
de plaisanteries. On profite du moment qui passe, on est heureux tout
naturellement. Et le café servi dans les tasses du dimanche est si bon. Il faut
savoir que c'est mon oncle Toussaint qui va le chercher à Maastricht pour toute
la famille et les voisins grâce au vélo gagné à un concours colombophile. Et encore
des histoires coloniales et la soirée s'achève gentiment car demain, les hommes
vont travailler. Et c'est le chemin du retour avec la lanterne allumée. Et à
nouveau les éclats de rire lors de la descente du sentier. Rires causés par les
chutes, mais cette fois ce n'est plus sur les genoux mais de l'autre côté.
Ces chutes se succèdent jusqu'au pied du
raidillon, et les rires aussi !
On arrive enfin rue Verte, chez nous, après
avoir embrassé mes oncle et tante.
A la maison on enlève ses sabots et ses vêtements
dans un joli état suite aux chutes de tout à l'heure !
Papa allume le quinquet, éteint la lanterne
et on se prépare pour la nuit, bonsoir...
Le lendemain, la crèche est remise au
grenier ainsi que les garnitures du sapin de Noël.
X. LES BOUTIQUES
Un dimanche de printemps plutôt frisquet,
nos deux petites-filles et leurs maris arrivent en voiture. Mylène et Chantal,
nos arrière-petites-filles les accompagnent. Elles ont respectivement cinq et
six ans. Toutes deux sont adorables en tous points !
Après les effusions réciproques, Chantal
exprime le désir de se rendre à la pelouse afin de jouer à l'escarpolette, une
tentation bien légitime par beau temps. Mais le froid sec ne favorise guère la
pratique de ce jeu, et toutes les deux insistent ce qui fait faire les gros
yeux des deux pères des enfants. Il faut donc leur faire comprendre qu'il y a
du danger pour leur santé.
Alors, l'aînée, Mylène me demande gentiment
:
-Pépère, raconte-nous une histoire?
-Ma foi, je n'en connais pas beaucoup...
Voulez-vous que j'allume la télévision, peut-être
le programme pourrait-il vous amuser ?
-Pas maintenant, Pépère, on aimerait mieux
une histoire de quand tu étais petit. Et toi Chanta! ?
-Oh oui, moi aussi j'aime bien. Par
exemple, je voudrais bien savoir comment on faisait ses commissions dans le temps.
Y avait-il des supermarchés comme aujourd'hui?
-Bon, allons-y. Tout d'abord, les grands
magasins où on trouve de tout, cela existait dans les grandes villes mais chez
nous, c'étaient les petites boutiques, nombreuses, qui approvisionnaient la population.
Et assez nombreux aussi étaient les gens qui ne payaient qu'en fin de semaine
quand le mari avait rendu à sa femme ce qui restait de sa paye. Car il faut
bien reconnaître qu'en ce temps-là, et pour oublier quelque peu leur sort, des
hommes ne rentraient chez eux qu'après s'être enivrés. Il était donc fatal que
le porte-monnaie soit à plat ou à peu près tout au long de la semaine.
-Et les enfants, dis Grand-Père, pour se
payer une "chique", comment faisaient-ils alors?
-Ce n'était pas compliqué : ils entraient
dans la. boutique habituelle et recevaient leur chique. On l'inscrivait à
l'ardoise plus ou moins honnêtement et, comme souvent la Maman ne savait pas
lire si c'était juste ou non, le samedi soir, elle réglait le compte et voilà.
Tout d'abord, les boutiques étaient
beaucoup plus nombreuses, les cafés aussi hélas, et il y en avait forcément un
près de chez soi. D'autant plus que les supermarchés n'existeront que plusieurs
années plus tard. Je crois que cela vous amusera d'entendre comment étaient ces
boutiques de village. Ecoutez bien. En premier lieu, près de la porte d'entrée,
l'inévitable tonneau de pétrole surmonté de sa pompe à main. Tout contre, les
sabots de bois fumés ou peints liés par des joncs d'osier. Pourquoi près de la
porte, à cause de leur odeur, pardi. Les brides sont vendues à part ainsi que
les clous de sabot à large tête, en fer bleui à chaud.
A remarquer que les sabots de femmes sont
peints et comportent de petits oiseaux, des fleurs.
Là, les vitrines sont le résumé de ce qu'on
peut acheter à l'intérieur et, le soir sont éclairées soit par des lampes à pétrole
ou même par des becs à gaz.
Outre le tonneau cité tout à l'heure, il y
a aussi le rayon qui occupe les murs. Je ne vous apprendrai rien car ces rayons
sont, comme aujourd'hui, pleins de denrées de toutes sortes. Toutefois la variété
des marchandises ne ressemblait en rien à ce qu'on voit à présent. A présent,
ce sont surtout des boîtes en carton ou en fer blanc qui s'y trouvent et qu'il
suffit de remettre aux clients. Quand j'étais petit, les marchandises se
trouvaient dans de grandes boîtes, de grosses bouteilles ou touries, des
tonnelets munis d'un robinet ou encore de grands bocaux.
Magasin de l'Union Coopérative, rue Emile Muraille. |
Pour les liquides, même chose, vous
demandez un litre de vinaigre, vous avez apporté votre bouteille vide. On y plaçait
un entonnoir sur le goulot et on ouvrait le robinet du tonnelet marqué
vinaigre. Vous voulez un kilo de savon vert : le tonneau en dessous des rayons,
une pelle plate, un morceau de papier gris sur la balance et on y déposait
votre savon. Pesée et petite "rawette". Et c'était à peu près pareil
pour tout, tout se vendait par petites quantités : deux cents grammes de tabac
pour Papa, on le pesait devant vous, comme n'importe quoi, à part, bien entendu,
les étoffes ou autres marchandises mesurables. Mais, attention, le mètre ne
servait pas toujours, la plupart des étoffes se mesuraient à l'aune, ou même,
chez certains marchands, en écartant les bras, vous voyez ?
On y pouvait également acheter des clous,
des vis, du fil de fer, de la colle de menuisier à
casser car celle en tube était encore inconnue. N'oublions pas les fruits et légumes
du pays. Mais les fruits venant de l'étranger, comme les figues, oranges ou
raisins, se vendaient peu ici parce que c'était du luxe. On avait droit à
quelques oranges à la Saint-Nicolas, c'est tout. Quant aux bananes, je n'ai pas
souvenance d'en avoir vu étant jeune enfant.
Les mineurs étaient gros consommateurs de
"rolles" de tabac. Pourquoi me direz-vous? Voici. Dans la mine, on ne
peut pas fumer à cause du grisou, un gaz très dangereux et qui n'a pas d'odeur
pour prévenir quand il y en a. Ces pauvres mineurs, qui travaillaient dans une
poussière continuelle, crachaient beaucoup afin d'évacuer le plus possible de
poussière et la "rolle" produisait la salive nécessaire à l'expulsion
de la poussière. Eh bien, toujours au même magasin, il y en avait.
Et le café, encore et toujours à peser. En
général on le moulait chez soi mais il y avait quand même un gros moulin au
bout du comptoir où l'on pouvait moudre son café en tournant la manivelle. Même
des vêtements étaient pendus à des cintres un peu partout. Nourriture pour
oiseaux, pas de problème, il y en a aussi. Un timbre pour envoyer une lettre, là
aussi il y en avait.
Les enfants pouvaient s'y procurer des
"surprises" qui étaient de beau papier crêpé enroulé. Quand on le déroulait,
on y trouvait soit un minuscule jouet, petit sifflet ou petit soldat de plomb
ou un bonbon.
Il existait pourtant certains articles en
boîte par exemple de poudre à lessiver qui renfermaient des surprises, la
plupart du temps de petits sujets en faïence ou en verre qu'on utilisait pour
garnir la maison ou, par-ci par-là, une petite auto en fer blanc.
Parfois, certains magasins avaient le luxe
d'une caisse enregistreuse, actionnée à la manivelle, elle aussi.
Le, soir, les boutiques étaient éclairées
au pétrole, mais on commençait à en voir de plus en plus éclairées au gaz
produit par le gazomètre communal où j'ai déjà vu des hommes qui jetaient des
pelletées de charbon dans les fours qui produisent le gaz.
L'éclairage au gaz était très brillant avec
ses becs Auer, faits d'une étamine enroulée en forme de manchon. D'autres se
contentaient de lampes à acétylène, encore du gaz mais produit par des morceaux
de carbure sur lequel tombait de l'eau goutte à goutte. La lumière était une
simple flamme en forme de papillon et très blanche, comme quoi si l'électricité
était presque inconnue, on trouvait quand même à faire une lumière fort
acceptable.
Et pour finir, je vous dirai que de ce temps
lointain on doit retenir une leçon, à savoir qu'un franc c'était un franc,
c'est à dire que la hausse actuelle du coût de la vie, que nous subissons,
n'existait pas avant 1914.
Et maintenant, mes enfants, assez parlé
pour aujourd'hui.
C'est bon, Pèpère, me dit Chantal, mais
veux-tu bien qu'on aille jouer à l'escarpolette ?
-Voyons, Chantal, vous savez bien qu'il
fait trop froid.
-Ce n'est rien, on se couvrira, hein Mylène.
-Allez d'abord demander à vos Mamans, ce
n'est pas à moi de décider. Encore une chance qu'il ne pleuve pas.
Et les gamines finissent par vaincre toute
résistance
XI. AMUSONS-NOUS
Aujourd'hui notre fils et notre petit-fils
sont venus et, comme c'est justement la fête de juin à Vottem, je me fis le
plaisir d'y conduire le petit Xavier. A mon étonnement, il a très peu participé
aux attractions foraines, préférant regarder les autres...
De retour chez nous, c'est lui qui raconte
en détail ce qu'il a vu au cours de la promenade. Puis il demande à ma femme si
les autos scooters existaient dans son jeune temps. Réponse : cela n'existait
pas mais on avait d'autres moyens de s'amuser. D'ailleurs, demande à Pèpère
qu'il t'en parle, moi, je vais préparer quelque chose de bon pour souper, tu
seras content, tu verras.
-Oui, Grand-mère, c'est vrai, on est
toujours gâté par toutes les bonnes douceurs que tu fais. Je parle sérieusement
tu sais ! Alors, Pèpère, tu veux bien ?
-O.K., en attendant le souper, je m'en vais
te raconter de quelle façon on se distrayait quand nous avions ton âge. Je t'ai
déjà parlé des jouets, aujourd'hui occupons nous de la fête à La Préalle, mais
auparavant, je crois t'avoir déjà dis que mon Père jouait fort bien de l'accordéon
à deux rangées et douze basses, et aussi de la flûte à six trous, en fer blanc
qui ne coûtait que quelques francs. Maman, de son côté, ne chantait pas mal du
tout, avec une voix juste.
Voici encore une autre source de plaisir, écoute.
Je veux parler des aubades. Dès le retour du printemps, le soleil était au
rendez-vous. En effet, avant 1914, le temps était beaucoup plus stable. A
partir du mois d'avril, le soleil nous envoyait ses rayons à peu près
journellement. Une ondée de temps à autre pour remplir les tonneaux, c'est tout
!
L'air aussi était plus pur, le mot
pollution ne voulait rien dire du tout, on respirait un air propre, voilà tout.
Tous les dimanches, tout au long de la
matinée, on entendait l'Harmonie Ouvrière de La Préalle qui distribuait à la
ronde ses joyeux "flonflons" pour notre plaisir à tous. Elle se
promenait en jouant des airs populaires que l'on reprenait volontiers en chœur.
De la musique, du soleil, quoi de plus ? La bonne humeur régnait et, bien
entendu, c'est principalement devant les cabarets que les aubades avaient lieu.
C'est à pleins poumons que sortaient des instruments les valses, les polkas,
scottishs, et mazurkas, sans oublier les marches, bien sûr.
Nous, les gosses, on ne les lâchait pas, tu
penses. Fort souvent, des badauds s'offraient un tour de danse en pleine rue
car le dimanche, la circulation était retombée à zéro. Lorsque venait l'heure
de rentrer chez soi pour dîner, les oreilles étaient remplies de musique, malgré
les années, je n'ai pas oublié certains airs que j'ai écoutés avec plaisir...
Et la fête paroissiale, c'était formidable,
écoute bien. On s'y préparait des mois à l'avance en mettant de côté sou par sou.
Les cabarets tenaient des cagnottes pour la fête. La semaine précédant la fête
voyait un branle-bas général. C'est à qui ira à Liège, rue Surlet ou au Drapeau
Belge, place
Saint-Lambert, acheter un costume à prix raisonnable. Un peu
partout, le bruit des machines à coudre qui laissait espérer de belles robes
pour la procession !
A gauche, à droite, les fenêtres et les
portes recevaient une couche de peinture. Aussi, quelle affaire, attention à la
couleur, on n'entendait plus que ça ! Que de jurons ai-je entendus proférer à
cause de gosses trop curieux !
Le samedi et le dimanche, très tôt, la rue
connaissait une animation assez spéciale, en effet, il s'agissait d'une vraie
ruée des ménagères les bras chargés de tartes amoureusement préparées à la
maison. Il fallait encore les cuire. Pour cette délicate opération, elles
avaient recours aux bons soins du boulanger Alexis Péturkenne, place de Paepe.
On ne mangeait de la tarte qu'à la fête, ç'eût donc été une catastrophe de les
rater !
Aussi, le pauvre boulanger passait une
semaine d'esclave. Et malgré tout, il réussissait assez bien à satisfaire son
monde, grâce à son courage et sa bonne volonté.
Pendant ce temps, nous les gosses, on court
assister à l'arrivée des baraques tirées par des chevaux exténués. C'est que ça
monte pour atteindre La Préalle ! Il y avait aussi les locomobiles à vapeur qui
traînaient plusieurs roulottes au rythme de leurs bielles et du volant tournant
à toute vitesse au-dessus de la chaudière que le conducteur rechargeait tout en
conduisant d'une main la lourde machine.
Dès leur arrivée, déchargement, et commençait
le montage, sous nos regards émerveillés, des diverses attractions qui allaient
faire notre bonheur toute une semaine !
Je le répète, on se contentait de peu, on
n'était pas blasé et je crois que c'est mieux ainsi !
Et l'on parvient enfin au grand jour, c'est
la fête !
En ce premier dimanche d'août, le soleil
est tôt levé et brille déjà dans un ciel d'azur. Aussitôt levés que lui, des
gens font la queue à la pompe pour faire la provision d'eau car il ne s'agit
pas de remplir cette corvée revêtu de son nouveau costume ou de sa nouvelle
robe !
Il y a aussi le va-et-vient des femmes
rapportant les tartes cuites par Péturkenne qui a travaillé toute la nuit!
Puis ce sont les communiants de l'année
dans leurs beaux costumes. Les plus gâtés ont des longues culottes, voyez-vous ça
! Les filles ont remis la robe de communiante et le voile, ce qui les fait ressembler
à de jeunes mariées. Maman, Papa et moi, on est également rhabillés de neuf à
l'occasion de ce beau jour.
Ensemble, nous allons à la messe où nous retrouvons
nos proches parents. L'église est garnie somptueusement et la foule remplit
toutes les places. L'office ne dure guère, et la bénédiction à peine donnée,
les trois prêtres et les dix acolytes rentrés à la sacristie, l'assistance sort
en hâte et la procession se forme sous l'oeil vigilant des Maîtres de Confréries.
Sans plus tarder, éclate une formidable pétarade qui fait aboyer tous les
chiens des environs.
Tous les groupes sont en place, une fanfare
attaque une marche de circonstance et on démarre. Bientôt, ce ne sont plus que
bannières, oriflammes, et drapeaux multicolores qui surnagent la foule recueillie
marchant lentement. Plusieurs fanfares scandent à tour de rôle les marches
appropriées. Sur le parcours, pas une maison qui ne soit garnie par un drapeau,
des fleurs, des images ou statues pieuses. Le sol est jonché de fleurs en signe
de dévotion et les fenêtres grandes ouvertes laissent voir les plus beaux
chandeliers qui illuminent ce qu'il y a de mieux en Christ, statues ou autres
images religieuses, le tout très bien fleuri.
La procession durait environ quatre heures
car le parcours était long. Il faut savoir qu'alors le problème de circulation
n'existait pratiquement pas et personne ne s'en portait plus mal pour cela, oh
non !
A la rentrée à l'église, nouvelle débauche
de bruit : les boîtes à feu, qu'on appelle ici les campes, éclataient
pour saluer l'événement qui se terminait et annoncer le début des festivités.
Les orchestrions se déchaînent à leur tour, c'est la fête qui commence. Vive la
fête !
Et c'est le retour à la maison, le remue-ménage
commence, on sort la vaisselle de gala précieusement qu'on dispose délicatement
sur la belle nappe des grands jours. C'est moi qui ai l'honneur de placer les
couverts !
Une deuxième table reçoit les mêmes soins
et Maman arrange sur chacune un bouquet au parfum délicat. Je suis tout fier
quand Papa me prie de disposer les serviettes. Mais il est temps d'aller à la
gare pour recevoir mes grands-parents
de Tongres, dont je suis le filleul. J'ai reçu le prénom de parrain:
Alphonse. Le train arrive et, sitôt arrêté, les voyageurs pour La Préalle sont
reçus à bras ouverts. C'est avec joie que nous courons embrasser nos bons vieux,
et on revient doucettement chez nous où, bonne surprise, les autres invités
sont déjà à nous attendre. Qu'il est doux de se trouver ainsi rassemblés un
jour de fête !
Tout le monde parle en même temps, on est
heureux. Mais un cri perçant calme tout le monde comme par miracle: c'est Maman
qui demande qu'on se mette à table.
Jongleur, La Batte, 1900. |
En rue, brouhaha des gens contents, c'est
la fête !
Mon parrain fut le premier à féliciter
Maman, car quoique résidant à Tongres, il parlait parfaitement le français. Les
autres convives ne ménagèrent pas non plus leurs compliments. Les éloges, Maman
les méritait, parce que, bien que ne disposant que des revenus forts limités de
cette époque, elle avait réussi un exploit gastronomique.
Mon cousin Omer, d'Ougrée, mon aîné de deux
ou trois ans me demande de l'accompagner à la découverte du champ de foire.
Nous nous promenons tout doucement, pour voir...
D'abord, place Cesar de Paepe, le
magnifique carrousel Speckstadt, tout brillant de ses nombreux cuivres et de
miroirs encastrés tout autour. A l'extérieur, une série de colonnes en bois
sculpté et peint supporte les guirlandes de lampes. Au-dessus de chaque
colonne, une grosse boule contient une lampe à arc. Je n'en avais jamais vu. Il
tourne déjà, entraîné par une machine à vapeur, étincelante, commandée par un
machiniste impeccablement propre, en tenue bleue. L'orchestrion joue des airs
de musique alerte. Omer lit une pancarte : la course, cinq centimes !!! Ne fais
pas ces yeux-là, c'était le prix alors.
Un coup de sifflet et ça démarre, les
chevaux, les barquettes. Tout cela dans le chatoiement des couleurs et du
soleil. C'est un régal pour les yeux et les oreilles. A l'écart, la locomobile
qui a amené les roulottes est au repos.
C'est elle qui produira l'électricité, au
soir. A noter que j'avais hâte d'être au soir car, je n'avais jamais vu de
lampe électrique auparavant !
La Petite-Suisse 1922 (Dans les années 50, lors de la Fête à Herstal, elle se trouvait à côté de l'Ecole Ménagère rue Faurieux). |
Omer et moi franchissons le passage à
niveau et empruntons la rue Charlemagne qui longe le charbonnage dont on ne
voit plus le mur tant sont nombreuses les loges foraines: fritures,
croustillons, chiens savants, des chanteurs avec accordéon, loteries d'œufs
cuits durs, les voyantes, le petit Robert, diablotin de cinq centimètres qui
baigne dans un gros tube plein d'eau. Le sommet du tube est un coffret qui
contient des feuilles prédisant l'avenir (!). Bien sûr, personne n'y croit mais
on donne quand même ses dix centimes afin de rire un bon coup en lisant le
papelard. Un camelot hurle les vertus de son thé qui guérit tout ce qu'on veut
cependant que l'oiseleur est fier
de sa collection d'oiseaux de toutes les couleurs. Et la foule déambule à son
aise car la rue est libre de toute circulation puisque les autos, ce sera pour
plus tard !
Un deuxième passage à niveau et nous voici
place Oscar Beck qui constitue le cœur de la fête car, outre les attractions
foraines, il y a aussi la guinguette où l'on danse au cachet, c'est à dire que
chaque danse se paie cinq centimes par couple à des "lèveux
d'catchet"
Pour ne pas inquiéter nos parents, nous rebroussons
chemin et rentrons mais nous reviendrons au soir afin de jouir du spectacle féérique
des lampes à arc éclairant le carrousel comme en plein jour. En outre, nous
n'avons pas vu tout: il y a encore la place de l'église où se trouve le
magnifique carrousel de Van Heer. C'est là que la salle Tinlot offre un bal à
grand orchestre.
A peine rentrés, la famille nous questionne
sur le résultat de notre promenade, et on nous félicite parce que nous n'avons
rien dépensé! Nous serons récompensés le soir parce que nous serons au complet.
Arrive l'heure du goûter; tartes au riz,
aux fruits, crème délicieuse, café extra. Que tout cela est bon, si bon que ça
n'arrive qu'une fois par an, à la fête !
Tout doucement, le soir descend. A nouveau
nous visitons la fête et c'est à qui nous paie des tours de carrousel et
autres. Il y a même une balade à bord d'un petit cabriolet tiré par un poney à
plumet.
Partout c'est la folie: confetti,
serpentins, musique, chants. Les cafés regorgent, on est heureux, c'est fou et
si beau de voir le peuple se distraire à la bonne franquette !
En passant en face de la guinguette, on
entend les flonflons de l'accordéon renforcé d'un cornet à pistons qui lance à la
ronde ses valses, polkas, mazurkas pendant que les couples évoluent gracieusement.
Pas de rock'n'roll alors.
Comme on rentre tard à la maison, pas
question de retourner à Ougrée ou Tongres, il n'y a plus de train. Alors, on se
débrouille, une partie des invités dormira chez nous, une partie chez oncle
Joseph et le reste couchera au Thier-à-l'Baume chez mes grands-parents
maternels.
Le lundi, après un bon déjeuner, les invités
retournent après de multiples embrassades et promesses de se revoir !
Dans l'après-midi, ce sont les Confréries
qui ont participé à la procession du dimanche qui font le tour du hameau au son
de l'Harmonie Ouvrière, ce qui donne lieu à de nouvelles sorties de gens. Un
peu partout des cramignons se forment tant pour les jeunes que pour les vieux.
C'est la fête!
Après le souper, nouvelle incursion sur
champ de foire et cela dure toute la semaine avec chaque jour une attraction
différente: jeux populaires, concours de chants, etc..
Et la semaine s'achève le dimanche de
l'octave par une grande démonstration des sociétés de gymnastique venues d'un
peu tous les coins de la région.
Tard, c'est la clôture du champ de foire
dans l'allégresse!
Et le travail reprend courageusement, les
baraques s'en vont ailleurs et les cagnottes rouvrent leurs tiroirs afin d'y
déposer les cotisations pour dans un an...
La fête annuelle a vécu. Vive la fête !
Mais avant de terminer ce chapitre, je m'en
voudrais de ne pas faire une juste place à certains des jeux évoqués et qui
méritent de ne pas sombrer dans l'oubli.
Il y avait foule pour regarder les
audacieux grimpeurs qui s'acharnaient contre ce maudit savon qui freinait leur ascension
vers le magnifique jambon ou l'un des trois lots pendus au croisillon fixé au
sommet du mât. Et ces garçons avaient beau serrer le mât dans leurs bras, fort
souvent, c'était le retour à terre pas toujours en douceur ce qui provoquait
inévitablement le fou rire des spectateurs mais aussi les applaudissements chaque
fois qu'un lot était décroché et descendu à bras tendus par le triomphateur.
N'oublions pas non plus la course en sac.
Là alors, on état en pleine folie. Donc les concurrents devaient se placer dans
un sac qui leur venait jusqu'à la ceinture, tenir en bouche une cuiller dans laquelle
on disposait un œuf.
Au signal du départ, chacun se lance vers
le but à atteindre en oubliant le sac qui entrave la marche et les chutes en série
donnent des tableaux indescriptibles au grand dam des joueurs et à l'hilarité
de la foule qui se tord littéralement de rire devant ce spectacle.
Et la pêche dans les plumes, vous
connaissez ?
Et bien voilà ce que c'est. Imaginez un van
pas trop profond.
-Qu'est ce que c'est Pépère, un van ?
-Il s'agit d'un large panier plat dans
lequel on versait le blé fraîchement battu et qu'on agitait en vue d'en écarter
le restant de paille qui couvrait les grains, et voilà !
Ce van était plein de plumes et au fond, il
y avait des pièces de monnaie qu'on devait attraper par la bouche. Mais les
joues étaient couvertes de sirop. Alors imaginez un peu la figure des amateurs
avant d'avoir mordu la pièce convoitée... Là encore, la rigolade était
générale.
Comme je vous l'ai déjà dit, jadis, on
s'amusait à bon compte et personne ne s'en portait plus mal.
-Grand-père, tu ne saurais imaginer combien
ce que tu viens de raconter m'a fait plaisir. pourtant je me pose une question
sans parvenir à y répondre.
-Eh bien, mon petit, dis-moi ce qui te
tracasse.
-Voilà, jusqu'à présent, tu dis que les
gens de ton époque devait tirer leur plan parce que l'argent était assez rare
dans la classe ouvrière. Aujourd'hui, tu viens de raconter que la fête attirait
beaucoup de monde et que les attractions foraines plus les cafés et les salles
de danse ne désemplissaient pas. Là, je ne comprends plus.
-Et j'approuve ton observation car la fête
de nos jours n'est plus qu'un pâle reflet des précédentes. Ceci pour plusieurs
raisons. Dans mon enfance et aussi après, on ne connaissait pas les multiples
occasions de dépenser de l'argent pour le plaisir. Rappelle-toi ce que j'ai
déjà dit. A savoir que les natifs du début de ce siècle n'avaient pas à leur
convoitise ce que nous trouvons maintenant tout à fait naturel.
Ensuite, on se contentait de peu, on
n'avait pas encore le cerveau farci de publicité tentatrice.
Une autre caractéristique consistait en la
stabilité de la monnaie : un franc restait un franc ce qui veut dire que
quiconque avait la volonté et la chance d'épargner sou par sou un petit pécule
en vue de la fête avait la certitude de retrouver ce pécule ayant gardé sa
valeur. Le mot inflation ne signifiait rien du tout. Bref, la vie était moins
chère.
-A propos, quel âge avais-tu pour que tes
parents te laissent aller dans la foule accompagné seulement par ton cousin à
peine plus âgé que toi ?
-Je venais d'avoir cinq ans.
-Et tu n'allais pas à l'école gardienne ?
-Si, Maman m'y a conduit, nous verrons cela
ensemble à ta prochaine visite.
XII. L'ECOLE
En réalité, je n'ai fréquenté l'école
gardienne que pendant quelques mois. Mais lorsque j'eus atteint mes six ans,
Maman m'a conduit à l'école catholique à la rentrée en septembre 1913, juste un
mois après la fête à La Préalle.
Est-ce que tu te souviens encore d'aussi
loin ?
-Ma foi, oui, assez bien en tous cas.
-Dans ces conditions, raconte un peu, ce doit
être intéressant.
D'accord, mais la table est bientôt servie.
Les autres vont arriver, nous souperons ensemble.
En effet, la porte s'ouvre et, dans un
joyeux brouhaha nos enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants nous
sautent au cou et nous embrassent affectueusement.
On se met à table, heureux de nous voir
réunis, et à peine le repas terminé, Xavier chuchote à l'oreille de ses cousins
en me montrant du doigt quelques mots que Chantai a prononcés tout haut.
-Dis, Grand-Père, raconte...
Le plus jeune, David, demande ce qu'il y a.
On lui explique et les enfants me suivent au jardin où la pelouse leur offre
de quoi s'asseoir en m'écoutant calmement.
-Hé bien, mes enfants, tout d'abord, les
vacances ne duraient qu'un mois, le mois d'août. D'ailleurs, rare était celui
qui jouissait de vacances, à part les écoliers.
Ce n'est qu'en 1936, après une grève féroce
au cours de laquelle sept ouvriers furent tués que les congés ont été accordés
aux travailleurs. !
Donc, le premier lundi de septembre 1913,
en culotte courte et tablier en satin noir, mallette en cuir au dos, Maman
m'amène à l'école Saint-Louis dirigée par des religieuses. Accueil affable de sœur
Gabrielle. Maman me serre dans ses bras comme pour un grand départ, la larme à
l'œil et sœur Gabrielle me conduit dans la classe de première année où
l'instituteur, Monsieur Hariga, me reçoit par une vigoureuse poignée de mains.
Un bien brave homme!
A noter qu'il ne possédait pas de diplôme
d'enseignant, ce qui ne l'a jamais empêché de former de bons élèves. Il a
exercé jusqu'en 1919, car alors, il a été obligé de quitter sa chère école et
ses élèves qu'il aimait tant ! Le pauvre homme n'a pas survécu longtemps à sa
peine...
C'est parce qu'une loi venait d'être adoptée
qui ne permettait la fonction d'enseignant qu'aux seuls porteurs du diplôme
officiel.
Pour pourvoir à sa subsistance et celle de
sa famille il s'est fait marchand de lait de porte à porte, avec une petite
charrette à bras, mais son chagrin l'a emporté. Paix à son âme!
A remarquer qu'outre son travail
d'instituteur, il était aussi sacristain de la paroisse, ce qui fait qu'à cause
de mariages, obsèques, etc..., il confiait la classe à sœur Gabrielle qui
s'acquittait fort bien de sa mission de remplaçante, et nous racontait parfois
de belles histoires.
A cette époque, la consommation de papier
n'était pas très importante car on utilisait pour apprendre à écrire, les
ardoises en véritable ardoise naturelle, soit, le plus souvent, en carton
recouvert de doucine noire mate. De cette façon, il suffisait d'effacer à
l'aide d'une éponge ou d'un chiffon ce dont on n'avait plus besoin.
Ce n'est qu'après s'être exercé de la sorte
que l'on recevait un cahier pour écrire à l'encre ce qui n'allait pas sans problèmes
puisque les stylos et encore moins les pointes Bic n'existaient pas. Alors ?
D'abord les ardoises, pour écrire dessus, on se sert d'une touche qui écrit en
gris clair, facile à effacer, mais qui cassait vite.
Pour le cahier, il y a le crayon, naturellement.
Mais on calligraphie surtout à l'encre. Pour cela, on recevait un fin
porte-plume en bois coloré dont un des bouts était pourvu d'un manchon en tôle
mince dans lequel on enfonce une plume en acier (marque Ballon). Il n'y avait
plus qu'à tremper la plume dans l'encrier encastré dans le banc. Il y en a
autant que d'élèves, bien sûr !
Mais ces plumes s'usaient vite. Il fallait
demander au Maître une autre, comme pour l'encre que le Maître devait remettre
dans l'encrier, si nécessaire.
Voyons les mallettes, on les portait au dos
par des brides passant sur les épaules, on avait ainsi les mains libres, ce qui
est pratique, surtout en hiver.
Les jeux de la récréation n'ont guère
changé. Mais je crois bien faire en vous donnant quelques détails à propos des
billes dont j'ai un peu parlé l'autre jour.
Celui que je préférais est le jeu dénommé
en wallon " à l'deîe ou à l'potte", voici en quoi cela consiste : il
faut, en premier lieu, tracer une ligne droite à même le sol puis, à quatre ou
cinq enjambées, creuser une petite cavité, une "potte" d'environ dix
centimètres de diamètre. On s'accroupit à la ligne en tenant la bille entre le
pouce et l'index, le poing collé au sol. On lance la bille avec le pouce et
c'est le premier qui parvient à introduire sa bille dans la "potte"
qui gagne. Le perdant remet une bille. Une autre manière est de lancer sa bille
vers un cercle tracé à terre, mais là, on reste debout. On pouvait aussi tracer
un serpent fait de deux lignes avec plusieurs courbes. L'écartement entre les
deux lignes ne doit pas dépasser dix centimètres. La longueur, environ quatre à
cinq mètres. Le jeu consiste à atteindre le plus rapidement possible la queue
du serpent ceci sans jamais sortir du tracé et je vous assure que ce n'est pas
facile parce que chaque joueur se hâte pour terminer le premier son parcours
et, à cause des courbes, vous voyez ce que je veux dire ?
Les filles sautaient à la corde exactement
comme à présent ou jouaient gracieusement au "tahai"(marelle)
Et la récréation finissait toujours trop
tôt à nos yeux. C'est ainsi que je me suis très vite habitué à l'école, ce dont
je garde un excellent souvenir.
Monsieur le curé Servais ou Monsieur le
vicaire Gonissen venaient régulièrement nous parler de religion car il ne
fallait pas oublier les prochaines communions de sept ans, l'âge de raison, à
ce qu'il parait...
C'est au cours de cette année-là que nous
avons quitté la rue Verte pour habiter une maison rue des
Vergers, qui est beaucoup plus près de la gare.
Tant mieux pour papa, et pour maman et moi
également car, dans cette rue habitent mes oncles Toussaint et Joseph. Bien
entendu, je continue à fréquenter l'école de la Préalle.
C'est là que saint Nicolas m'a apporté un
vélo à trois roues, tout en fer, pas de pneus, seule la selle est en bois. A
part les jours de neige, j'adorais rouler sur la terre de la rue malgré les
nids de poules très nombreux.
En même temps, le grand saint a apporté un
uniforme de "piou-piou", soldat du 12° de Ligne caserné à Liège.
Beau drap gros bleu bordé de rouge ainsi que le béret à floche rouge assorti.
En dehors de cet uniforme, je n'ai jamais voulu de jouet guerrier, je les ai en
horreur!
Le voisinage de mes oncles et tantes m'a
été des plus favorable. En effet, comme il n'y avait que moi d'enfant à gâter,
je leur suis reconnaissant de m'avoir choyé de trente-six façons : me
rhabiller, car je grandissais, m'emmener au cinéma voir Charlot, Tom Mix,
etc..., ou encore voir des cavalcades comme on n'en fait plus tant c'était superbe,
des cortèges (on ne connaissait pas les majorettes en ce temps-là), des
démonstrations de vol d'aéroplanes qui constituaient les débuts de l'aviation
actuelle.
Toujours à cette époque, il n'était pas
rare de voir voguer dans le ciel de longs cigares qui ronronnaient : les
ballons dirigeables qu'on ne voit plus à présent. Pareil pour les montgolfières
qu'on regarde filer dans le ciel au gré du vent... Il y avait même la "Coupe Benett"
qui récompensait celui qui allait le plus loin.
Parfois, une automobile pétaradante faisait
se tourner toutes les têtes avec une visible méfiance. Dame, des engins qui
roulent comme ça, sans cheval, c'est tout de même un peu diabolique ! Du moins
le pensait-on alors.
Encore une remarque importante les habitations
étaient beaucoup moins nombreuses, les buildings ne sont venus que des années
plus tard. Par contre, les enfants disposaient de grands espaces pour jouer au
grand air sans parler des rues où la circulation se limitait à quelques
charrettes par jour !
C'est ainsi que, le long de la "rue
des Vergers", existait une vaste briqueterie où l'argile abonde. Les
gamins du quartier y creusaient des souterrains dans lesquels ils s'abritaient
en cas de pluie pour y jouer aux cartes ou y tenir des conseils de guerre en
vue d'attaquer les enfants des quartiers voisins à coups de pierres. Je n'ai
jamais participé à ce genre de chose, Dieu merci !
Entre ma cinquième et ma septième année, ma
famille a eu deux immenses joies: la naissance de ma petite cousine
Marie-Louise et de mon cousin Léon, tous deux décédés, hélas; qu'ils reposent
en paix !
Comme nous habitions plus près de la gare,
Maman me prenait assez fréquemment avec elle porter le souper à Papa, souper
qu'il avalait entre deux trains à manœuvrer. Le trafic ferroviaire était très
florissant alors, tout comme la batellerie d'ailleurs, entre autres, les bateaux-mouches,
toujours bien fournis en voyageurs.
Je ne saurais dire le nombre de fois que
mes parents et moi avons remonté la Meuse pour aller chez Tante Marie et oncle
Léon à Ougrée, en passant par Kinkempois où des voyageurs descendaient afin de
se rendre dans les guinguettes fleuries le long du fleuve. C'était si beau !
D'autant plus que de chaque guinguette
sortaient les accents d'une joyeuse musique de danse. A remarquer que le bateau
mouche fonctionnait à la vapeur donc il était moins bruyant, c'est pourquoi on
entendait très bien la musique.
Au débarcadère d'Ougrée, il y avait
toujours mon cousin Omer qui nous attendait pour nous amener chez lui. Ses
parents tenaient une teinturerie assez prospère. C'est au cours d'un de ces
voyages (car c'en était un) que mon cousin me montra un stylographe que son
père, mon oncle Léon, lui avait acheté. Je pense que je dois vous dire deux
mots car il n'y avait aucun rapport avec les stylos de précision actuels. Celui
que j'ai vu et essayé est en celluloïd noir. A un bout, un bouton qu'on tourne
afin de remplir le réservoir, en trempant l'autre bout dans un encrier. Ce
bout-ci est pourvu d'une plume exactement comme les autres qui est alimentée en
encre par un fin tuyau. En principe, c'est bon mais, en fait, ou bien l'encre
arrive mal ou elle vient trop vite et c'est une belle tache !
Mon cousin avait la chance d'habiter dans
une rue pavée et qui avait de beaux trottoirs, c'est la rue de la Station. Il
pouvait donc se livrer à un jeu que je ne possédais pas : le
"frikander".
-Qu'est-ce que c'est, Pépère ?
-Ma foi, c'est un peu une espèce de
"go-kart".
Pour le faire avancer, il y a deux leviers
reliés à deux bielles, de simples barres de fer dont le bout tourne autour de
l'essieu arrière qui, lui, a la forme d'un double vilebrequin. Les roues sont
en bois couvert d'une bande en fer. On a donc les deux mains occupées et vous
allez vous demander comment on dirige. Voici : l'essieu avant pivote sur un
axe, on pose les deux pieds sur l'essieu et on conduit avec les pieds.
On organisait même des courses et je vous
assure que les possesseurs de ces engins s'acharnaient de toutes leurs forces
dans l'espoir d'arriver le premier!
Caisse à savon |
-Mais, Pèpère, n'était-ce pas dangereux,
après tout, les trottoirs ne sont pas partout larges assez et, rouler dans la
rue, parmi les autos...
-Mes enfants écoutez bien ceci. Quand
j'étais petit, il n'y avait de trottoirs qu'à la grand-rue. Ailleurs, c'était
de simples accotements, derrière les rigoles rarement propres car il n'existait
que de rares égouts. Le danger de jouer en rue était plutôt minime parce que, à
part les artères de grand trafic, la circulation dans les quartiers servait aux
véhicules de livraison : marchands divers dont je vous ai déjà parlé. Traction
chevaline presque exclusivement.
Il est pourtant bon que je vous dise le
fantastique changement qui s'est opéré dans la physionomie de Herstal, un peu
partout du reste avait lieu le même phénomène. Par exemple le quartier des
Foxhalles dont fait partie la rue des Vergers où nous habitions alors. Pendant
des siècles, ce quartier ne comptait que des prés, des talus, des briqueteries car
l'argile abondait par là. A peine quelques bicoques et, un peu partout, des
moutons et des chèvres paissaient tranquillement.
Mais lorsque l'usine Pieper fut construite
pour fabriquer ses célèbres fusils et munitions de chasse Bayard, tout le quartier
changea d'aspect. On transforma les sentiers en rues le long desquelles des
maisons poussèrent comme des champignons, ceci pour loger une partie du
personnel. Une bonne partie du nombreux afflux des travailleurs occupés dans
cet établissement venait de plus loin, soit en train ou à vélo.
Juste à côté de l'usine, c'est la gare.
L'entrée se trouve rue Petite
Foxhalle, elle aussi, animée par la fonderie Remy, où, les ouvriers,
couverts de tabliers en cuir, semblaient des démons, éclairés par la fonte en
fusion, jaillissant des cubilots dont les flammes sortaient par la cheminée.
En face, le transporteur Van der Maat, ses
camions, ses chevaux. Des forgerons, des armuriers, des boutiques, des cafés.
Je vous assure qu'alors Herstal et La Préalle connaissaient une activité débordante.
Beaucoup de métiers à domicile, les limeurs des cadres de vélo, les armuriers,
les limeurs de quincaillerie, de pièces d'attelage, les émailleurs et encore
d'autres, tout ce monde créait une ambiance joyeuse.
Les bruits également étaient différents.
Chaque atelier possédait un sifflet ou une cloche, les rues pavées, les roues
en fer, les sabots des chevaux, les sifflets des locomotives de la gare, sans
oublier les chants des oiseaux, plus nombreux qu'aujourd'hui.
La gare connaissait une grande animation,
les autobus n'existaient pas.
Après les petites "baumes" ou
bures dont je vous ai parlé l'autre jour, et disparues depuis longtemps,
Herstal a compté quatre vrais charbonnages, disparus eus aussi depuis peu.
-Tu t'en souviens encore, Pèpère, comment
étaient leurs noms ?
-Certes, ce n'est pas si vieux, j'en
connais les noms et je ne suis pas le seul, oh non.
-Alors, dis-les nous, Pèpère.
Volontiers, d'abord le premier disparu, Abhooz
ou Basse-Campagne, situé le long du canal Liége Maastricht. J'y suis allé
plusieurs fois chercher de la houille à l'aide d'une charrette à bras. Toujours
au bord du canal, Bonne-Espérance,
plus imposant, où j'ai travaillé comme ajusteur d'atelier durant la guerre
40-45. Egalement rasé. Il n'en reste rien. Ensuite la Belle-Vue et Bienvenue,
abandonnée telle quelle. Ses ruines sont toujours là, comme un reproche, sa belle
fleur semble défier les auteurs de sa misère!
C'est la Petite-Bacnure, témoin de mon
enfance qui a cédé en dernier lieu. Seul, l'immense terril monte la garde, tel
un mausolée.
Incohérences incompréhensibles : on fait
venir des immigrés. Après quelques années, on ferme les houillères qui en
occupaient un grand nombre!!! Non seulement les gens dont les charbonnages
étaient le gagne-pain sont réduits au chômage, mais les industries annexes, les
négociants, les transporteurs et j'en passe, subissent un gros préjudice.
Une courte anecdote: pour venir ici, vous
passez rue Hayeneux
et, face aux ruines de la Belle-Vue, existe un terrain vague.
-Oh oui, crie David! Je sais où tu veux
dire, Pèpère.
-Eh bien, là se trouvait le terril et une
passerelle passait au dessus de la rue. Des femmes poussaient des wagonnets à
bascule afin de vider au terril les résidus provenant du triage. Ces
malheureuses étaient vite noires de poussières, sans parler de celle qu'elles
avalaient. Et cela pour un salaire de famine!
Charbonnage d'Abhooz |
Certes, ça évite de faire le tour par le
pont de Wandre. Toutefois, lorsque le siège de Cheratte ne parvenait pas à
suivre le chargement des péniches, on ne se gênait pas de faire entrer dans une
benne du téléphérique deux jeunes ouvrières afin d'aller aider les femmes au
triage de Cheratte. Votre Mémère vous parlera de sa peur à elle et à sa
compagne en survolant la Meuse pendues à un fil! Et si ça cassait jamais ?
Autre caractéristique de notre enfance: les
oiseaux. Ils étaient beaucoup plus nombreux avant l'usage des pesticides dans
les champs, cause de leur perte.
Des races entières ont disparu de cette
façon...
D'autre part, on ne s'ennuyait jamais, il y
avait tout le temps quelque chose à faire: les devoirs d'abord et les leçons,
aller chercher de l'eau à la pompe, cueillir de l'herbe pour les lapins, faire
l'une ou l'autre commission et, après tout cela, jouer un peu.
Bien sûr, vous faites ça aussi, mais
n'abusez surtout pas de la télévision, croyez-moi, je sais ce que je dis!
Je venais d'avoir sept ans et on me
préparait à la prochaine Communion Privée. Elle a eu lieu en avril 1914 en
présence de toute la famille d'où très bon souvenir.
A la même époque; j'aimais me promener dans
la grand-rue, fasciné par l'intense charroi: les attelages, les trams et
parfois, un camion automobile dont les pneus arrière se composaient de caoutchouc
plein, cela sur les pavés, vous vous rendez compte!
Et le soir, les becs de gaz faisaient
briller les étalages des magasins bien plus nombreux qu'aujourd'hui.
C'est surtout ceux de chez Vool, presqu'en
face de la rue Piedboeuf (à présent rue Jean
Lamoureux) qui avaient le plus d'attrait aux yeux des enfants par
son choix de jouets de toutes sortes pour filles et garçons.
Le dimanche, nous assistions à la messe à
l'église Saint-Lambert. Messe chantée en latin avec les chœurs et l'orgue. Le
sermon se prononçait du haut de la chaire de vérité. Il y avait également un
personnage à ne pas oublier: le suisse vêtu comme un général, coiffé d'un
bicorne et tenant majestueusement une hallebarde, qui rehaussait la dignité du
lieu. C'était toujours très beau!
Puis la remise des prix, la fête de La
Préalle, et les vacances, bref, le bonheur sur toute la ligne !
Tout cela était trop beau pour durer, hélas
! Le ciel bleu de mon enfance se chargea de lourds et sombres nuages signe
d'une prochaine catastrophe dont je vous raconterai les péripéties un autre
jour.
Lors d'une visite de nos chers petits sans les
parents, comme il faisait un beau soleil, nous décidâmes d'aller au Cimetière
de Rhées sur les tombes de nos chers disparus. Par la même occasion, recueillement
aux monuments militaires.
A ce moment, les garçons nous ont posé des
questions relatives à la guerre :
"Dis, Grand-Père et toi Mémère, nous
voyons souvent à la télé des films de guerre, mais ne sont-ce pas des histoires
purement imaginaires. Je ne peux pas croire que des gens qui ne se connaissent
pas s'amusent à s'entretuer sans même savoir pourquoi. Qu'est-ce que ça veut
dire tout cela ?"
-"Hélas, mes enfants, ce n'est pas du
cinéma. Les guerres ont de tous temps été provoquées par des fous sans
conscience la plupart du temps en vue de s'emparer du bien d'un autre. Tuer et
détruire est la raison d'être de ces gens mauvais par nature et terriblement
malfaisants."
-"Alors racontez-nous ce que vous
savez à ce sujet."
Conquête de la forteresse belge de Liège. |
Mon épouse et les deux fillettes ont
préféré aller chercher des fleurs, ce qui est bien naturel sous un beau ciel
bleu ! Et, bien installés dans l'herbe du talus, les garçons me regardèrent
d'un œil quémandeur.
-"Alors, ça va, vous m'écoutez ?"
-"Oh oui, Pépère, vas-y."
Cimetière de Rhées, Herstal |
L'anxiété se changea vite en sinistre
certitude : la frontière venait d'être franchie par une forte armée allemande qui
bousculait tout en dépit du courage des soldats belges. Ceux-ci ont opposé une
résistance digne d'éloges mais les attaquants étaient beaucoup trop nombreux et
mieux armés. Impossible de contenir ce flot de sauvages déchaînés, fous furieux.
A mesure qu'ils avançaient, ils tuaient
sans pitié. A leurs yeux, les gens qui fuyaient devant eux n'étaient que des francs-tireurs
à abattre.
C'est la ville de Visé qui eut le triste
honneur d'être la première ville martyre de ces brutes sanguinaires qui, pour
semer la terreur, tuaient hommes jeunes et vieux, les femmes, les enfants,
mettaient le feu aux maisons. Tout cela aux cris de "Deutchland über
alles" (l'Allemagne par dessus tout) et "Gott mit uns" (Dieu
avec nous). Comme toupet, il n'y a pas mieux !
Maintenant vous le savez : c'est ça la
guerre !!!
Or ce n'était qu'un début car les officiers
avaient si bien bourré le crâne des soldats que ceux-ci croyaient se rendre
utiles à leur pays en agissant en vrais bandits.
A Herstal, en attendant leur venue, on se cachait
et quand ils sont arrivés, on se cachait dans les caves. Leur défilé dura
plusieurs jours. Personne n'osait sortir, on mangeait ce qu'on avait chez soi.
Jour et nuit on entendait le martellement des bottes cloutées, le roulement des
chariots sur les pavés de la rue, les pas des chevaux et les chants guerriers
et la nuit des fusées de couleurs brillaient parfois dans le ciel, sans doute
pour se reconnaître entre eux. Cette immense armée déferlait sur notre pays et
finalement disparut à l'horizon. Ouf !
La vie reprit mais le gros souci consiste
alors à se procurer de quoi manger. Les boutiques n'ont presque plus rien. La
plupart des ateliers sont restés fermés. Beaucoup de gens se sont enfuis.
Résultat : chômage pour un grand nombre.
Cela aussi c'est la guerre ! Alors que
faire ? Recourir au système D ! Pendant ce temps, l'armée belge faisait des
miracles d'héroïsme, hélas inutiles car ils avaient contre eux une armée dix
fois plus forte. Nos vaillants soldats ont quand même pu empêcher d'envahir un
coin du pays de l'autre côté de la rivière désormais célèbre : l'Yser sous le
commandement du Roi Albert et de ses généraux, tous très valeureux.
Le cimetière d'où nous sortons a été le
théâtre d'un combat car des soldats rescapés du fort de Pontisse, capitulé, se
sont mis en route en vue de rejoindre l'Armée en retraite. Mais, à moitié morts
de fatigue, ils ont voulu passer la nuit près des tombes afin de dormir un peu,
mais d'autres ont eu la même idée : c'étaient des Prussiens. Surpris en plein
sommeil, nos hommes se sont servis de leurs fusils, les autres également d'où
les monuments rendus à leurs mémoires...
Autre anecdote, comique, celle-là. Derrière
notre rue existe la rue Hufnale, au fond des jardins, qui à ce moment, ne
comportait aucune maison. Un jour, on entend une voix d'homme qui hurlait
"Rendez-vous !" de toutes ses forces. On va voir, c'était un brave
habitant de la rue qui tenait en respect un groupe de dix-neuf soldats
allemands, visiblement fourbus et qui étaient par là. Tous les spectateurs de
cet acte insensé tremblaient pour le malheureux. Baissant sa carabine, on l'a
vu parlementer avec eux et puis partir ensemble. Quelqu'un les a suivis en se
demandant comment cela allait finir. Il les a vus rentrer à l'Hôtel de Ville
occupé par les Allemands contents de retrouver les égarés. En somme, cet incident
s'est terminé dans la bonne humeur. Donc, suite à la reddition du Fort de
Pontisse, la Commune de Herstal était aux mains des "Boches".
Aiguillage |
La même alerte s'est renouvelée mais chaque
fois, Papa se trouvait ailleurs et
Maman ne savait que le français...
Armée belge en 1914. |
A Tongres, Parrain, veuf depuis peu,
craignant pour la vie de mon père après son refus de travailler pour les
"Boches", se mit à chercher une maison près de chez lui, ceci afin de
nous mettre hors de vue des Prussiens.
Il en trouva une au quartier du Béguinage,
et le dix-huit décembre 1914, par temps froid mais sec, c'est sur un gros
camion tiré par un robuste cheval qu'on a quitté Herstal.
Nous marchions à l'arrière du camion et de
chaque côte, tous ensemble, on poussait de toutes ses forces pour aider le
cheval. Quelques petites haltes pour souffler et boire un bon café au bidon (le
thermos n'existait pas encore).
Nous avons de la sorte, traversé Milmort,
Liers, Villers St-Siméon, Juprelle, Paifve, Wihogne, Freeren, Hamal et Tongres.
Soit seize kilomètres par des chemins de terre à travers les villages jusqu'à
Wihogne.
Là-bas, nous rejoignons la grand-route
Liège-Tongres pavée et fréquentée par un intense charroi, surtout militaire.
Une dernière côte à gravir courageusement
au sortir de Freeren et terrain à peine ondulé jusqu'à Tongres. Mais la grande
fatigue que ce trajet qui a duré plus de cinq heures, nous a fait subir n'est
en rien comparable aux souffrances endurées par les pauvres soldats qui
luttaient là-bas, sur l'Yser dans le froid de ce décembre 1914 dans des tranchées
arrosées par les obus allemands.
Hé oui, en regardant passer tous ces
véhicules de guerre, il est normal que nous ayons une pensée émue pour ceux qui
se faisaient tuer dans l'espoir de nous délivrer de l'affreuse vermine qui
engluait notre petit pays.
Mais voici les premières habitations
tongroises. Cet endroit est connu sous le nom de Porte de Liège ou « Luiker
poort ». On arrive finalement à la maison choisie par Parrain.
Parrain nous attendait ainsi que mon oncle
Léonard, frère de Papa. Après un accueil chaleureux de leur part, sans perdre
une seule minute, on se mit à décharger les meubles et les autres objets du camion.
N'oublions pas que celui-ci devait encore
retourner à La Préalle surtout qu'en hiver, les jours sont courts !
Et tandis qu'on s'affairait, le cheval se
reposait tout en avalant son picotin d'avoine et un seau d'eau. Sitôt le camion
reparti, ce fut l'aménagement de la maison, bientôt à la lueur du quinquet et
des bougies. Cette maison qui date de 1639 comporte une dizaine de petites
chambres qui sont les cellules des religieuses qui ont habité ces lieux, d'où
le nom de "Béguinage". Seule grande pièce : la cuisine.
Curieux comme toujours, dès le lendemain,
je m'en fus faire le tour du quartier ma foi assez pittoresque. Jugez-en, d'abord
cette maison fait partie d'un groupe d'autres semblables, chacune précédée
d'une courette dotée d'un haut mur pourvu d'une solide porte en chêne. Tout cela
se trouve dans une grande cour commune pavée et très propre. Tout près de cet
endroit la haute tour en tuffeau sous laquelle passe la rue, c'est l'ancienne
Porte de Visé qui faisait jadis partie des remparts fortifiés dont les restes
sont toujours visibles en plusieurs points de la Ville. Un côté de la cour est
l'abattoir qui longe le Geer, une jolie petite rivière que l'on franchit sur un
étroit pont au plancher de bois. On parvient ainsi sur la digue qui est en
réalité un chemin bordé de jolis ormes. De là le coup d'œil ne manque pas de
charme. D'un côté le Geer et les frondaisons qui cachent quelque peu les vieux
murs du Béguinage. Par après, j'ai vu des peintres faire de ces lieux de beaux tableaux
lors du printemps fleuri.
Si on fait un tour sur soi-même, on domine
"de Mottes", c'est-à-dire une immense plaine herbagée toute couverte
de peupliers qui sillonnent la vallée jusqu'en Hollande, c'est beau. En très
peu de temps, il y a eu lieu de faire connaissance avec les voisins et
l'entourage et moi j'ai eu la chance de jouer avec les autres enfants mais je
ne connaissais pas le flamand ni eux le français. Mais on se comprenait par
gestes et quelques mots que j'avais entendus en jouant avec eux ce qui les
faisait rire à cause de mon accent pas pareil au leur.
Mais fini de rire, il ne faut pas oublier
l'école. Parrain m'a donc conduit à I'Ecole Communale car Maman ignorait le
flamand. Le Directeur m'a reçu gentiment, en français et m'a confié à
l'instituteur qui administrait la deuxième et la troisième année soit environ
quarante élèves dont trois Wallons. Je reçus une place sur le même banc qu'eux qui
me firent la fête.
L'instituteur, parfait bilingue m'a donné
des livres scolaires en français. Vous vous rendez compte de son travail
d'abord cours en néerlandais, puis en français pour nous quatre et toujours
avec le sourire.
Après les vacances de Pâques, il me reprit
les livres et les a remplacés par les mêmes, mais en néerlandais. Grâce à
l'aide de Papa, j'ai vite pu me tirer d'affaire au point qu'aux examens de fin
d'années, j'étais le quatrième de la classe.
Papa, lui, avait trouvé du travail à la
Tuilerie Notre-Dame et c'est encore Parrain qui a piloté Maman dans les corvées
administratives.
Nous n'avons guère continué à habiter le
Béguinage, Papa avait en effet déniché une belle maison près de la Tuilerie sur
la Chaussée de Maastricht. Dans le même groupe de maisons vivait déjà une famille
wallonne et nombreuse, ce qui réconforta Maman qui ne savait pas un mot de
flamand.
Une autre bonne surprise fut l'arrivée,
pour y demeurer, de Tante Philomène et de ses trois fils, Alphonse, Pierre,
Jean, qui, eux, avaient quitté Bruxelles à cause de la pénurie en alimentation
mais aussi à cause de l'absence du chef de ménage, mon Oncle Jean, retenu à
Paris comme conducteur de trains depuis le quatre août 1914.
Mes cousins parlaient parfaitement les deux
langues des régions française et flamande. De vrais "ketjes"
bruxellois toujours prêts à faire des blagues. Entre autres, ils avaient
remarqué que chaque matin, un gros camion militaire sortait de la Gendarmerie
presqu'en face de chez eux et ça les intriguait : des sacs, des paquets.
Qu'est-ce que ça veut dire tout cela ?
Mes chers cousins plus âgés que moi avaient
hâte de savoir ce que contenaient ces fameux sacs et ça n'a pas traîné !
Ces camions à deux chevaux sortaient de
l'ex-Gendarmerie suivis d'un soldat armé qui surveillait l'arrière jusqu'à deux
kilomètres c'est-à-dire hors de vue. Là, le camion s'arrêtait pour permettre au
soldat de rejoindre son camarade sur le siège du véhicule.
Donc, plus personne à l'arrière. Eh bien si
: nos chers "Ketjes" bruxellois ne perdaient pas une seconde car ils
connaissaient l'endroit propice et s'y cachaient dans l'attente du camion.
Retirer la "clame" du portillon sans faire de bruit, l'écarter légèrement
puis, d'un coup de canif, entailler un sac ou deux et remplir sa mallette et
remettre le portillon en place tout en marchand, faut le faire, comme on dit.
Naturellement à trois, ils ne quittaient pas les alentours des yeux. L'endroit
est assez désertique.
Ils ont ainsi rapporté à leur mère : du
froment, du pain de seigle, des fèves, des petits pois, du charbon, du sucre
etc...
Tante Philomène avait beau les supplier
d'arrêter ce jeux dangereux, bernique ! Et on ne les a jamais attrapés ! Bien
que mes parents et moi ayons eu faim, à aucun moment on n'a eu l'audace de s'approvisionner
de cette façon. Alors, par contre, courir la campagne, glaner après les
récoltes ou acheter aux fermiers à prix d'or lorsque c'était possible et encore...
C'est ainsi qu'un soir, mon père s'était
rendu à un village assez distant, chercher un petit sac de pommes de terre chez
un ami, ceci en hiver, et revenait par la route de Maastricht lorsqu'il tomba
nez à nez avec deux soldats qu'il n'avait pas vus à cause de la nuit noire.
Croyant qu'ils vont prendre son sac, il le met à terre, d'autant plus qu'il
était presque dix heures et que toute circulation était interdite après huit
heures.
Ils ont simplement conseillé à Papa
d'emprunter un autre chemin parce que eux étaient en mission de sécurité pour
la troupe qui allait passer afin d'assurer la relève des sentinelles postées le
long du canal frontière à la limite de la Hollande. L'un d'eux a dit :
"Nous n'aimons pas faire la guerre mais nous y sommes forcés, sinon c'est
la mort". En rentrant vers onze heures, Papa n'en pouvait plus !
Près de chez nous existait un café dont la
clientèle était surtout des soldats allemands. Ils dansaient au son d'un piano
mécanique, le premier que j'ai vu, par la fenêtre. Il fonctionnait à
l'électricité. En effet, Tongres possédait une centrale près de la gare du vicinal.
Le frère de Papa, et quelques autres la faisaient tourner à l'aide de moteur à
gaz pauvre. Ce cher oncle s'appelait Léonard.
Octobre 1915, Oncle Armand arrive d'Ougrée
par tram vicinal à vapeur et nous a placé une lampe de 16 bougies que la Ville
à raccordée rapidement. Il était temps, le pétrole devenait introuvable et
abominablement cher. Mais comme l'Allemagne en guerre manquait de cuivre, on
fit avertir par le sonneur public qu'il fallait porter ses objets en cuivre à la
"Kommandantur". C'est alors qu'un peu partout, le soir, on voyait des
gens creuser des trous pour y cacher des cendriers, des cadres, des christs,
enfin de tout. Ceci malgré les peines de mort en suspens !
Mécontents, les Boches sont allés jusqu'à
s'emparer des cloches d'églises. En fait, ils n'ont pas eu grand chose... Par
comble de malheur, on a connu en 1915 un hiver très dur, en voici un aperçu.
Un matin, Papa veut sortir pour se rendre à
son travail à la "Tuilerie Notre-Dame". En ouvrant la porte du
corridor, une masse de neige lui tombe dessus. Incroyable, inutile de vouloir
la balayer, il y en a trop; il faut la pelle. Par la fenêtre de la chambre,
j'ai vu le spectacle hallucinant. Par exemple, une importante ligne
téléphonique longeait la chaussée. Sachez que tous les fils pendaient dans la
neige et les congères dépassaient en hauteur les portes et fenêtres des
rez-de-chaussée.
Mais tout fut mis très rapidement en œuvre
afin de remédier à cette catastrophe, soldats et civils ont mis plusieurs jours
pour enlever l'excès de neige afin d'aller le vider dans le Geer, la rivière
locale.
Même la ligne de chemin de fer a été
obstruée à certains endroits ce qui m'a permis de voir un chasse-neige venu
d'Allemagne pour déblayer les voies avec son immense ventilateur qui envoyait
la neige au loin. Chaussée de Maastricht, on a pu voir des traîneaux avec une
hélice à l'arrière actionnée par un moteur et sur ces engins, des officiers
allemands chaudement enroulés dans des couvertures.
Je ne me souviens plus du nombre de jours
qu'il a fallu aux soldats chaudement vêtus et munis de souliers à grimpettes
pour remettre la ligne du téléphone en bon état. Quant à nous, les gosses, on
ne s'ennuyait pas. C'est à qui aura le plus vite un traîneau fait à la diable
ou bien à l'aide d'une pelle, on creusait des tunnels dans les grosses congères
par-ci par-là. Ah ce qu'on s'est amusé ! Les écoles restèrent fermées le temps
nécessaire pour déblayer ces masses énormes et libérer les rues. Bien des caves
furent inondées et la grippe fit bientôt des ravages et des deuils. Nos pensées
allaient vers ceux qui, là-bas, sur l'Yser souffraient du froid dans la boue
des tranchées, sous les balles ennemies !
Ordinairement, le dimanche, sur la Grand
Place de Tongres, au pied de la statue d'Ambiorix, chef des Eburons, une
harmonie militaire faisait apprécier son répertoire, entourée par quelques
gosses seulement. A la sortie de la messe à la Collégiale, les gens partaient
en hâte plutôt que de s'intéresser à l'orchestre des envahisseurs... Un jour,
en me rendant à l'école communale, j'ai été témoin d'une scène aussi triste que
révoltante.
Comme, sur les champs de batailles, les
Allemands subissaient de très lourdes pertes que leur infligeaient les alliés,
l'Etat-Major du Reich décida de retirer beaucoup d'ouvriers de ses usines pour
les envoyer au front. Il y avait donc des places vides dans l'industrie de
guerre prussienne. On recruta donc de force des Belges afin de combler les
vides. Et voilà, pas plus difficile. Donc, des Belges étaient contraints de produire
des armes destinées à tuer leurs propres compatriotes !!
Ce jour-là, je vois, rue de Maastricht des
camions et des soldats qui retiraient des hommes de la foule sous les cris et
les pleurs des épouses et des enfants. Comme vous voyez, pas joli hein, la
guerre. C'était pénible de voir ces soldats empoigner ces hommes avec brutalité
et repousser sauvagement les enfants qui tentaient de retenir leur père.
C'est encore par de la main-d’œuvre belge
que fut construite la ligne de chemin de fer entre Aix-la-Chapelle et Tongres,
afin d'acheminer plus vite le matériel de guerre sur le front de l'Yser.
De loin, on a assisté à l'inauguration
colossale de cette nouvelle voie ferrée (toujours en service).
La gare entièrement repeinte, des drapeaux
allemands, des guirlandes, des officiers en grande tenue, des soldats au
garde-à-vous, même quelques dames en robe longue.
Lorsque le train entra en gare, lentement,
tout garni par des drapeaux et des banderoles à la gloire du Grand Reich, un
canon tonna et l'orchestre joua le "Horst Wessel Lied" devant tout ce
monde au garde-à-vous. C'était impeccable et, pourquoi ne pas l'avouer,
impressionnant.
Dès le lendemain, cette ligne connut un
important trafic et ce n'est pas sans un serrement de cœur qu'on voyait avec
tristesse passer ces convois destinés à combattre les nôtres.
Il en est un dont je garde un souvenir
particulier. Notre maison n'étant pas loin de la gare, peu après ce que je
viens de vous dire, on pouvait voir la gare encore une fois bien garnie. Tiens!
Tiens! Que se passe-t-il encore ? On a par conséquent tenu l'œil, et on a bien
fait ! Tout ce tralala c'était pour recevoir en grande pompe la super arme qui
allait assurer la victoire de l'Allemagne !
La Grosse Bertha... |
Ce monstre devait son nom à mademoiselle
Bertha KRUPP qui l'avait baptisé et qui en était la marraine. Mais elle n'a
pas porté chance à son filleul car celui-ci s'est détérioré après quelques
coups.
Par contre, les Anglais avaient introduit
le char d'assaut qui a infligé de lourdes pertes aux Prussiens.
Parfois un aéroplane aux croix noires
survolait Tongres, et on ne pouvait pas jouer au cerf-volant sous peine de ...
Maintenant laissez-moi vous parler d'un
fait heureux dont j'ai été témoin pendant mon séjour temporaire à Tongres. Dans
ma classe, nous avions un condisciple paralysé des jambes que sa maman amenait
en fauteuil d'invalide. A la récréation, il faisait peine à voir. Il regardait
tristement les autres courir et jouer. Mais nous étions quelques-uns à lui
tenir compagnie et l'amuser tranquillement.
Or, un beau jour, on nous conduit rue de Maastricht
faire la haie sur le trottoir parce que ce jour-là le nouveau Commandant
faisait sa joyeuse entrée à Tongres. Encore bien qu'on ne nous a pas fait
agiter des petits drapeaux allemands, c'eût été un comble, vous ne pensez pas ?
Bien entendu, la voiturette était au
premier rang afin qu'il puisse jouir du spectacle à son aise. Et le cortège
arriva à notre hauteur, rien que des cavaliers... Tous tenaient à la main
gantée une lance à fanion. Une fanfare à cheval jouait un air hachuré, bien
teuton. Un groupe d'officiers encadraient le nouveau Commandant qui saluait de
la main les gens sur les trottoirs. A noter qu'il portait un magnifique
uniforme à baudrier d'argent. Nous avons remarqué qu'en passant devant nous, il
a regardé avec insistance le paralysé et s'est penché vers son voisin pour lui
parler.
Une fois le cortège passé, nous sommes
rentrés en classe où nous attendait notre bol de soupe quotidien; il était à
peu près 11 heures et demie.
Le lendemain, pas de voiturette; seule la
mère est venue annoncer au Directeur que son fils était à l'hôpital, voici
pourquoi. Dans le civil, le Commandant est un chirurgien et est chef d'une
famille nombreuse. La vue du petit l'a ému ! Il a donné des ordres, fait
convoquer la mère et voulu savoir la cause de l'invalidité; puis il a suggéré
de lui confier le gamin. La mère hésitait, elle n'est pas riche et ne peut
assumer une telle dépense avec ce qu'elle reçoit de l'Assistance Publique, et
son mari est au front, soldat belge. Mais il a su la convaincre et son fils a
été conduit à l'hôpital de Tongres et là, le Commandant a accompli un pur
miracle de la science chirurgicale.
Et un beau jour, qui voyons-nous à l'école,
sans voiturette, marchant normalement ? Vous l'avez deviné, c'était bien lui !
Il nous a raconté ce qui suit. d'abord tout le personnel l'a littéralement
dorloté, choyé. Il n'aurait pas pu dire ce que le Commandant et ses aides ont
bien pu lui faire, car il a été endormi chaque fois qu'on s'occupait de lui. Il
sais seulement qu'à chaque fois qu'il s'est réveillé, il avait les jambes
plâtrées qui lui faisaient un peu mal. A la fin, on lui a retiré le plâtre et
on lui a frictionné les jambes avec un produit et après un temps qui lui a
semblé bien long, il s'est rendu, conduit par un infirmier, dans une petite
salle et là, on l'a massé puis réappris à marcher comme tout le monde et aussi
à se servir de plusieurs appareils de gymnastique.
Et voilà, fidèlement, ce qu'il nous a raconté
à l'école; sa grande joie, c'étaient les visites nombreuses que lui rendait sa
maman.
En guise de paiement, le Commandant a
simplement demandé à la maman de prier afin que sa famille et lui soit protégés
des horreurs de la guerre. Comme quoi il existe encore de braves gens, heureusement.
Mais depuis lors, le plus cher désir de notre ami et de sa maman, c'était le
retour du papa qui est parti à la guerre croyant son enfant invalide à tout
jamais. Ah, quand finira donc cette maudite guerre ?
Comme mes parents et moi sommes revenus à
Herstal avant la fin des hostilités, j'ignore ce qu'est devenu ce garçon. Mais
il m'arrive de penser à lui...
Les jours s'écoulaient beaucoup trop
lentement dans la monotonie car on était pratiquement sans nouvelles de ce qui
se passait sur les fronts de guerre. Naturellement, il y a toujours des gens
soi-disant bien informés, mais ce n'étaient que des petits farceurs avides de
sensations car, au fond, ils n'en savaient pas plus que tout le monde. Certes,
il y avait les journaux qu'on n'achetait que les jours où ils publiaient les
modalités du ravitaillement. Le reste n'était qu'un tissu de vantardises
répandues par les Allemands qui prétendaient réformer le monde ! C'était à vous
provoquer des nausées, donc on les laissait à vitrine des marchands. Mais, pour s'amuser dans le dos des
Allemands, on écoutait en cachette des chansons composées exprès afin de se
moquer d'eux. Dommage que les enregistreurs n'existaient pas encore car il y en
avait de réellement savoureuses aussi bien en flamand qu'en français. Actuellement,
on enregistre facilement tout ce qu'on veut mais rappelez-vous : notre
génération aura vécu une des périodes les plus fertiles dans le domaine des
découvertes et inventions fabuleuses. Et si je le dis, c'est parce que c'est
vrai !
IV. RETOUR A HERSTAL
-"Dis, Grand-Père, êtes-vous restés
longtemps à Tongres ?
"Environ trois ans. Voici pourquoi
nous sommes revenus ici."
Papa travaillait, parrain était gentil, les
Bruxellois aussi, moi, j'apprenais bien à l'école. Les jours de congé, il nous
arrivait de venir à pieds embrasser les nôtres à Herstal.
-"Mais pourquoi ne preniez vous pas le
train ?"
-"Pas question de donner le prix du
coupon aux Boches."
Nous ne venions en vicinal que par mauvais
temps. Et puis la nourriture coûtait cher, alors...
Pourtant La Préalle et Herstal étaient
toujours dans nos pensées, c'est ainsi que quand le ciel était limpide ... il
m'est impossible de dire combien de fois je suis monté jusqu'au monticule à
Berg près de notre maison, d'où l'on aperçoit le terril du charbonnage de
Rocourt que je ne me lassais pas de contempler, la larme à l'œil et le cœur
plein d'espoir. C'est curieux, c'est justement quand on est éloigné que l'on
ressent le plus l'attrait du pays natal !
C'est principalement Maman qui avait hâte
de rentrer à Herstal; d'autant plus qu'elle ne connaissait pas la langue
flamande malgré quelques Wallons qui habitaient tout près de chez nous. "O
Lîdje vi r'veye" que chantaient nos soldats au front est le cri d'amour de
tout un peuple. Comme si la Providence voulait exaucer notre désir, Papa a
découvert un emploi de convoyeur auprès de la firme Balak rue Saint-Gilles à
Liège, vers la fin 1917.
750cc Flat twin FN (1940) |
Les tramways vicinaux couvraient alors
toute la Belgique. Par exemple, à Tongres, la gare SNCV était presque aussi
étendue que celle des chemins de fer de l'état.
Donc des gares un peu partout, entre autres
à Ans. C'est là que Balak avait ses wagons. Une fois chargés, mon père devait
vérifier les papiers au bureau puis il se rendait à la gare et montait dans le
wagon désigné. Avec lui, de quoi boire et manger pendant les deux ou trois
jours que durait le trajet jusqu'à Bruxelles.
Pourquoi durait-il si longtemps ? Parce que
son wagon, accroché à un tram de voyageurs, allait jusqu'à Oreye où on le
décrochait en attendant un autre qui le prenait jusqu'à la gare suivante et
ainsi de suite jusqu'à Bruxelles. Pour se défendre contre d'éventuels rôdeurs :
un bâton ! De mon côté, je vous laisse deviner avec quelle joie j'ai retrouvé
ma chère école de La Préalle et fait connaissance de ma nouvelle institutrice
Mademoiselle Marie-Thérèse Mathieu qui faisait la troisième et la quatrième
année dans la même classe, une bonne trentaine d'élèves en tout. Elle m'a reçu
très gentiment tout comme Monsieur le Curé Servais, informé de mon retour.
A la récréation, un hurluberlu m'a traité
de sale flamand ce qui lui a valu une bonne paire de claques car bien que je
sois d'un naturel pacifique, je ne supporte pas qu'on insulte des gens qu'on ne
connaît même pas et dont on ignore la langue maternelle. Il s'est sauvé en
pleurant et a amené le Directeur, Monsieur Dechesne, qui m'a demandé la raison
de ma conduite. Je la lui ai donnée poliment et le hurluberlu en a été pour ses
frais : il a écopé d'une punition de cent lignes. Depuis lors, et toujours à
présent, nous sommes devenus de forts bons amis. Tous mes condisciples étaient
contents de mon retour.
Revenons à mon père. En trois jours, il se
rendait donc à Bruxelles dans un simple wagon fermé avec pour oreiller la nuit
les colis dont il était responsable
Là-bas, on était mieux au courant de ce qui
se passait sur les fronts de la guerre. C'est de la sorte qu'en revenant d'un
voyage il nous raconta que sur tous les endroits où la guerre faisait rage, les
Allemands et leurs alliés recevaient des raclées de dimension, principalement
grâce aux Anglais et aux Américains débarqués sur l'Europe.
On parlait aussi d'une formidable invention
nouvelle qui permettait aux états-majors de communiquer sans avoir à poser des
lignes téléphoniques. Son nom : T.S.F. téléphone sans fil. C'est le professeur
Branly qui en a découvert le principe et l'Italien Marconi qui a mis au point
la lampe électronique qui augmente la puissance du son. Reconnaissons que la
T.S.F. a réellement bouleversé le monde. Depuis lors, les améliorations se sont
succédées surtout par la découverte du transistor qui remplace les lampes et
consomme moins d'électricité.
Même à Liège, je me suis laissé dire qu'un
prêtre passionné par cette nouvelle science, avait monté un émetteur dans la
tour de son église grâce auquel il envoyait des messages que des patriotes lui
apportaient pour les faire parvenir à nos défenseurs à l'Yser. De vagues rumeurs
circulaient, tout laissait espérer une prochaine défaite des Boches.
Mais auparavant, il faut que je vous
raconte une petite aventure assez amusante que j'ai vécue en compagnie de plusieurs
gamins de mon école. Au fait, il s'agit d'une exploration souterraine, ni plus
ni moins.
J'en ris encore.Voilà, quand j'étais jeune,
la rue Basse-Préalle qui longe la propriété Cajot était plus étroite qu'à présent.
Elle était pavée, mais en très mauvais état. Il y avait une multitude de nids de
poule dus à l'intense charroi des lourds tombereaux qui transportaient le
charbon jusqu'au canal de Maastricht pour le vider dans les péniches.
Le long de la rue, un accotement en terre
battue comportait un garde-corps en fer au-delà duquel coulait le ruisseau du
Bériwa, du Rida plus les eaux d'exhaure de deux charbonnages, Les Trois Boules
de Milmort et la Petite- Bacnure locale. Donc le débit n'était pas mal du tout.
C'est au fond d'un caniveau d'au moins un mètre de large et profond d'une hauteur
d'homme que s'écoulait l'eau.
Vers le milieu de la rue, au coin de la rue
Bériwa, à présent Moulin Maisse, le ruisseau s'engouffrait dans de larges buses
en ciment qui passaient sous la rue pour reparaître à la lumière deux bons
cents mètres plus loin, au pied du talus de chemin de fer dans une large fosse
de curage en briques et entourée d'un garde-corps.
Voici donc l'histoire véridique de cette
aventure.
Un jour de l'été 1918 (c'était toujours la
guerre) , je me suis laissé tenter par mes camarades d'école plus audacieux et
en l'absence de gens curieux, nous sommes descendus là où commence le fameux
tunnel en nous aidant l'un l'autre. On s'est mis en route chaussés de nos
sabots habituels en nous tenant solidement au pantalon de notre prédécesseur.
Bien entendu, l'eau éclaboussait les jambes à peu près nues, car alors, les
culottes venaient à peine jusqu'aux genoux.
Nous voilà donc en un instant en pleine
obscurité. Afin de se donner du courage, on se mit à chanter une chansonnette
en vogue à l'époque, c'est un souvenir plaisant que je vous résume. Lorsque les
Allemands défilaient ils chantaient une marche qui commençait par "Gloria
etc". Eh bien, sur le même air, les wallons chantaient :" kan
l'Kaiser serait crèvé, nos t'chantrons po l'ètèrer, Gloria etc"
(quand le Kaiser sera crevé nous chanterons pour l'enterrer gloria etc). Et on riait comme des fous.
(quand le Kaiser sera crevé nous chanterons pour l'enterrer gloria etc). Et on riait comme des fous.
Je ne me souviens pas d'avoir eu peur, sauf
quand il m'arrivait de penser à la gifle que j'allais recevoir en rentrant à la
maison, là-bas en haut du Thier Wathy.
Car il est hors de doute qu'une âme
charitable n'aura pas raconté à Maman autre chose que ce qu'elle avait vu
c'est-à-dire son fils suivre une bande de garnements qui se laissaient
descendre dans l'eau sale du ruisseau ! Bah, il faut bien se risquer de temps
en temps. Toutefois, on craignait les rats, mais rien ne s'est passé de ce côté
là, tant mieux !
Pliés en deux, cramponnés l'un à l'autre,
et en pleine obscurité dans ce long et bas tunnel, on a beau se croire invincible,
le temps semble une éternité. Il est difficile de traduire par des mots l'effet
que cela fait lorsqu'on remarque un vague reflet de la lumière du jour à la surface
de l'eau boueuse. Spontanément on hurle hourra, mais une fois sortis du tunnel,
on est obligés de fermer les yeux pendant un bon moment tant la lumière du
soleil est insupportable.
Néanmoins, sous le regard de passants
éberlués de nous voir sortir, comme des démons de ce tunnel, nous avons fait la
courte échelle pour nous extraire du caniveau muré et entouré de garde-fou.
Vider l'eau des sabots, s'essuyer à la
va-vite en se servant des herbes du talus et remettre ses chaussettes qu'on
avait mises dans les mallettes avant de descendre, tout cela fut rondement mené
car le temps pressait. Nos mamans s'inquiétaient, ça on le savait, donc...
Et c'est le retour en courant, chacun chez
soi. Quant à la gifle que je redoutais, je l'ai eue !
La morale de cette histoire rigoureusement
véridique, est qu'il ne faut jamais se laisser tenter imprudemment. Quant à la
chanson dont je vous parlais tout à l'heure, voici les paroles en français :
Quand le Kaiser sera crevé, nous chanterons
pour l'enterrer. Refrain - Gloria, gloria, les Allemands mangent des rats, des
patates bouillies, de la choucroute crue, gloria. Ceci en wallon sur le même
rythme que la marche que chantaient les soldats en martelant le sol de leurs
bottes à clous.
XV. L'ARMISTICE DE 1918
Le 11 novembre 1918, les
cours de l'après-midi venaient de reprendre lorsque la porte de la classe fut
ouverte brusquement. On se retourne tous : c'est Monsieur le curé qui se laisse
tomber sur un banc, il est hors d'haleine. Il est tout rouge et en larmes ! Il
se remet debout, dresse les bras et crie avec force : "Mes enfants LA
GUERRE EST FINIE.
L'Armistice est signé
depuis onze heures. Remercions Dieu !" A ces mots si merveilleux, un lourd
silence tombe puis l'institutrice éclate en sanglots, on n'ose ouvrir la
bouche. Elle s'excusa tout en séchant ses larmes et dit :" Je suis
heureuse que cette guerre se termine mais ma joie n'est pas totale parce que
Maman et moi ne verrons pas revenir mon frère tué à l'Yser ..." On la
réconforta comme on put et ce fut une de ces ruées vers la sortie afin
d'annoncer la bonne nouvelle à nos mamans. Mais une fois dehors, il y avait
déjà foule en pleine euphorie car les nouvelles vont vite, très vite. Notre
joie explosa, on s'embrassait, on criait, on riait comme des fous, surtout ceux
dont le père ou un frère se trouvait là-bas, à l'Yser. On allait enfin pouvoir
serrer dans ses bras les êtres chers qui avaient souffert durant quatre ans
pour nous délivrer des Boches ! Impossible de rester en place. Les mamans
étaient déjà là, nous serrant dans leurs bras tout en pleurant de joie ! On se
remuait, on se complimentait, on s'embrassait à " bouche que veux-tu
". Bref, on était tout à fait fous de bonheur retrouvé.
Tout le monde parle en
même temps et c'est, avant tout, le retour de nos soldats qui est l'objet des
désirs de tous. Le vacarme devient assourdissant : les cris de la foule, les
cloches de l'église qu'on a mises en branle, des accordéons, une trompette, en
un mot, l'euphorie totale ! Des farandoles s'improvisèrent. Quelques hommes
déjà sous l'emprise de la boisson hurlent leur haine envers les Allemands...
Bientôt, des drapeaux faits à la hâte s'en vinrent fleurir les façades. Que
c'est beau un peuple heureux ! Et la cacophonie ne se calma que très doucement.
On arborait fièrement des cocardes aux couleurs aimées : rouge, jaune et noir.
Bientôt apparurent aux fenêtres des portraits du Roi, de la Reine et autres
symboles patriotiques. A se demander comment on les possédait déjà ! Les
sirènes des usines herstaliennes, le sifflet de la Petite Bacnure, les cloches.
Tout cela fit disparaître tous les oiseaux. Très vite, les ouvriers se mêlèrent
à la foule et, croyez-moi, mes enfants, l'euphorie fut totale ! Des bouteilles
sortirent de leur cachette et des gosiers furent bien arrosés, oh oui, soyez-en
sûrs.
Autre motif de soulagement
: on allait enfin bientôt manger à sa faim. Fini ce ravitaillement qui ne
vendait que tout juste assez pour ne pas mourir de faim...Par contre, les fraudeurs,
eux, se sont honteusement enrichis grâce à la misère du pauvre peuple. Pouah !
Quant aux Allemands, ils eurent le bon goût (pour une fois) de se tenir
discrètement hors de vue ce qui valait mieux car les esprits surchauffés auraient
pu provoquer des incidents dramatiques. C'est surtout de nuit qu'ils
retournaient chez eux... On entendait le bruit des chariots et des bottes
cloutées sur le pavés des rues. Le macadam n'existait pas encore ici. De jour
en jour, l'impatience grandissait de voir enfin nos soldats revenir triomphalement
parmi nous. Chaque jour voyait l'apparition de drapeaux, de guirlandes et de
fleurs en papier aux couleurs alliées.
Dans leur teinturerie,
oncle Léon et sa famille passaient les nuits à teindre des draps de lit qu'apportaient
les gens afin que toutes les maisons d'Ougrée aient au moins un drapeau
tricolore, belge,
français, anglais, etc...
Comme
vous pouvez penser, pas question d'école, on n'avait plus qu'une idée en tête,
entendre le taratata du clairon qui annoncera l'arrivée des troupes belges !
L'attente
devenait anxieuse, que font-ils en chemin? Pendant cette attente, on avait
cependant droit à des scènes savoureuses. En effet, quelques Allemands étaient
restés ici sans doute à cause des problèmes administratifs. Or donc, quand on
les voyait passer en rue, il leur était impossible de ne pas voir, pour les
narguer, la quantité d'emblèmes de leurs ennemis d'hier. Ces drapeaux
semblaient les narguer, eux, les soi-disant seigneurs du monde, pauvres idiots
va !
Il va
sans dire que les mines renfrognées de nos ex envahisseurs provoquaient une
hilarité pas toujours discrète parmi la population et il y avait de quoi! Mais
où cela devenait irrésistible, où l'on pouffait de rire sans retenue, c'était
de voir leurs figures tourner au vert, de rage, lorsqu'ils ne pouvaient faire
autrement que passer sous les véritables avalanches de cuivre pendues aux
façades en dépit des menaces de mort ! Comment pouvaient-ils penser que les
Belges remettent à leurs tortionnaires ce cuivre destiné à tuer leurs propres
compatriotes se battant comme des lions là-bas, à l'Yser. Quelle triste opinion
les Boches avaient de nous ! Les "p'tits Belges" sont plus coriaces
qu'on croit...
Bref,
outre le cuivre, on admirait partout les portraits du Roi Albert, de la Reine
Elisabeth (infirmière au front), du Cardinal Mercier et des généraux alliés. Et
en dépit de l'hiver très proche, des fleurs, des fleurs partout soit naturelles
ou en papier de couleur, il en fallait coûte que coûte.
Les cloches qui avaient échappés aux réquisitions y
allaient du chant si doux de tout leur bronze. En passant devant les églises, on
entendait parfois ronfler les orgues joyeuses de la délivrance enfin venue !
Innombrables ont été les
offices religieux célébrés en signe de reconnaissance ainsi que les cortèges
spontanés, accompagnés d'une musique réunie à la hâte, entraînant de longs
« cramignons » euphoriques. Et les pétards qui s'ajoutent aux cris de
la foule en délire, cela voyez-vous, mes enfants, malgré les années, il est
absolument impossible de l'oublier.
En m'écoutant, vous allez
certainement penser que vos arrière-grands-parents étaient carrément fous pour
agir de la sorte. Et bien oui, on a vécu quelques jours en pleine folie à la
suite d'un espoir de délivrance qui ne nous a jamais abandonnés. C'est cet
espoir trop longtemps contenu qui a éclaté, qui a débordé en cette folie
collective qui est, en de telles circonstances, tout à fait justifiée.
Fasse le ciel que vous
n'ayez jamais à endurer les souffrances inhérentes aux guerres...
Au sujet du cuivre cité
plus haut, écoutez un fait, pris entre mille, relatif à un membre de notre
famille. Mon oncle Joseph était magasinier dans une usine spécialisée dans la fabrication
de compteurs, industrie qui utilise des tonnes de laiton dérivé du cuivre. Me
croirez-vous quand je vous aurais dit que pas un gramme de ce précieux métal
n'a été remis aux Allemands. Il en est cependant bien ainsi. Par un travail
acharné, aidé par des hommes de confiance, il a pu si bien cacher tout le stock
qu'il a passé toute la guerre à l'abri des recherches germaniques, « faut
l'faire » !
J'ignore si mon oncle a
reçu une récompense pour son courageux acte de patriote, j'étais si jeune alors
que j'ai quelque peu oublié certains détails.
Eglise de La Prealle |
Au jubé, Monsieur
Deschêne, notre directeur d'école, jouait de l'orgue, comme à la messe du dimanche.
A peine l'office terminé et la bénédiction donnée, que les orgues se déchaînent
avec une puissance que l'on n’avait jamais entendue. Que jouait Monsieur
Deschêne ? Je vous le donne en mille. Suprême imprudence, inconcevable, en
pleine occupation la
"Brabançonne" résonnait sous les voûtes
de l'église. Toutes les têtes se levaient vers le jubé, bouches bées, en pensant que l'organiste devenait fou !
D'autant
plus que les Allemands se trouvaient dans l'assistance. Mon Dieu, que vont-ils
faire ???
Comme tout le monde, ils
ont levé les yeux, en plus d'un sourire ironique et sont sortis en saluant
militairement les gens, et les choses en sont restées là, ouf, on a eu peur
quand même.
La place de l'église
était noire de monde en attendant la sortie de l'organiste et lorsqu'il
apparut, tout le monde voulait lui parler, les hommes afin de le féliciter pour
son courage, les dames principalement pour le gronder gentiment. Au fond
c'était vrai, il était rigoureusement interdit de chanter des airs patriotiques
sous peine de sanctions graves. Puis, chacun s'en est retourné chez soi et
Monsieur Deschêne n'a pas été inquiété, Dieu merci ! Voici ce qu'il a répondu à
l'un et l'autre : "Que voulez-vous, j'aime mon pays et cela ne me gêne pas
que les Allemands le sachent. " Bravo Monsieur Deschêne !
Mais revenons à
l'Armistice. En effet, la guerre est finie mais toujours pas le plus petit
soldat belge à l'horizon, qu'est-ce que ça signifie !?! L'impatience gagne la
population qui a hâte de retrouver ses héros.
La vie reprit son cours
presque normal, les écoles se remplirent à nouveau mais pas pour longtemps, oh
non car l'air frémit bientôt du taratata si longtemps attendu. C'était un
clairon belge, mon Dieu quel bonheur... Nous les gosses, on ne demanda pas de
permission pour se rendre dans la rue, une ruée comme on en voit rarement, je
ne vous dis que ça.
A peine dehors, nous
fûmes littéralement happés par une foule en délire qui hurlait, les visages
étaient inondés de larmes de joie : LES VOILA, LES VOILA, LES VOILA à n'en pas
finir... Malgré notre jeune âge, nous étions aussi émus que tous ces gens déchaînés
hurlant leur joie. Dés que la troupe pénétra Place Oscar Beck (devenue la Place
Jacques Brel ) où nous nous tenions, je n'ai plus jamais vu foncer la foule
comme ce jour là, quitte à se faire piétiner par les cavaliers qui ouvraient la
marche. C'est à qui serait le premier à toucher la main, à embrasser ces braves
qui avaient souffert durant quatre longues années et qui avaient vu tomber
leurs camarades sous les balles ennemies.
La troupe dut faire halte
tellement la foule, accourue à l'appel du clairon bien aimé, était si dense, un
vrai mur humain vous dis-je, c'est merveilleux. On n'arrêtait pas de les
choyer, Flamands, Wallons, unis dans l'allégresse comme ils l'avaient été
devant la mort. Pas de question linguistique en ce temps là !
Parmi les soldats,
quelques-uns, originaires de La Préalle, retrouvaient leur famille. J'ai vu des
femmes s'évanouir en serrant dans leurs bras qui leur fils, qui leur mari, et
ces soldats, pourtant encombrés de leur barda n'en finissaient pas de prendre
les enfants sur leurs bras. Tout le monde avait une petite offrande à remettre,
malgré la pauvreté du moment, même les chevaux ont reçu leur part des modestes
gâteries apportées par tous.
Ces retrouvailles
auxquelles j'ai assisté, ce sont de ces événements qu'on n'oublie jamais malgré
les ans !
Ce qui restait de bouteilles
a été solidement tordu ce jour là, je vous le jure. Quant à messieurs les curé
et vicaire, je ne serais pas étonné qu'ils en aient attrapé des crampes aux bras
à force de bénir de bon cœur tous ces vaillants soldats enfin de retour. Il n'y
avait plus ni officiers ni soldats, mais des hommes confondus dans un même élan
de ferveur et de joie.
-A propos, grand-père, tu
nous a dit que Herstal comptait des tas d'ateliers, charbonnages etc...Mais tu
ne nous a jamais parlé de bombardement, pourquoi ?
-Ma foi, je n'en ai connu
qu'un seul, mais sachez que l'aviation d'alors n'était pas comparable aux
monstres volants actuels: ils étaient encore trop jeunes !
Donc, un jour, à la
récréation, on entend un sourd ronron très haut, suivi d'un long sifflement
puis d'une d'une formidable explosion qui nous glace d'effroi, on ne sait où courir,
c'est l'affolement général...
A nouveau le silence, on
rentre en classe et un peu après, quelqu'un vient dire qu'une torpille est
tombée à deux cents mètres de l'usine Pieper qu'elle a ratée, mais cet engin de
mort a tué Madame Catherine Bulton sur le seuil de sa maison. Des éclats,
écoutez bien, ont percé la fenêtre, puis le lit de mes grands-parents, de part
en part, pour se loger dans le mur derrière ledit lit. Heureusement mes
grands-parents étaient levés depuis longtemps.
Gonflage d'un ballon, Place St Lambert, 1892 |
A part ce lugubre
événement, on voyait de temps à autre un aéroplane aux croix noires qui se
baladait dans le ciel et même l'un ou l'autre ballon dirigeable tout blanc qui
passait lentement, tel un gros cigare, traînant tout à l'arrière, un drapeau
allemand. A noter que ces dirigeables étaient beaucoup moins bruyants et,
pourquoi le nier, c'était un beau spectacle de regarder ces grands vaisseaux
avec leur cabine suspendue.
Maintenant, je reprends
mon récit des retrouvailles. Vous allez rire, mais on aurait dit que les animaux
eux aussi, voulaient participer à la liesse générale.
Tous les chiens du
quartier étaient accourus et regardaient le spectacle comme s'ils comprenaient
ce qui se passait. C'était curieux.
Dans la prairie de la
ferme Cajot, les vaches et les chevaux qui avaient pu échapper aux réquisitions
prussiennes tendaient le cou par-dessus la clôture pour se faire caresser,
beuglant et hennissant doucement.
Bien entendu, tout ce qui
restait comme boisson a servi à arroser les gosiers militaires et civils. A votre
santé ! Inutile de dire que la nuit suivante, à peu près aucun habitant de La
Préalle n'a fermé l'œil. Dame, la fin d'une guerre qui vous a fait souffrir si
longtemps, ça n'arrive pas souvent, heureusement. Il faut du temps pour se
calmer.
Mais tout a une fin, même
les meilleurs moments, car nos chers soldats devaient continuer leur route afin
d'aller occuper l'Allemagne, hé oui, chacun son tour!
Le clairon sonna le
rassemblement et les valeureux soldats nous quittèrent un peu tristes après de
touchants gestes d'amitié, d'émouvantes embrassades et des larmes de la plupart
des participants. Même nous, les petits, pleurions. Puis ce furent les cris de
la foule: au revoir, à bientôt, bon voyage, revenez vite.
Un bon vieux cria très
fort " Fé les crèver ces masis Boches quand vos sèrez è leu paîs" (
Faites les crever ces sales Boches quand vous serez dans leur pays ).
Tant que la colonne fut
en vue, on ne cessa d'agiter les mouchoirs, et peu à peu, on cessa d'entendre
le clairon qui cadençait le pas des troupes précédées des cavaliers.
D'autres villages les
attendaient pour les fêter à leur tour avant qu'ils n'occupent le pays vaincu.
La foule se dispersa
lentement toute empreinte du moment historique qu'elle venait de vivre.
Monsieur Harriga mit en
branle les deux cloches de l'église, rescapées des réquisitions, et l'animation
dura jusque fort tard.
Le lendemain, nouvelle
fureur de vivre partout, et les survivants de l'harmonie sortirent leurs instruments
qui, évidemment, avaient été soustraits à la convoitise des Boches malgré les
risques de peine de mort applicable aux rebelles. L'essentiel est que nos amis
jouaient de la musique.
Et comme je le disais
tout à l'heure, bien qu'on n'avait pas grand chose à manger, on ne pensait qu'à
s'amuser en toute liberté mais honnêtement quand même.
A l'appel des cloches, on
se dirigea vers l'église et là, en ce lieu saint, le recueillement fut
exemplaire. La reconnaissance de tous se traduisait par une grande ferveur de la
part des assistants et les paroles ainsi que les cantiques d'action de grâce empreints
d'une très vive sensibilité.
Intense émotion également
lorsque le curé, assisté du vicaire, a célébré l'office à l'intention de tous
les malheureux soldats tués au combat pour nous délivrer.
Prussiens 1914-1918 |
Ensuite, à pied, mes
parents m'ont conduit à Liège, voir ce qui se passait. Là, plus grandiose encore,
des drapeaux à perte de vue, des banderoles, des fleurs, de la musique, et
surtout, le peuple liégeois, son franc-parler, son cœur sur la main, sa joie
débordante. Cela, impossible de ne pas s'en souvenir malgré les ans qui passent
!
Parfois, provoquant des
rires, des Allemands longeaient les murs couverts de drapeaux, les yeux verts
de rage à la vue de l'étalement de la masse des objets en cuivre, accrochés aux
façades, qu'ils n'avaient pu soustraire à ces sales petits Belges, malgré les
menaces.
Tout cela aurait pu être
fondu pour en faire des obus et des cartouches. Pour la victoire du Reich ! Et
bien non, Messieurs les Prussiens, vous ne l'avez pas eu ce fameux cuivre.
Il faut tout de même
reconnaître l'audace qu'on a eue de faire croire aux occupants qu'on n'avait
jamais possédé d'objets en cuivre alors que...
Mes enfants, je le
répète, fasse le ciel que jamais vous n'ayez à connaître les terribles épreuves
que nous, les croulants comme vous nous appelez, avons subies.
Au fond, la guerre, c'est
monstrueux mais bête: on force des hommes qui ne se sont jamais vus ni connus à
s'entre-tuer pour le bon plaisir de quelques déséquilibrés et l'enrichissement
de types sans scrupules qui font fortune sur la misère d'autrui. Pouah !!!
XVI. RENAISSANCE
Le petit Marcel m'arrête
: "Grand-Père, ce que tu viens de dire est vraiment passionnant mais ne te
trompes-tu pas ? Est-ce réellement comme tu dis que les choses se sont passées
?"
-"Mon cher Marcel,
je dois reconnaître que c'est à peine croyable pour ceux qui, comme toi, n'ont
pas connu les exaltants moments évoqués ici. On les a payées par quatre longues
années de désolation et de souffrances.
D'ailleurs, d'autres pays
ont connu exactement les mêmes ivresses de la paix enfin revenue. Allez donc à
votre bibliothèque demander des livres sur la Grande Guerre, vous serez
édifiés.
Pour ma part, je ne parle
que de ce que j'ai vu ou entendu, fidèlement comme si j'y étais encore.
Naturellement, l'euphorie
s'est calmée au fil du temps, mais beaucoup de choses avaient changé, nous en
reparlerons.
Afin de combler les vides
causés par les soldats tués, on fit venir des travailleurs étrangers, surtout
polonais.
Mais bientôt une joie
nouvelle vit le jour. Les soldats qui avaient été faits prisonniers rentrèrent
en Belgique après avoir quitté leur baraquement, là-bas en Allemagne. Les
retrouvailles donnèrent les mêmes scènes touchantes que le jour de l'Armistice,
cela se comprend.
Que de moments
passionnants à les écouter évoquer leur vie là-bas, leurs aventures, leurs
inquiétudes en pensant à leur famille laissée en Belgique à la merci des
Boches. Parfois aussi des anecdotes joyeuses sur le dos de leurs gardiens qui
ne comprenaient pas le français mais bien le néerlandais langue germanique comme la leur. Tous ces souvenirs
ont donné lieu à des films.
-A
propos, tu disais l'autre jour que ton père convoyait des wagons vicinaux, a-t-il continué ?
Pour ça oh non; il avait
bien trop hâte de reprendre son service à la gare de Herstal dont le nouveau
bâtiment venait d'entrer en service un peu avant la guerre.
Ce fut une grande joie
réciproque de retrouver ceux qui avaient survécu au cataclysme qu'est une
guerre. Chacun eut une pensée émue pour les camarades disparus mais il fallut
quelques jours afin de s'adapter aux nouvelles méthodes introduites par les
ingénieurs allemands.
-Tu sais de quoi il
s'agit dis Pèpère ?
-Ma foi, un peu d'après
ce que m'a raconté mon père. Par exemple, il courait moins à travers la gare
pour y tourner les lourds leviers à contrepoids des aiguillages car les
Allemands avaient placé des cabines dans lesquelles se trouvaient les leviers
qui commandaient, par des câbles, les sémaphores et aiguillages. Toutefois
l'éclairage des sémaphores était toujours à pétrole. Il fallait donc y aller
avant la fin du jour pour les allumer tout en haut de l'échelle de chaque
signal...
Il faut vous dire
qu'avant et encore plus après la guerre, on manœuvrait cent vingt trains de
marchandises par jour. En outre, il fallait aussi s'occuper des voyageurs
beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui. D'ailleurs Herstal déborde d'activité
avec ses nombreuses fabriques et ses cinq houillères. Cela en fait des wagons !
Autre nouveauté: les
communications avec les autres gares. Avant, ce n'était que des sonneries ou le
télégraphe. Les Allemands ont installé le téléphone partout où la chose
s'avérait nécessaire. C'était bien plus pratique.
Continuons notre récit;
la guerre est finie, alors quoi ? Le travail reprend, les écoles aussi. On est
enfin débarrassé de la hantise de cette sale guerre qui n'en finissait pas. On
respire un air de liberté retrouvée...
Début 1919, on déménage
dans une belle maison avec jardin, rue Guillaume Delarge près de la gare. Par
contre pour moi, cela rallongeait mon trajet vers l'école mais qu'importe !
Le 9 mai 1919, a eu lieu
ma Communion Solennelle, entouré de la famille au grand complet.
Je rends grâce à mes parents, et à toute ma famille car c'est grâce à
eux que je fus comblé et que tout fut parfait.
Seul point noir, le
temps. En effet, il n'a cessé de tomber une pluie glaciale toute la journée.
Dans ces conditions, aller trois fois à l'église de La Préalle n'avait rien de
réjouissant, vêtu de mon nouveau costume et un parapluie à la main, l'autre
tenant le précieux missel recouvert d'une pochette en soie comme c'est la
coutume.
-Comment ça trois fois ?
Mais oui fiston, d'abord
à sept heures, messe basse et communion, à dix heures, la grand-messe avec une
décoration de fête, des oriflammes, des fleurs à profusion, trois prêtres
portant chacun les plus belles chasubles et des étoles de toute beauté.
Dix acolytes avec leur
croix, chandeliers allumés, la sonnette, l'encensoir, prirent place dans le chœur.
Et les orgues, ainsi que les violons et les chorales. Ah, que c'était
magnifique !
Retour à la maison. Dîner
de gala préparé par maman aidée par tante Alexandrine. Après le repas, arrosé
raisonnablement, j'ai reçu des cadeaux de tous, mais celui qui m'a causé le
plus de joie, c'est le missel que tante Marie m'a laissé choisir à la librairie
Demarteau rue de l'Official, disparue depuis.
-A propos, Pépère, tu dis
qu'il a plu. Pourquoi ne pas avoir pris un taxi. C'est mieux que le parapluie.
-Tout simplement parce
que cette dépense était alors une folie pécuniaire et mes parents avaient déjà
consenti un lourd sacrifice pour que j'aie une belle communion.
Mais ce n'est pas tout. A
trois heures, c'est le Salut et le renouvellement des vœux de baptême.
As-tu encore ton missel ?
Si oui, j'aimerais le voir.
Je le garde
précieusement. Je vais te le montrer.
Et tandis ce que les
enfants tournent les pages, un cri jaillit, c'est Marcel.
Oh là là. Regarde ça :
quatre francs nonante-cinq. Quelle blague ! Ce n'est pas le prix hein,
grand-père ?
-Mais si et pourtant
avouez qu'il est vraiment superbe. Que voulez-vous, en 1919, c'était le prix,
voilà !
On s'amusait bien rue
Guillaume Delarge. Les voisins nous ont vite adoptés et les enfants de mon âge
sont devenus d'excellents amis. On partageait tout, ensemble, sans jamais se
disputer. C'était la confiance totale. D'autre part, j'aimais bricoler et comme
je vous disais que c'est par wagons entiers que partaient de la gare les vélos
et motos, dans des "crettes", caisses à claire-voie qui ne revenaient
vides que souvent abîmées, alors papa au lieu de les brûler dans un coin de la
gare, retirait les lattes encore utilisables et les rapportait pour mon plaisir
et, patiemment, j'en faisais toujours de longues règles que je polissais au
papier verré pour en faire des rails en bois bien polis.
-Qu'allais-tu en faire,
Pépère ?
-Et bien voilà. J'ai
toujours aimé les trains je vous l'ai déjà dit. Ces règles servaient de rails
que je fixais avec précision sur des traverses. Sur les indications de mon
père, je vous jure que je suis parvenu à construire des aiguillages parfaits.
Mes voies couvraient l'entièreté du grenier et de la mansarde. C'est
principalement par temps pluvieux que je m'occupais à la réalisation de mon rêve:
posséder un réseau de chemin de fer miniature en bois. Ecartement des voies :
dix centimètres.
Sans qu'on aie besoin de
me le dire, ce n'est que lorsque mes devoirs de l'école étaient achevés que je
montais au grenier. Conseillé par mon père, j'ai dessiné puis fabriqué un wagon
plat, mais le plus difficile à faire, ce sont les roues. Alors j'ai demandé à
un ami plus âgé de me faire un modèle en bois aux dimensions indiquées par moi
et puis j'ai porté ce modèle à la fonderie Massay , près de chez nous, qui me
coulait de belles roues en fer que j'ajustais (déjà) sur des barres à
l'écartement voulu. Naturellement mes dimanches reçus passaient à l'achat de
matières et d'outillage dont le plus couteux était une perceuse à manivelle
dont je me suis servi durant des années à des bricolages divers.
Ensuite, une locomotive
d'une cinquantaine de centimètres. Bien sûr, il fallait pousser à la main mais
ça roulait fort bien sur mes rails en bois poli. Plusieurs voisins de mon âge
venaient me rejoindre au grenier où j'ai encore produit deux ou trois wagons.
Comme j'avais obtenu de forts bons résultats à l'école, mes parents m'ont
acheté une petite machine à vapeur ainsi que plusieurs petites machines-outils.
Vous vous rendez compte, une usine et une ligne de chemin de fer, ah, ce qu'on
s'est amusé entre copains !
Vers les années vingt, ma
Grand-Maman Catherine s'est éteinte, paix à son âme, victime des privations
dues à cette fichue guerre 14-18. La sœur cadette de Maman est alors venue
habiter à la maison. C'est ma tante Alexandrine qui était fiancée à un régleur
de la F.N.; il s'appelait François Namotte et venait chaque soir passer un
moment auprès de sa fiancée et de nous.
Un jour, le voici avec un
vieux vélo mais en bon état. En entrant, il dit : "Tu vois ce vélo, Alphonse,
je te l'offre, si tu en prends soin, il roulera encore longtemps ! Je remercie
et embrasse mon futur oncle et, sans attendre, j'enfourche la bicyclette et
m'en vais l'essayer au grand effroi de Maman qui ne savait pas que j'avais
appris à rouler sur les vélos de camarades qui en possédaient un et qui me le
prêtaient gentiment. Dès lors, je pouvais les accompagner en promenade ! L'un
d'entre eux avait reçu en héritage un grand et lourd coffre par chemin de fer.
Etant orphelin de guerre, il vint demander à mon père d'aller lui chercher ce
colis, ce que Papa accepta de bon cœur.
Projecteur Pathé-Baby (1925) |
Louis nous raconta que ce
cinéma provenait de son oncle tué lui aussi au front, et que sa veuve préférait
s'en défaire car c'était un souvenir trop douloureux. Après avoir été souper,
Louis revint avec sa petite sœur, un vrai brise-tout à ce qu'on disait... Papa
avait tendu un drap de lit au mur et placé la table. Placer le projecteur et
lire le mode d'emploi demanda un peu de temps. Louis sort un film de sa boîte
et l'introduit dans le projecteur. Maman éteint le quinquet et Louis tourne la
manivelle, règle l'objectif sur le titre du film et voici qu'apparaît l'image,
en noir et blanc, sur le drap de lit. Ce film est muet, évidemment. Durée du
film : vingt minutes. On rallume et l'on s'aperçoit que Louis transpirait; il
n'en pouvait plus.
"Alors, ça vous a
plu ?", demande Louis.
-La réponse est unanime :
c'est oui.
On rallume le quinquet et
Louis lit un titre. Si je ne me trompe, c'était un film comique avec
Double-patte et son partenaire Patachon, mais cette fois je me propose de
tourner la manivelle. Après extinction du quinquet, je commence.
Dieu que c'est dur ! Voici pourquoi: la lampe du projecteur
est électrique et suffisante à la clarté de l'image; donc , il faut d'abord produire le courant
et en plus entraîner le mécanisme qui fait avancer le film.
A son tour, papa a
actionné la manivelle et ainsi on a passé une soirée agréable mais fatigante.
Quant à la petite sœur,
elle s'est tenue bien sage en suçant les bonbons que maman lui avait présentés.
Cet hiver-là, une fois
par semaine, tous les films sont passés. Un jour, il a fallu remplacer
l'ampoule électrique qui avait rendu l'âme. Oncle Louis et maman ont acheté une
neuve chez Hendrick rue de la Régence à Liège.
Tom Mix |
-Dis
grand-père, pourquoi ce cinéma n'est-il pas rentré au domicile de ton camarade ?
8 aviateurs équipés chacun d'une MAE WEST... |
-Louis le laissait en
confiance chez nous parce que sa petite sœur aurait plus que certainement abîmé
soit le film soit le projecteur. C'est pour cela que nous l'avons gardé
longtemps sans jamais y toucher, sauf pour le ranger. C'est quand on a connu
cette période cinématographique, qu'on apprécie la haute qualité du cinéma
moderne.
C'était muet, l'image
faisait donc souvent place à un texte de dialogue ou de commentaires.
Enfin, juillet 1920,
j'obtiens mon diplôme de l'école primaire avec grande distinction, et comme
j'aimais beaucoup la mécanique, maman me fit inscrire à l'institut Saint-Laurent
où je me suis initié en attendant la fin de la construction de l'Ecole
Technique Provinciale de Herstal où j'ai pu continuer à apprendre le métier
d'ajusteur.
XVII. LA
T.S.F.
Un jour, je vous ai dit que la génération à
laquelle Mèmère et moi nous appartenons aura connu une période très riche en
inventions sensationnelles, c'est bien vrai !
Aujourd'hui, je vais vous
raconter mon tout premier contact avec cette invention qui a réellement
bouleversé le monde entier. On se pose aujourd'hui la question de savoir
comment on vivrait aujourd'hui si on ne l'avait pas...cette radio !?!
Oh, lorsque j'ai vu et
entendu pour la première fois ce prodige, je n'ignore nullement que certains milieux
l'utilisaient déjà, même des particuliers qui avaient un portefeuille bien
garni, ce qui n'est pas notre cas.
-"Alors, Pèpère,
raconte nous un peu ça."
-"C'était vers 1921,
un dimanche après-midi...
Papa était de service à
la gare et maman m'annonça que je devais me rendre avec elle chez des
connaissances qui avaient insisté pour que je l'accompagne afin de nous faire
une surprise extraordinaire. Nous n'avions aucune idée concernant cette
dernière. En fin de compte la curiosité l'emporta. Ces amis n'habitaient pas
fort loin mais moi, je ne les voyais que rarement, c'était de petits
industriels. Nous nous sommes donc rendus chez eux.
Et, dès l'entrée, nous
l'avons contemplée la fameuse surprise. Imaginez une salle à manger très propre
avec sa table en chêne au milieu de la pièce. Sur cette table, un spectacle
indescriptible, un vrai capharnaüm, des boîtiers en bois verni, d'autres en
ébonite, des boutons de toutes tailles, des instruments étranges, une espèce de
coffret surmonté de quatre lampes en formes de poires, tout cet amalgame relié
par une multitude de fils électriques de toutes les couleurs. Sous la table,
deux accumulateurs. Au mur, un pavillon assez semblable à celui du phono
d'Oncle Joseph dont je vous ai déjà parlé, vous vous souvenez ?
-"Oui oui, Pèpère,
continue ."
-"Bon seulement
celui-ci n'était pas en cuivre mais en une matière nouvelle : la bakélite; du
nom de son inventeur le Belge BACKELAND. C'est l'accueil fort amical de nos
hôtes qui me fit sortir de ma contemplation : j'étais émerveillé et un peu
craintif. Le maître de céans et madame nous prièrent de prendre place devant
une petite table garnie de bonnes tasses de café et Mathieu, le chef de ménage,
nous dit :"Vous arrivez au bon moment : ça va être l'heure de radio
Paris."
A ces mots, il se met à
allumer les lampes du coffret puis à tripoter des boutons tandis que le
pavillon, ou haut-parleur, miaulait ou sifflait. Mais très vite, ces bruits ont
cessé pour faire place à un beau fox-trot joué par un bel orchestre de jazz.
Que c'était beau ! Cela m'a tellement plu que j'en ai retenu l'air fort
agréable ainsi que le titre, parfaitement; c'était "Falada".
Bien sûr, avec le recul
du temps, il faut reconnaître que la sonorité n'était pas comparable aux actuelles
"Hi-Fi", mais on était agréablement stupéfait d'entendre ce qui se passait
à des centaines de kilomètres d'ici...
Longtemps après cette
mémorable après-midi, comme j'avais très envie de posséder un appareil du même
genre, je consacrai une partie de mon modeste argent de poche à me procurer un
plan détaillé d'un poste de téléphone de T.S.F , ce qui veut dire téléphone
sans fil. Même chose pour les différents organes et le matériel. Et, oh joie,
j'arrivai à construire un petit poste à galène, avec écouteur, qui, ma foi, ne
marchait pas mal du tout. Notez que la galène est le précurseur des actuels
transistors ( ?) avec, toutefois, cette différence que mon poste à galène
exigeait une antenne de plus ou moins cinquante mètres située le plus haut
possible.
Schéma poste TSF 1 lampe |
Au fur et à mesure de la
marche du progrès, des perfectionnements ont vu le jour comme le remplacement
de l'antenne extérieure par un cadre puis la suppression des lourds
accumulateurs (qu'il fallait parfois aller faire charger bien loin) par une
simple prise de courant dès qu'on a reçu l'électricité dans les maisons.
A présent, il existe des
postes à transistors que l'on peut emporter où l'on veut.
Dites-vous bien, que
nous, les vieux, n'avions rien de tout cela dans notre jeunesse. C'est petit à
petit que les inventeurs nous ont apporté les commodités dont nous jouissons de
nos jours.
XVIII. TRAVAIL ET LOISIRS.
Depuis quelques temps, la
loi des huit heures était entrée en vigueur et à Herstal comme partout, il y
avait du boulot. C'est normal car après quatre ans de guerre, on manquait de
tout. Des ateliers, grands ou petits, il en existait dans tous les coins. Nous
les passerons en revue dans un autre chapitre.
Un exemple, les vélos,
sachez que des milliers de gens en vivaient non seulement à la fabrique mais le
nombre de ceux qui façonnaient les cadres chez eux était aussi très important
ou ceux qui montaient les roues, sans compter les fonderies qui pullulaient un
peu partout, les émailleurs, le "polissage nickelage" tout cela était
très fréquent également.
Deprez-Joassart, la F.N.,
Légia, Gerkinet, Herman et je ne saurais citer tous les autres, ont fait
connaître la production herstalienne au monde entier.
A la F.N. outre ses armes
de qualité, on y a fabriqué de bien belles et bonnes automobiles. Le mot "chômage" n'avait aucun sens.
Afin de satisfaire aux
besoins de tout ce monde, les magasins étaient au moins dix fois plus nombreux
de même que les artisans : tailleurs, cordonniers, couturières et autres
gagne-petit car, alors on ne gaspillait pas, on réparait tant que c'était
possible.
Chaque jour plusieurs
trains amenaient des milliers de Limbourgeois dont certains se sont établis
chez nous.
Puisque j'avais le vélo
du futur oncle François, je pouvais aller plus souvent embrasser mon parrain à
Tongres en empruntant les chemins de terre battue jusqu'à Wihogne puis par un
mauvais pavé jusqu'à Tongres. A son tour, papa se procura un vélo d'occasion et
ensemble, nous avons pu faire la découverte des Ardennes liégeoises dans un
rayon d'environ cinquante kilomètres, c'était merveilleux ces belles vallées:
la Vesdre jusqu'à la Gileppe, l'Ourthe et Hamoir, l'Amblève et ses légendes
fabuleuses jusqu'à Coo, seule commune belge possédant une cascade.
N'oublions
pas les superbes panoramas à contempler depuis les sommets ardennais. J'aime tout ce qui est beau je
vous l'ai déjà dit et les splendeurs ne manquent pas en Wallonie, on l'oublie trop souvent.
Maintenant, je crois bon
de vous parler d'une invention bien utile aux cyclistes, l'éclairage. En effet,
en dehors des agglomérations, les routes n'étaient pas éclairées et en ville
dès la fin du jour tous les véhicules devaient être pourvus de feux de
signalisation. Pour cela, divers systèmes existaient, par exemple une lanterne
munie d'une bougie ou une lanterne à l'huile ne donnant qu'une très faible
flamme jaune et fumeuse. Mais un nouveau procédé d'éclairage était né, la lampe
à acétylène.
-Qu'est-ce que c'est ça
Pèpère ?
-En effet, vous étés trop
jeunes pour en avoir vu. Voici de quoi il s'agit. L'acétylène est un gaz qui
donne une lumière blanche très claire. Ce gaz est produit par des gouttes d'eau
qui tombent sur du carbure, une pierre artificielle. Un fin gicleur en céramique
laisse échapper le gaz qu'il suffit d'allumer pour obtenir une belle lumière.
Dans les années vingt, on
vit apparaître sur les vélos des lampes électriques alimentées par une magnéto
(dynamo) munie d'une roulette qu'entraîne le pneu. C'est le seul système
toujours en usage sur les rares vélos qui se risquent au milieu des autos et des
motos.
-Dis Pèpère, quand est-ce
qu'on a eu le cinéma comme à présent, qui parle, qui chante ou fait de la
musique ?
-Je pense que c'est vers
1925 que nous est venue d'Amérique une formidable invention aussi célèbre que
la T.S.F. Le premier film que nous avons vu et entendu avait pour nom " Le
fou chantant " qui chantait un air bien resté dans nos mémoires, "
Sony Boy ", un morceau triste.
Maintenant mes enfants,
assez parlé aujourd'hui, il fait bon dehors allons au jardin. Nous irons aider
Grand-Mère à soigner ses fleurs...
Quelques jours plus tard,
ce sont nos arrière-petites-filles qui nous rendent visite avec leurs parents.
Après nous avoir embrassés, c'est la balançoire qui est l'objet de leur
attention, elles s'y amusent très bien.
A l'heure du goûter il
faut les rappeler à plusieurs reprises. Ce goûter se déroule dans la bonne
humeur et la joie. Les gamines fatiguées ne retournent pas au jardin et c'est
d'une voix très douce que Chantal murmure:
-Dis,
Pèpère, raconte...
-Soit, allons nous asseoir dehors, je vais vous raconter
ce qu'il y avait comme amusements lorsque j'étais adolescent.
A cette époque, la
population ouvrière vit l'amélioration de ses conditions de vie, sans pour
autant parler de prospérité, et peu à peu, on vit se multiplier les façons de
s'amuser.
Ce fut l'occasion d'installer
des salles de spectacles dans tous les quartiers. Surtout des cinémas, d'abord
muets mais dotés chacun d'un orchestre qui jouait la musique d'accompagnement
du film.
A l'entracte, on retirait
l’écran et on passait des attractions de toutes sortes : chanteurs et
chanteuses, prestidigitateurs, chiens dressés, voyantes extra-lucides,
acrobates etc.. De sorte que j'ai eu l'occasion de voir des attractions qu'on
ne voit plus que dans des cirques.
Plusieurs sociétés
dramatiques faisaient du théâtre dialectal ou en français, parfois en
néerlandais à l'intention des Limbourgeois d'adoption.
Par exemple, quand votre
maman vous emmène faire les courses au grand magasin de la rue Elisa Dumonceau,
si je vous dis que vous vous trouvez à l'ancien théâtre de la Royale Dramatique
Wallonne qui présentait des pièces en français ou
en wallon et organisait de grands bals à l'occasion du carnaval ou d'anniversaires ou de la fête de Saint-Lambert, patron de Herstal. Que de belles soirées passées en ce lieu plaisant.
en wallon et organisait de grands bals à l'occasion du carnaval ou d'anniversaires ou de la fête de Saint-Lambert, patron de Herstal. Que de belles soirées passées en ce lieu plaisant.
Quelques cafés étaient
dotés d'une estrade sur laquelle se produisaient des amateurs, accordéonistes,
chanteurs, chanteuses ou artistes comiques provoquant la joie et les rires par
leur joyeux monologue. Tout cela était vraiment sympathique.
Un club cycliste, La
Légia, mettait de l'ambiance en circulant en groupe et en jouant de ses
instruments tout en pédalant, comme on en voit encore parfois lors des cortèges
folkloriques.
Et les dancings ne
manquaient pas non plus. En plus des bals hebdomadaires, il y avait les grands
bals lors du carnaval, comme de nos jours, mais aussi aux fêtes paroissiales ou
autres telles que le Nouvel-An, l'Armistice etc. Alors, on avait du spectacle à
volonté, robes de soirée, tenues impeccables chez les hommes et au buffet, il
n'était pas de mise de consommer des boissons par trop ordinaires. Le bon ton
était de n'absorber que des liqueurs de grand cru. Et l'air était embaumé par
toutes les fleurs disposées dans la salle de bal. C'était beau !
Ile Monsin en 2015 |
Plan de l'Ile Monsin (1854), d'après "Herstal, en Cartes Postales", Tome I p. 43, Pierre Baré. |
A la bonne saison, la
tradition était de se rendre sur l'île Monsin, si agréable et malheureusement
changée. Mon arrière-petit-fils David m'arrête pour dire : "Oh oui,
Pépère, je sais où c'est, Maman nous y conduit de temps en temps avec ma sœur
Mylène; il n'y a que sur l'Esplanade qu'on est tranquille mais ailleurs ce ne
sont que des voitures, des camions et leur "tam-tam" puant !
-" Tu as raison,
c'est triste d'avoir sacrifié une si belle île où il faisait bon vivre, c'était
un vrai paradis !
-" Oh pépère,
raconte."
-"D'accord, ça en
vaut la peine, écoutez bien ..."
Pour s'y rendre, il faut
aller au bout de la rue Marexhe, qui tient son nom d'anciens marécages, et
traverser le boulevard et son intense trafic. Le croiriez-vous, jadis, au lieu
du boulevard, c'était le canal Liège-Maastricht qui a été comblé après le
creusement du canal Albert. Bien des fois je suis allé voir ces travaux
grandioses, surtout à Lanaye où on a bel et bien coupé en deux La Montagne
Saint-Pierre à l'aide de puissantes machines. Mais revenons à Marexhe.
On franchissait le canal
par un pont tournant où on devait parfois attendre le lent passage des
péniches. Après, on traverse une berge basse destinée aux chevaux tirant des
bateaux puis une seconde un peu plus haut toute bordée de beaux arbres, des
ormes, réservées aux piétons et aux très nombreux cyclistes. Pas d'asphalte
mais une fine cendrée très roulante.
Pont sur la Naye. |
le terrain et ses moutons
et chèvres qui paissent tranquillement. A nos pieds, la dérivation avec ses
roseaux et ses plantes aquatiques et à l'autre côté l'île que nous allons
visiter après franchissement du Pont Willem d'où nous savourons encore mieux le
spectacle de la beauté de l'endroit tandis que des pécheurs taquinent le goujon
soit au bord de l'eau soit en barquette.
Une fois le pont franchi,
on arrive aux guinguettes et aux jeux d'enfants mais aussi aux restaurants d'où
sortait une délicieuse odeur de poisson de Meuse frit ou encore de fricassées
de lard et d'œufs produits sur place. Pourquoi si bons ? Parce que la terre de
Monsin est exceptionnelle.
En effet, les alluvions
que les inondations annuelles introduisent au sol le rendent très riche. Les
cochons ainsi que tout le bétail étaient bien nourris. De là des animaux en
excellente santé, donc de la viande succulente tout comme les œufs évidemment.
Le dimanche par beau
temps, c'était la grande foule. Les guinguettes vous déversaient de la musique
populaire reprise en chœur très souvent. Quel entrain, quelle joie !
Après les lieux de
plaisir, c'est la traversée de l'île dont je vous parlerai prochainement .
Sachez seulement que tous
les vieux regrettent que cet endroit béni ait été sacrifié sur l'autel du mercantilisme
moderne. Adieu le romantisme...
XIX. LES BELLES ANNEES
Mon arrière-petite-fille
Mylène élève la voix
-"Tu trouves que
c'était amusant, toi, Pépère ?"
-"Oui, ma petite
chérie, parce qu'alors on n'était pas blasé, on se contentait de ce qu'on avait
sans chercher à décrocher la lune ni à dépasser ses moyens.
"Allais-tu toujours
à l'école ?"
"Bien sûr, car je
voulais apprendre un métier."
"Et peut-on savoir
ce que c'était ?"
Mon désir était de
travailler le métal, de fabriquer des pièces, de les assembler pour en faire
des instruments divers, des outils, et, pourquoi pas, des machines ?! En un
mot, du travail manuel mais qui exige quand même de la jugeote et une bonne formation
scolaire.
Afin de répondre à mes vœux,
mes parents m'ont fait fréquenter l’enseignement technique dans lequel j'ai choisi
l'ajustage en plus des cours théoriques, bien entendu. On y est fort bien et je
vous conseille d'y aller après votre l'obtention de votre diplôme d'école primaire.
Vous adopterez la profession qui correspond le mieux à vos aptitudes naturelles.
Mais ne baissez jamais les bras. Ne soyez jamais indifférents à ce qui vous
entoure.
J'ai suivi les cours du
jour jusqu'au quatorze août 1923, distribution des prix comprise. C'est à cette
dernière que le diplôme tant désiré m'a été décerné avec distinction !
En rentrant à la maison,
mon tout premier souci était d'aller en haut montrer à Maman, malade et alitée,
mon précieux diplôme. Je l'embrasse et lui demande si elle se sent mieux car
elle reste souvent seule après que Papa lui ait préparé tout ce dont elle a
besoin à côté d'elle. La lecture du diplôme a provoqué ses larmes, mais des
larmes de joie !
Pourtant, quelque chose
venait assombrir ce réjouissant tableau : l'argent ! Pas de sécurité sociale,
un salaire très modeste. Comment faire ? Papa et moi, on se partageait les
besoins du ménage du mieux qu'on pouvait, moi, à vélo, je faisais les commissions
et une voisine complaisante venait voir si Maman n'avait besoin de rien mais...
l'argent, l'argent...
Prétextant une course à
faire, je me suis précipité chez Matray, rue Grande Foxhalle où, disait-on, on
voulait embaucher un jeune limeur ajusteur. Dans cette entreprise, il y avait
une fonderie ainsi qu'un atelier de parachèvement pour pièces d'ornement du
bâtiment et mobilier de luxe. Quand j'ai montré mon diplôme, on m'a
immédiatement engagé pour commencer le surlendemain, le seize août 1923. Donc
pas de vacances mais cela m'était égal ! Retour à la maison et annonce à Maman
de la bonne nouvelle. J'y allai avec précaution pour lui en faire la surprise avec
ménagement, mais mon initiative l'a quand même fait encore verser des larmes de
joie...
Au retour de Papa,
exhibition du diplôme et déclaration de ma volonté d'aller travailler le
lendemain du quinze août. Mais Papa voudrait que je poursuive mes études. Qu'à
cela ne tienne, je suivrai des cours du soir !
Après tous ces
événements, le seize août 1923, j'entre donc dans la vie active. Dès le début,
tout va bien, ce genre de travail me convient et le samedi vingt-quatre,
lorsque j'ai remis mon sachet de paie à Maman, c'est pour moi un souvenir
inoubliable. Oh, ce n'était pas le Pérou, bien sur mais je commençais à me
sentir utile et j'étais content ! Avant tout, mon vif désir était de guérir
Maman et le beau, c'est que cette satisfaction ne tarda pas, elle guérit ! Sa
santé s'améliora au point que Papa lui acheta un vélo et, après un
apprentissage rapide, c'est tous les trois que nous nous mettions à parcourir
les campagnes environnantes pour notre plus grand bien.
Donc, j'avais une vie
réglée par le boulot, l'école du soir et les loisirs.
A la rentrée des cours du
soir, vers neuf heures, les devoirs à la lumière du quinquet. Dodo vers onze
heures.
-"Mais, Grand-Père,
ce devait être bien fatigant, non ?"
-"Pas le moins du
monde, mon métier je l'aime et l'école également. Mes parents ne gênaient pas
mes efforts et il y avait tout de même des jours de congé.
Quelques bons amis
passaient les moments de loisirs chez moi ou, parfois au cinéma ou, à
l'occasion, dans les beaux bals de la commune.
C'est à un tel bal que le
destin m'a fait danser le fox-trot avec la délicieuse demoiselle qui est devenue
votre bonne arrière Grand-Mère. Cela s'est passé le lundi de la Fête à La
Préalle au mois d'août 1925.
A ce moment, Mylène ouvre
la bouche en me regardant et je lui demande si elle veut dire quelque chose.
-"Oui dit-elle, je
voudrais que Mèmère raconte un peu comment elle vivait quand elle était
petite."
-"Ecoute , dit ma
femme, j'ai toujours à faire au jardin ou à la maison, d'ailleurs mon histoire
de fillette n'est guère folichonne, loin de là."
-"Enfin si tu y tiens
je m'assieds et je vais résumer."
XX. ET
GRAND-MERE ?
-"Voilà, comme Pèpère,
j'ai vu le jour rue Sur-les-Thiers, un an et huit mois après lui, dans une
maison qu'on voit de notre chambre, je te montrerai. C'était le 19 octobre
1908. Il neigeait..."
Ma soeur Jeanne avait
trois ans et il y avait aussi deux garçons, Nicolas et Martin que Maman avait
eus d'un précédent mariage. Car elle était veuve, et mon père, Jean Broukx
était son deuxième mari. Il travaillait au fond du charbonnage de l'Espérance à
Herstal. Le chemin pour s'y rendre est long et fatigant.
Tout comme Pèpère, on a
cherché à se rapprocher de son travail et on est allé s'installer au quartier
de Pontisse, rue de la Garenne si je ne me trompe. Mais on a encore dû
déménager sur réquisition de l'armée car on était trop près du fort de Pontisse
et la guerre de 1914 commençait. Heureusement mon père trouva une maison rue
des Meuniers, toujours à Pontisse.
A peine installés, on a
été forcés de se cacher dans la cave à cause des duels d'artillerie près de
chez nous. C'était terrifiant et cela a duré, duré...
Finalement, le fort a dû
capituler après une héroique résistance.
A peine remis de nos
peurs, il a fallu transporter maman rue Derrière les Rhieux chez mon demi-frère
Henri où elle a donné le jour à mon frère Jean en août 1914. Dès que maman a pu
se mettre en route, on est revenus chez nous, mais triste surprise, plus un
seul meuble, on avait tout dévalisé et, pour comble, les Allemands sont venus
enjoindre à mon père de se rendre dans la Rhur, en Allemagne, pour remplacer
les mineurs partis à la guerre.
On nous a embarqués de
force, toute la famille, et on nous a installés dans une maison près d'un
charbonnage. Je crois que ce village s'appelait Mèndègè...
Dès le début, les voisins
nous traitaient de sales Belges et nous étions l'objet de brimades en tous
genres.
Avec d'autres Belges,
papa s'esquintait à produire du charbon, mais jamais assez pour la sentinelle
en armes qui les houspillait sans arrêt.
A la fin, mon père
excédé, a assommé ce type et sans plus attendre, est remonté, s'est enfui et
est rentré se débarbouiller en vitesse à la maison, répondant à peine à nos
questions angoissées. Le temps de se vêtir sommairement, il s'est sauvé en nous
bousculant.
Son idée était de se
réfugier en Hollande, à quelques kilomètres. Mais il ne savait pas que les
barbelés qui forment la frontière étaient électrifiés.
C'est là que les
gendarmes allemands ont retrouvé son cadavre et se sont sauvagement acharnés au
point qu'on ne l'a jamais retrouvé !
Tout cela, maman l'a su
longtemps après à la suite de multiples démarches qu'elle a effectuées.
Puisque nous n'étions
plus utiles, les Allemands nous ont rapatriés tous les quatre. C'est de cette
façon que nous sommes rentrés à Herstal où l'on a pu trouver à se loger au
quartier du Rivage jusqu'à la mort de ma pauvre maman.
Quand nous sommes revenus
d'Allemagne nous étions contents, mais quelle misère, maman malade et nous,
trois enfants trop jeunes pour travailler, en pleine guerre.
Mes demi-frères Nicolas
et Henri vivaient en Hollande. Martin s'était engagé, volontaire à 17 ans, les
tout premiers jours de la guerre.
La vie chère, le ravitaillement,
le manque de ressources, ont fait que mon jeune âge n'était pas bien rose.
"Veux-tu que je m'arrête ?"
-"Non non, Mémère.
Mais je voudrais boire un coup de café, tu veux bien ?"
-"Tiens, moi aussi
!"
Et une fois avalées les
tasses de café, ma femme reprend son récit
Et bien voilà : Herstal
avait mis sur pied pour les enfants pauvres, un voyage vers Maastricht car des
familles hollandaises acceptaient de s'occuper de petits Belges puisque leur
pays n'était pas en guerre, cela avec le consentement des Allemands.
J'étais triste de quitter
ma famille, bien sûr, mais pour maman, cela faisait une bouche de moins à
nourrir.
A ma descente du
débarcadère, quelqu'un m'a prise par la main et m'a conduite chez la concierge
de la faïencerie Moreau, dans un faubourg près d'un terrain marécageux. La
concierge, une dame âgée, m'a reçue correctement mais sans chaleur affective.
Par après, on m'a
inscrite à l'école des Sœurs, mais comme les cours étaient donnés en néerlandais,
il est fatal que je n'y aie rien appris. Tu vois ça d'ici ! J'y allais quand
même, mais c'était surtout pour le bol de soupe de midi. Car si la Hollande n'était
pas en guerre, la nourriture y était plutôt rare...
En plus de l'école, on ne
me laissait jamais inactive. En effet, là-bas de nombreux lapins à alimenter m'obligeaient
à parcourir le corps courbé les terrains vagues à arracher de l'herbe pour eux.
Cela par tous temps !
Aussi imagine ma joie
quand, en sortant de l'école, je voyais les gens s'agiter en rue en criant
"Den oorlog is gedaan" Cela, je l'ai compris: la guerre est finie.
C'est sans regret que
j'ai fait mes adieux à la concierge et le bateau nous a ramenés à Herstal en
chantant.
Quel bonheur de serrer
dans ses bras les êtres chers après quatre ans d'absence et de reprendre une
vie normale.
Peu après mon retour,
dans tout Herstal garni, chaque jour on assistait au retour triomphal de nos
valeureux soldats rescapés du front. C'est au cours d'un de ces défilés que
nous avons eu l'immense privilège de voir fièrement sur son cheval notre
demi-frère Martin souriant de bonheur .
"Mais dis Mèmère,
qu'est-ce que c'est qu'un demi-frère ?"
-"Tout simplement un
enfant issu d'un précédent mariage."
Ah bon, mais tu cites
parfois le quartier de Rivage, où se trouve donc ce "Rivage" ?"
-"Ne cherchez pas,
mes enfants, il a disparu.
Figurez-vous que jadis il
existait une bande de terre qui commençait à peu près en face de la rue des
Gris et se prolongeait jusqu'au-delà du pont de Wandre. Jusqu'au pont avec ses
belles arcades, c'est le populeux Rivage. Après le pont, c'est le "Jonckay"
toujours là à côté de Chertal là où on a installé l'usine métallurgique de
Cockerill.
Cette bande de terre se
trouvait entre la Meuse et le Canal Liège-Maastricht. Pour y accéder, il y
avait sur le canal un pont-levis près duquel une grosse pompe servait à
alimenter le quartier en eau potable.
Il paraît qu'avant le
creusement du canal, les bateaux naviguant sur la Meuse se servaient du port
fluvial assez important de l'endroit qui, outre les habitations, contenait des
auberges, des restaurants etc...
Ce lieu était
particulièrement sain et pittoresque avec le va-et-vient des péniches, la belle
Meuse et comme toile de fond, Wandre et ses collines boisées et juste à l'autre
rive, le couvent de Wandre, réservé aux jeunes délinquantes, dont on voyait
parfois une pensionnaire "faire le mur" ! Mais à mon retour de Maastricht,
le Pont de Wandre ne constituait plus qu'un immense tas de ferraille plongé en
partie dans l'eau de la Meuse...
Bien entendu, j'ai repris
le chemin de l'école rue du Bellenay où de bonnes institutrices m'ont aidée à
tenter de rattraper le retard scolaire dû à mon séjour en Hollande.
Mais une fois mes
quatorze ans atteints, je me suis fait embaucher à la houillère de Basse-Campagne,
le long du canal à l'emplacement à peu près du super marché que vous
connaissez. Quant à ma sœur, elle était partie à Grammond travailler dans une
corsetterie.
Mon travail consistait à
retirer les pierres ou autres corps étrangers du charbon qui défilait devant
mes yeux sur un large transporteur avec des femmes disposées de chaque côté. Il
fallait faire vite et sans arrêt sous l'œil d'un chef genre bouledogue, vous
voyez ce que je veux dire ! La houillère était reliée à celle de Cheratte par
un téléphérique qui traversait toute la vallée en passant par dessus le canal
et la Meuse, ceci afin d'amener le charbon de Cheratte jusqu'aux bateaux amarrés
sur le canal.
Or, il arrivait que les
livraisons tardaient à venir. Dans ce cas, on prenait deux filles légères (au
point de vue poids) et on les faisait embarquer dans une des bennes suspendues
au câble, ni plus ni moins. C'est à demi morte de peur qu'on arrivait pour
aller en hâte aider les trieuses de Cheratte à combler le retard. Cela ne
s'oublie pas, oh non ! Comble de malheur, Maman n'a pu résister aux épreuves et
s'est éteinte en 1923. Elle est sûrement au Paradis.
Nous voilà orphelins et
on a été séparés. Une voisine m'a prise chez elle, ma sœur a trouvé à s'occuper
hors de Herstal. Mon frère a été placé à l'Orphelinat Reine Elisabeth" à
Huy.
-"Mais tu parlais
tout à l'heure de deux demi-frères, qu'ont ils fait ? C'était pourtant leur
mère aussi !
Oh, à part avoir fait
quelques démarches, je ne me souviens pas qu'ils se soient intéressés à nous.
La preuve, c'est que j'ai été bien contente que notre
voisine m'accueille dans sa maison car, à peine avions nous quitté
notre maison que des vandales ont profité de notre désarroi pour s'emparer de tout : meubles,
vêtements charbon etc...
Je repris mon travail à
la houillère, ce qui ne plaisait pas trop à ma voisine, surtout que le salaire
était honteusement dérisoire. Elle me fit comprendre que je devais trouver
mieux, faute de quoi c'était la porte. Je me suis donc renseignée et très vite,
j'ai obtenu du travail chez "Plein" à Coronmeuse.
"Ah oui, je sais où
c'est, Parrain me l'a montré. Que faisais-tu là ?"
On m'a mise à la
fonderie, mon travail consistait à couler du métal blanc fondu dans des
coquilles qui, une fois ouvertes, laissaient sortir des objets d'ornements très
beaux. Mon salaire était meilleur qu'à la houillère.
Peu après, on a quitté le
Rivage et ses inondations de tous les hivers pour s'installer rue Hayeneux, ce
qui raccourcissait le trajet de mon domicile au lieu de travail.
Je remarquai
malheureusement que le vrai motif qui avait poussé cette femme à m'accepter
chez elle, c'était avant tout le profit. Eh oui, c'est comme ça mes enfants !
Alors j'ai cherché et trouvé une place de servante chez des commerçants de la
rue Saint Paul.
C'est pendant cette
période que Pèpère et moi avons fait connaissance. Mais j'ai bientôt quitté
cette place pour une meilleure : rue Edouard Wacken chez
un avocat. Là au moins, on me traitait comme les membres de la famille.
C'est seulement pour me marier avec Pépère que j'ai abandonné ce poste. Et voilà, vous savez tout.
-"Maintenant, je vais préparer le goûter, qu'aimeriez-vous ?"
-"Ce que tu veux
Mémère."
-"D'accord, Pèpère
continuera à vous raconter ses histoires."
-"Alors, Pèpère,
c'est vrai, tu continues ?"
-"Oui mais quand
nous aurons soupé car je commence à avoir faim, allez faire un tour au jardin,
on vous appellera dès que la table sera servie."
Le repas à peine terminé,
une voix murmure gentiment :
"Dis, Pèpère,
raconte..."
Au fond, je ne suis pas
mécontent que nos chers petits éprouvent du plaisir à l'évocation d'un passé
qu'il n'ont pas connu et qui est si riche en évènements et découvertes de
toutes sortes. Epoque unique, parfaitement, réfléchissez...
Bon. Eh bien aujourd'hui
je voudrais vous parler des hivers que Mèmère et moi avons vécus.
D'abord le froid. Quoique
je fusse encore très jeune, je me souviens d'avoir vu un tombereau tiré par
trois chevaux « à la queue leu leu » qui traversait la Meuse gelée un
peu en aval du pont Atlas actuel qui n'existait pas alors.
Les berges de ce temps-là
étaient en terre, herbeuses et peu pentues, ce qui a permis à l'attelage de ne
pas faire le tour par le pont Maghin, et après avoir grimpé la berge de la rive
droite du fleuve, il est parti par le "champ des manœuvres", devenu
la Plaine de Droixhe pleine de buildings.
Bien entendu, la Meuse et
la dérivation offraient une piste idéale aux patineurs et surtout aux
"acrobaties à sabots" de ceux qui ne possédaient pas de patins. Et
des traîneaux mon Dieu, ce qu'il y en avait! Mais quand la température
remontait et que la pluie s'y mettait, alors c'étaient les inondations dans les
vallées. Je me souviens que, plus d'une fois, Papa m'a conduit sur le Pont de
Wandre (l'ancien d'avant 1914) d'où le coup d'œil était autant effrayant que
grandiose.
En regardant vers Monsin,
l'île proche, ce n'était qu'une immense nappe d'eau sale sur laquelle on voyait
flotter des plaques de glace, des troncs d'arbres arrachés aux rives
ardennaises. Dans le brouillard, on distinguait les silhouettes des fermes de
l'île.
Quand on se tourne vers
l'aval, au milieu du vacarme du fleuve en furie, on ne voit plus que les arbres
qui ont l'air d'être plantés dans l'eau qui recouvre tout.
Plus de prés, plus de
chemins. Que d'eau, que d'eau ! Seuls les arbres, les haies, les maisons
émergent de cette eau. A cause du brouillard qui noie tout, c'est à peine si
l'on devine les flancs boisés qui bordent la vallée si vivante d'habitude.
Le puissant rugissement
du fleuve, celui du vent d'hiver et des glaces qui se heurtent contre les piles
du pont, tout cela vous donne la chair de poule. La Meuse charrie un peu de
tout : outre les troncs d'arbres déjà cités, des chaloupes emportées malgré
leurs amarres, des morceaux de bois et, hélas, des animaux morts sauf un qui
nous a fait sourire : c'était un gros cochon qui se laissait aller en poussant
de temps en temps un grognement sourd qui ne perçait que très faiblement le
grondement général.
Au quartier du rivage,
entre Meuse et canal Albert, le courant était moins violent ce qui permettait
aux chaloupes de s'approcher des maisons inondées dont les habitants laissaient
descendre par la fenêtre de l'étage, une corde à laquelle était lié un panier
ou un sac à provisions que les sauveteurs garnissaient de victuailles pour les
sinistrés.
Et cela durait parfois
plusieurs semaines. Mais sitôt les eaux retirées dans leur lit normal, tout le
monde prenait sa part dans le travail de remise en état des maisons mais aussi
des meubles. Fallait voir le remue-ménage des pelles, des balais, des
serpillières tout au long du jour. Des kilos et des kilos de désinfectant ont
été, contre ce fléau, employés à bon escient. Une fois le tout bien séché, il y
avait la valse des pinceaux et des pots de couleur.
Les pompiers vidaient les
caves et malgré tout ce qu'on faisait courageusement, le typhus faisait quand
même des deuils dans les familles des sinistrés.
Avec mon père, on est un
jour allé à Ougrée. Pour cela, il a fallu emprunter le « tram canard »
, ainsi baptisé parce que la voiture de couleur verte était haut perchée sur
ses roues et son trolley était fort court. Un escalier au lieu de l'habituel marchepied
pour accéder à la voiture.
Quel drôle d'effet que de
rouler ainsi sans voir que de l'eau brune, on avait l'impression de flotter...
Et ce fléau se produisait
à peu près chaque année ! Heureusement, ce cataclysme ne se produit plus grâce
aux formidables travaux de démergements entrepris.
Toutefois, avant d'être
vaincue, la colère du fleuve a eu un ultime soubresaut pendant l'hiver
1925-1926.
Que d'eau que d'eau ! Des
pluies abondantes suivies de gel puis de chute de neige. Le dégel est arrivé
trop brusquement et toute cette énorme quantité d'eau a fait déborder les
rivières de l'Ardenne. La Meuse, incapable de se débarrasser de cette masse, à
son tour, envahit toute la vallée.
Le courant du fleuve
était si rapide qu'aucune navigation ne fut possible. Tous les bateaux avaient
dû être amarrés le plus solidement que l'on pût. Malgré tout, des amarres ont
été rompues et des péniches ont heurté des piles de ponts, c'était affreux !
Et le fleuve charriait un
peu de tout ce qui avait été arraché aux rivages, même des animaux morts. La
plupart des routes de la vallée se trouvaient sous eau et si le courant le
permettait, on circulait dans les chaloupes. Jamais on n'avait vu cela !
Il faut vous dire que je
me rendais chaque dimanche, attendre la sortie de votre Arrière-Grand-Mère de
chez ses patrons, rue Edouard Waecken près des Guillemins. Elle sortait après
la vaisselle de midi soit vers deux heures.
Mais le dimanche dont je
parle, seule la ligne du chemin de fer était intacte. C'est donc en train bondé
que je suis allé à notre rendez-vous hebdomadaire afin de passer l'après midi
près de ses parents. Et le soir, à nouveau le train pour revenir rue Edouard
Waecken puis pour revenir chez moi à Herstal.
A cette époque, je ne
possédais pas d'appareil photo et c'est vraiment dommage. En effet, si je vous
dis que la Place Saint-Lambert était parcourue par des embarcations sur sa
partie la plus basse en face du Grand-Bazar, vous ne me croirez pas et pourtant
c'est bien ainsi.
Si vous passez rue
Cathédrale, arrêtez vous un moment à la porte de l'église Saint-Denis. Un peu à
droite de la porte, vous verrez une plaque en fonte : un relief comportant une
ligne et une date. Cela vous montre la hauteur que l'eau a atteint en 1926. Incroyable
? Et pourtant c'est vrai ! Les boulevards n'ont pas été épargnés non plus. On
se serait cru à Venise. La circulation était à peu près normale mais au lieu
des attelages habituels, ce n'était qu'embarcations de toutes sortes qui se
déplaçaient à la force des rames en vue de ravitailler les riverains. Curieux
comme vous me connaissez, je me suis embarqué dans une chaloupe payante. En
effet, pour pas très cher, des chaloupes promenaient les touristes à travers
les rues inondées. Dommage que je ne possédais pas d'appareil photo, car, à
cette époque-là, faire de la photo était un luxe trop coûteux pour moi.
Herstal n'a pas échappé à
la catastrophe, de même que toute la vallée mosane. Il a fallu beaucoup de temps et d'argent pour
remettre les choses en état.
C'est principalement la
lutte contre les épidémies qui a englouti des sommes considérables. Il va de
soi que des centaines de milliers de personnes ont souffert du fléau vraiment
extraordinaire de cette année-là .
Nombreux sont ceux et
celles qui n'ont pu reprendre le travail à cause de la restauration des usines
noyées. Il fallait aussi absolument venir en aide aux sinistrés.
Mais la solidarité
wallonne n'est pas seulement un beau mot; c'est pourquoi on s'est mis à
organiser des festivités, des spectacles, des « sorties collectes »,
des cortèges philanthropiques le long desquels de nombreux collecteurs allaient
solliciter les spectateurs. Il était tout à fait naturel que je participe avec
mon plus beau sourire à cette bonne action, auprès des gens qui regardaient et
je ressentais de plus en plus de joie au fur et à mesure que s'alourdissait le
tronc qui m'avait été confié. C'est de cette façon qu'on a aidé les victimes à
sortir de la misère engendrée par la catastrophe. Fasse le ciel d'en empêcher
le retour.
XXII. NAISSANCE DU
CONFORT
Un jour, plusieurs des
enfants arrivent par beau temps. Je suis occupé au jardin. Le temps de s'embrasser
et les petits prennent d'assaut les jeux selon leur goût : escarpolette,
trottinette, cueillette de baies diverses et comestibles, jardinage
miniature... Il fait bon !
Or, l'air pur, ça creuse
à la longue et je ne tarde pas à entendre un appel bienvenu et que j'aime bien:
"Pépère, j'ai faim."
"Tiens, à propos,
moi aussi". Allons un peu voir à la cuisine. Et, suivi de nos chers
bambins, nous y entrons pour voir notre fille et ma femme en train de passer la
soupe et de préparer le souper. C'est ma femme qui passe la soupe avec son
"mix-soupe". Chantal s'écrie alors :
"Oh, Mémère, tu as
le même mixer que ma Maman. Dis, est-ce qu'on mangera bientôt, j'ai faim moi
"Oui, mais allez
d'abord vous laver les mains."
"Mylène, mets les
assiettes s'il te plaît", lui dit sa mère.
Et on se met à table. Une
agréable odeur de bonne cuisine emplit toute la pièce. Quand on a fini de
manger, les gamines veulent retourner au jardin mais ma femme leur conseille un
repos de quelques minutes et elles restent assises.
"Dis, Pépère,
raconte !"
"Eh bien soit, je
vais vous raconter comment on passait la soupe il n'y a pas si longtemps."
On n'avait pas
d'électricité, alors les biceps rentraient en action, voici comment :
Imaginez un bassin dont
le fond est percé d'une grande quantité de petits trous de trois millimètres
environ. Deux oreilles ou poignées permettaient de suspendre ledit bassin
appelé passoire au bord d'une marmite. Il y en avait en tôle galvanisée, les
moins chères, mais également en tôle émaillée, là-dedans, on vide un peu de
soupe à la fois, et, à l'aide d'un solide pilon en bois pourvu d'un manche, il
ne reste plus qu'à broyer les légumes cuits pour les faire passer par les
trous. Toutefois ce travail exige de bons biceps. A présent, l'électricité
remplace les bras des ménagères. Par exemple, moudre du café n'est plus qu'un
jeu d'enfant mais quand j'étais petit, c'est à la main qu'on tournait la
manivelle; ce genre de moulin existe encore mais chez certains antiquaires
seulement.
Et la lessive, parlons-en
aussi. Dans les ménages pauvres, on avait la planche à lessiver assez épaisse
et portant des rainures sur les deux faces. D'autres, en tôle galvanisée encadrée
de bois. Quel que soit le modèle, elle était simplement appuyée sur le bord de
la tine et allez-y les poignets des pauvres femmes dans l'eau savonneuse
chaude. Chaque pièce devait être frottée sur la planche jusqu'à disparition des
taches généralement à l'aide de savon vert qui ajouté à l'eau très chaude avait
tôt fait de meurtrir les mains de nos grand-mères, vous pensez bien !
Les ménages moins pauvres
possédaient un tonneau à faire la lessive, en tôle galvanisée ou même en cuivre
mais le plus fréquemment ils étaient en bois. Tous comportaient des rainures
sur tout le pourtour intérieur. Une mécanique suspendue au couvercle ou bien
attachée sous le fond commandait un mouvement de va-et-vient à des palettes en
bois ou simplement des bois ronds qui remuaient les objets à lessiver contre
les rainures des parois de la cuve. Par ce système on ne se brûlait plus les
mains mais il fallait tourner la manivelle un bon moment. C'était dur !
Chez nous, maman a fait
la lessive pendant des années en se servant d'un tonneau demi-lune. Le fond
courbe était pourvu de grosses rainures. Les flancs étaient garnis de deux
glissières en fer pour recevoir les pivots en fer d'un tambour également
demi-rond et muni d'un long et solide manche. Opérations : vider la marmite de
lessive bouillante dans le tonneau, introduire le lourd tambour dans les rainures
et balancer de gauche à droite pour frotter les objets sur les rainures du fond
et du tambour. Là aussi on se fatiguait vite à cette gymnastique.
Ce n'est pas fini, loin de
là. Il faut tordre la lessive toujours chaude, la rincer, la tordre à nouveau.
Rarement, on essore au moyen d'un appareil à deux rouleaux pressés l'un contre
l'autre par un fort ressort. On y introduit les pièces une à une en forçant sur
la manivelle de façon à faire pénétrer les objets en tournant jusqu’à ce que
toute la pièce de linge soit passée en abandonnant le plus d'eau possible.
Il reste à la lessive
d'être suspendue à un fil de fer en vue du séchage complet, tout comme maintenant.
Ensuite vient le moment
de la finition de l'ouvrage : c'est le repassage. Actuellement, il suffit de
pousser la fiche dans une prise de courant et de laisser chauffer le fer à la température
voulue, mais avant ?
D'abord faire un bon feu
dans la "plate-buse" ou cuisinière, placer deux ou trois fers sur le
couvercle puis préparer la table à repasser pendant que les fers se mettent à
température suffisante.
Il existait aussi des
poêles avec un pot à facettes contre lesquelles on appuyait plusieurs fers afin
de gagner du temps. Théoriquement c'est très bien mais réfléchissez un peu dans
quel état de transpiration vivaient nos pauvres aïeules à côté d'un gros feu
même en été avec les portes et fenêtres ouvertes. Vous voyez ça d'ici. Atchoum
par ci, atchoum par là, que de gros rhumes contractés ainsi !
De nos jours, grâce aux
chercheurs, on a inventé tout ce qu'il faut pour faire la lessive plus
facilement. On va même jusqu'a sécher dans des séchoirs électriques !
En outre, alors, il
fallait faire la navette entre chez soi et la pompe pour se procurer l'eau
nécessaire, tandis qu'à présent on l'a à domicile. Un trésor ce robinet !
Quand votre papa se rase,
il se sert ou bien d'un rabot et de mousse spéciale pour barbe ou d'un rasoir
électrique. Jadis rien de tout cela n'existait. On ne connaissait que le rasoir
de coiffeur toujours en usage mais peu. Voyez-vous mes enfants, le progrès met
chaque jour de petites ou grandes inventions destinées à nous simplifier la
vie. On a le choix en une série de produits auparavant inconnus de même qu'en
matériel de plus en plus parfait.
Il nous appartient de
nous en servir avec discernement.
Toujours en vue d'aider
la ménagère, d'importants travaux ont été exécutés pour amener l'eau potable
dans les maisons. Il n'en a pas toujours été ainsi, je vous ai raconté comment
on devait aller à la pompe
et remplir les grands pots en grès à la maison.
N'oublions pas la fermeture
éclair à présent banale mais qui n'existe que depuis notre génération.
XXIII. AH LE PROGRES !
Peut-être vous
rappelez-vous m'avoir entendu dire un jour que nous avons dû quitter Herstal
parce que mon père refusait de travailler pour les Allemands.
-Oh oui grand-père, et
alors que veux-tu dire?
-Ceci, écoutez. Pour le
récompenser de son acte patriotique, l'Etat Belge l'a gratifié d'une somme
équivalente au salaire qu'il aurait perçu si la guerre n'avait pas eu lieu. Ceci
au salaire de 1914 bien entendu.
Cet argent inattendu fut
le bienvenu, cela va de soi car, depuis toujours, mes parents caressaient un
rêve impossible: avoir une petite maison bien à nous.
Ce petit pactole a servi
d'acompte à l'achat d'une maison de deux pièces plus une cave, située rue du
Progrès devenue rue André Fivé. Pas de jardin mais qu'importe !
Peu à peu, nous l'avons
aménagée et construit une cloison dans la chambre trop grande. Donc une
deuxième chambre. C'était en 1924. Pas d'électricité ni de robinet non plus,
mais la pompe ne se trouvait pas trop loin.
Si je vous raconte tout
ça, c'est pour vous faire comprendre comme on est gâté à présent.
C'est également dans ces
années-là que tout Herstal était un vaste chantier : on installait les lignes
électriques. Des poteaux, des potences aux maisons et des kilomètres de fils
surplombèrent bientôt l'agglomération. Les becs de gaz disparurent et un brillant
éclairage le soir changea l'aspect de la commune.
Chez nous, je mis à
profit mes connaissances d'électricité apprises à l'Ecole Technique et, après
étude du règlement, j'installai des lampes et des prises de courant partout.
Après raccordement, le vaillant quinquet a été mis à la retraite. ll l'avait
bien méritée, c'est une relique !
Alors suivirent peu à
peu, un tonneau à lessiver en bois tout rond d'un modèle qu'on ne fait plus.
Quel soulagement, mais le
moteur devait être lancé en tournant la manivelle. L'ancien « demi lune »
servit à faire du feu, puis les fers à repasser furent à leur tour mis à la
retraite et conservés en cas de panne !
Un autre fer, tout
chromé, les remplaça à lui tout seul. C'est inouï les progrès réalisés en cette
période là ! Chaque fois pour faciliter la vie. C'est pas beau ça ?
-"Mes enfants,
voulez-vous que je m'arrête de vous parler d'inventions, de découvertes etc
?"
-"Non, non Pépère,
c'est d'ailleurs fort instructif. Qu'en dis-tu Mylène ?"
-"Mais j'aime ce que
Pèpère nous dit."
-"Petite flatteuse
va !
Hé bien, je vais encore
vous parler de choses que vous n'auriez pas pu connaître à leur début puisque
vous n'étiez pas encore nés".
Par exemple, des
découvertes médicales ont permis de venir à bout des maladies réputées
inguérissables. Quand vous serez un peu plus grandes, allez à la bibliothèque
pour vous procurer les livres consacrés à Pasteur, aux époux Curie, au docteur
Fleming et à de nombreux autres chercheurs qui ont consacré leur vie à lutter
contre la souffrance humaine. Quel beau dévouement.
Pour en revenir au
progrès social depuis le développement de l'électricité, c'est grâce à ce phénomène
que le confort s'est si vite répandu à travers le monde industriel.
Ainsi, outre ce que je
viens de dire au sujet de l'aide aux ménagères, la corvée qui consistait à
aller recharger les lourdes batteries du T.S.F. fut terminée. En plus, la
longue antenne s'était raccourcie au fil du temps. C'est encore vers les années
vingt qu'on a vu apparaître la radio qui fonctionne directement sur une simple
prise de courant avec une courte antenne ou même un cadre garni d'un enroulement
de fil de cuivre. Cette évolution à incité les gens à acheter d'excellents
postes de radios, malheureusement assez chers.
Le modeste gramophone
comme celui de mon Oncle Joseph a pris le chemin du musée ou de l'antiquaire
car le "pick-up" l'a remplacé. Plus besoin de remonter le mécanisme
ni de changer d'aiguille à peu près à chaque disque. Un moteur électrique précis,
un diamant presque immortel et un ou deux haut-parleurs, tout cela reproduit le
son avec une pureté incroyable, supérieure au brave phono de ma jeunesse.
Encore une formidable
invention de ce temps-là, c'est l'enregistrement sur ruban en matière synthétique
suivant des procédés optiques ou magnétiques. C'est grâce à cette découverte
que le cinéma jusqu'alors muet est devenu parlant. Je n'ai pas oublié les
longues files de gens qui encombraient les trottoirs devant les salles de cinéma
qui annonçaient des films "parlants et sonores". Tout le monde voulait
voir ça et c'était logique ! Un regret pourtant : les musiciens qui accompagnaient
les films muets perdirent leur gagne-pain, c'est dommage...
Dans le domaine des
transports, même phénomène, les moyens de transports se développèrent à un
rythme fou au point que la circulation dans les rues devint dangereuse et
difficile, surtout aux carrefours. Aux heures d'affluence, on plaça des
policiers afin de diminuer les risques d'accidents et ce, qu'il pleuve ou qu'il
neige. Alors on a adopté le système toujours en vigueur, les feux lumineux
rouge, orange et vert. Il n'a guère fallu de temps pour s'y habituer. Au fur et
à mesure que les engins motorisés recevaient de plus en plus d'adeptes, les
attelages à chevaux diminuèrent de jour en jour.
Malheureusement, ces
véhicules à moteur circulaient à des vitesses de plus en plus élevées, ce qui
augmente d'autant plus les risques. Il parait que c'est le progrès. Ah si les
hommes étaient plus raisonnables...
Grâce à l'invention de la
peinture au pistolet, les teintes des voitures se firent plus belles, plus
brillantes. Ce fut tout un évènement quand apparurent dans les rues ces
splendides limousines parées de couleurs comme on n'avait jamais vues. On était
habitués au noir semi mât des anciennes voitures. Le nombre d'autos allant en
s'accroissant sans arrêt, les villes changèrent les places publiques en parkings
au grand dam des enfants qui ne disposent presque plus d'endroits propices à
leurs évolutions. Mais la voiture, ça rapporte !
Sur les voies navigables,
mêmes changements, les chevaux ont disparu, depuis les remorqueurs sont plus
rares car chaque péniche a son propre moteur. Les chemins de fer ne sont pas
restés à l'écart. On a remplacé les voitures en bois à six roues par de
nouvelles à "boggies", plus claires et plus confortables qui
sillonnent le pays. Quant aux vieilles locomotives à vapeur, on les a mises à
la ferraille et d'autres sont apparues; d'abord des Diesel puis le réseau s'est
pourvu de caténaires pour les puissantes et rapides locomotives électriques.
La motorisation a
remplacé tout ce qu'on faisait jadis à l'huile de bras. Par exemple, le moteur
est une vraie aubaine pour les boulangers qui n'ont plus à pétrir la pâte à la seule
force des biceps. Les bouchers aussi se servent de moteur qui leur permet de
préparer toutes les pièces de viande avec moins d'efforts. De nombreux métiers
se pratiquent moins péniblement grâce à la force mécanique.
"Femmes-machines", FN Herstal |
Une vraie toile d'araignée
de câbles couvre l'Europe. Notre génération a également connu des matières
nouvelles bien utiles : I'éternit", la "menuiserite",
I'unalit", sans oublier le "roofing", toutes matières utilisées
en construction immobilière. Parmi les métaux, l'acier céramique Widia
tellement dur qu'il permet de faire tourner les machines beaucoup plus vite
d'où augmentation de la production...
Tricar FN 1946 |
"A propos, la
prochaine fois, je vous parlerai de mon mariage avec Mémère. D'accord ?"
-
"Oui, Pépère !"
XXIV. LA
NOUVELLE FAMILLE
La semaine suivante, nous
étions en visite chez notre fille aînée dont le mari est clarinettiste.
Conversation à bâtons
rompus quand la porte s'ouvre et, dans un joyeux brouhaha, voici nos petits
trésors qui entrent en brandissant les fleurs coupées pendant leur promenade le
long du bois de Bernalmont sous la conduite de notre fille cadette, leur tante
et grand-mère à l'une et à l'autre. Quel entrain pour parler de leur aventure !
Un brin de toilette, le
souper, et malgré la fatigue de l'après-midi, une petite phrase sortit toute
seule
-Dis Pèpère, raconte !
Bon, mais raconter quoi ?
-Ben, tu sais hein, ton
mariage avec Mémère.
-Comment, vous n'avez pas
oublié ?
Bien sûr que non, on aime
bien Mèmère aussi tu sais.
D'accord, comme cela vous
vous reposerez. Allons plutôt nous asseoir au salon dans le canapé.
Vous venez ?
Je suivis nos chérubins
au salon et me remémorais ce jour d'avril 1927 où nous nous sommes unis pour
toujours ...
Eh bien, le seize avril
était le samedi de Pâques. Il faisait un temps idéal : ciel bleu, vent léger,
printanier. Nous avions choisi ce jour afin de profiter de deux jours libres,
grâce au lundi férié. Tout s'est bien passé. A ce point de mon récit, Chantal
m'arrête.
-Combien de voitures y
avait-il, Pépère ?
-Oh tala, des voitures,
mais pas une seule, on s'est marié à pieds comme c'était la coutume à cette
époque, du moins dans la classe ouvrière. Car on avait déjà toutes les peines
du monde à supporter les frais d'un mariage décent sans faire de crédit pour un
luxe inutile.
-Mais pour Mémère ça
devait être difficile de marcher en pleine rue avec un voile encombrant et
fragile.
-Ecoutez, c'est très bien
mais c'est du luxe. Mémère avait fait faire une belle robe en soie moirée de
toute beauté avec ses petits losanges et ses manches en voile transparent
allant jusqu'aux poignets.
Elle était coiffée d'un « chapeau-cloche »
à la mode et en soie noire comme la robe, et qui faisait ressortir sa belle chevelure
châtain légèrement ondulée.
Elle était et est
toujours belle à croquer.
-
C'est vrai ça, elle est
restée belle. Comment faites-vous donc pour ne pas vieillir ?
-Petite flatteuse va ! Ma
foi, c'est simple : ne pas fumer, éviter l'alcool, de l'exercice modérément,
manger sain et examiner lors de l'achat les indications des emballages et s'il
y a des additifs nuisibles, les écarter et, en un mot, vivre de manière la plus
naturelle possible.
A propos de la robe, elle
a servi longtemps et un petit morceau de tissu est gardé comme une relique.
Et toi, Pèpère, comment
étais-tu ?
En complet veston sur
mesure, de couleur noire et un chapeau melon qui était lui aussi à la mode
d'alors. D'ailleurs, à la maison, une belle photo nous montre tels que nous
étions lors de notre mariage.
Quant au banquet, ma mère
s'est toujours surpassée. Les invités ont été très gentils, on a poussé la
chansonnette et tout le monde s'est bien amusé.
Le lendemain, jour de
Pâques traditionnel, repos.
Le lundi, promenade
pédestre, pas de voyage de noces !
Le mardi, reprise du
travail chez Matray. Compliments des camarades et cadeau du patron : une lampe
de chevet en cuivre avec abat-jour en soie rouge et un bon verre.
Depuis pas bien
longtemps, j'avais fini de fréquenter les cours du soir et le vie reprit son « traintrain »
habituel à cette différence près qu'en rentrant le soir à la maison j'avais une
personne de plus à embrasser : ma femme chérie.
Le premier février 1928
fut une journée faste car ce jour-là je devenais papa et nous étions toute la
famille dans un état de bonheur inimaginable. L'heureuse naissance de notre
premier enfant changea notre manière de vivre, et moi j'étais fier de ma nouvelle
responsabilité, et votre grand-mère, à vous Chantal, est tout bonnement notre
enfant Marie-Thérèse.
Remarquez qu'à cette
période-là, la prime de naissance était une utopie tout comme les allocations
familiales. Mais qu'importe, je me mis à faire des heures supplémentaires afin
que notre fille bien-aimée ne manque de rien, ni sa chère maman non plus !
Nous habitions avec mes
parents. Depuis toujours, ma mère rêvait d'avoir un jardin pour y cultiver des
fleurs et des légumes.
Une occasion ayant été
présentée, on revendit la maison de la rue du Progrès pour acheter celle de la
rue Rogivaux dans laquelle nous avons emménagé au premier anniversaire de notre
fille.
Là-bas, ma mère a eu son
jardin et nous, avons eu une deuxième naissance. en effet, une belle petite
fille est née dans le jardin, sous un rosier, quelle joie !
Nous l'avons nommée
Jeanine en hommage à votre tante Jeanne, la sœur de Mémère.
Grande joie aussi pour
notre fille Marie-Thérèse qui, dès qu'elle avait su parler demandait souvent
pour avoir une petite sœur. Son vœu se trouvait donc exaucé.
Oui Mylène, oui David, ce
vingt-cinq mai 1931, votre grand'mère maternelle est née sous un rosier.
Hélas, notre bonheur fut
troublé par une crise très dure qui a mis dans la misère des millions de
travailleurs. Le neuf janvier 1932, Monsieur Matray, mon patron, m'avoua les
larmes aux yeux, que son carnet de commandes était vide et qu'il devait me licencier.
Je dois à la vérité de dire que je suis resté un des derniers chez Matray.
Un long calvaire
commençait, en effet, quoique en règle de cotisations syndicales, celui-ci n'a
pas pu m'aider : la caisse était vide, il y avait déjà trop de chômeurs...
Résultat, pas de travail,
pas d'argent, débrouillez-vous !
En ai-je fait des
kilomètres à vélo à la recherche d'un boulot, c'est ainsi que j'ai assumé des
besognes très rebutantes ou dangereuses dont je vous fais grâce.
Mèmère aussi s'est
acharnée à toutes sortes de métiers temporaires en laissant nos deux filles aux
bons soins de ma maman que je remercie de nous avoir si bien aidés.
Heureusement que mon père n'a jamais chômé pendant les quarante-trois ans
passés aux chemins de fer à Herstal.
Puis ce fut la grève de
1936 qui a connu plusieurs morts au cours de fusillades à Grâce-Berleur.
Cette année là, j'ai eu
la chance d'entrer au charbonnage de mon enfance comme ajusteur d'atelier,
après examen d'aptitude réussi. Suite à la grève, d'importants avantages furent
arrachés, salaire minimum de quatre francs l'heure, allocations familiales, une
semaine de congé par an.
La vie prenait enfin
meilleure tournure !
Nos deux filles grandissaient
très bien. Au charbonnage, j'effectuais des heures supplémentaires. Mèmère
faisait les équipes à la Fabrique Nationale. Après l'école, ma mère s'occupait
des enfants. Bref, tout marchait bien.
Par un travail acharné, nous
sommes parvenus à nous loger à part, toujours à La Préalle.
Le ciel moralement bleu
de notre existence se chargea pourtant de sombres nuages. En effet, la radio
que nous possédions depuis peu prononçait trop souvent un nom synonyme de
malheurs : Adolf Hitler. On ne parlait que d'Anschlus, de Slovènes et autres
affirmations qui n'annonçaient rien de bon.
Septembre 1939, un peu
avant la clôture de l'Exposition de l'Eau de Liège qui fut un immense succès,
l'Allemagne de Hitler envahissait la Tchécoslovaquie et la Pologne.
Sur sa lancée si bien
commencée, l'Allemagne franchit les frontières belge et hollandaise ainsi que
celles des pays du nord de l'Europe. Cela le 10 mai 1940.
Et maintenant, mes
enfants, si on le laissait ainsi pour aujourd'hui. Il est bientôt temps de
rentrer chacun chez nous. Nous reparlerons de tout ça quand vous viendrez chez
nous à La Préalle.
XXV. LES TEMPS DURS
Et, effectivement,
quelques jours après, les enfants sont à nouveau chez nous et me demandent la
suite du récit commencé chez leurs oncle et tante.
Eh bien oui, mes enfants,
pour la deuxième fois en vingt-cinq ans, les Teutons salirent l'Europe sous
leurs bottes couvertes du sang de leur innocentes victimes !
La petite Mylène élève la
voix : "Dis, Pèpère, qu'est-ce que c'est la guerre ?"
-"Comment, vous ne
savez pas ce que c'est que la guerre ? Vous regardez pourtant la télévision assez
souvent."
-"Quand on passe un
film de guerre, papa nous envoie au lit. Il ne veut pas qu'on regarde ces
horreurs, car, d'après lui, c'est trop bien arrangé que pour être vrai ! Maman
dit la même chose et s'il est trop tôt que pour aller au lit, on joue dans nos
chambres."
-"Ecoutez, je donne
raison à vos parents qui ne veulent pas vous laisser voir ces monstruosités. En
effet, je me garderai, pour ma part, de vous donner des détails ou descriptions
fort pénibles."
-"Pourtant Mamy nous
a raconté que Mèmère et toi aviez connu deux guerres."
-"Oui, c'est
justement pour cette raison que je ne veux pas du tout vous accabler de faits
qui ne sont pas de votre âge. Mais lorsque vous saurez bien lire, allez à la
bibliothèque de votre quartier. Là se trouvent des livres qui auront de quoi
satisfaire votre curiosité. Lisez-les attentivement mais attendez quelques
années ! Toutes les personnes de notre génération n'ont qu'un grand souhait à
formuler : que vous n'ayez jamais à subir ce que eux, les vieux, ont vécu
pendant la guerre !"
Je ne comprends pas que
des savants se creusent la tête pour inventer des armes de plus en plus
terrifiantes. On démolit à coups de bombes ce qui a été édifié à grands frais
et on tue des gens qui n'ont rien à se reprocher. Tout cela pour satisfaire
leurs goûts sordides soit de domination, soit l'amour immodéré du bien le plus
détestable : l'argent qui tourne la tête des faibles d'esprit. Ces malheureux
sont sans doute possédés du diable ! Ceci n'est qu'un aperçu, bien entendu.
Voyons un peu la vie de
tous les jours en cas de guerre. D'abord la nourriture, il faut manger quand
même. Le premier soin des commerçants qui ont des stocks, c'est d'augmenter
scandaleusement les prix. Malheur à ceux qui ne peuvent se payer le luxe qu'est
devenu le moindre morceau de pain, et le reste à l'avenant bien sûr !
Mais, officiellement, il
y a le ravitaillement, oh oui, mais celui-ci a pour mission de ne vendre à la
population que juste assez pour ne pas trop vite mourir de faim.
Alors, que faire, se
débrouiller, c'est-à-dire courir la campagne, visiter les fermes, acheter de
quoi vivre à des prix honteusement élevés et revenir chez soi en évitant les patrouilles
allemandes qui n'hésitent pas à vous prendre le fruit de vos efforts si coûteux.
Plus mauvais encore, les rexistes qui vous guettent cachés derrière les haies
ardennaises. Incroyable et pourtant...
-Cela t'est arrivé à toi,
pèpère ?
-Oui, plusieurs fois par
des Allemands, mais comme je ne me défendais pas trop mal en un mélange de
flamand et les quelques mots d'allemand que je connaissais, j'ai inventé une
fable à vous faire pleurer et ils ne m'ont rien pris ! D'ailleurs, Chantal,
demande à ta marraine si elle se souvient de la frousse que nous avons eue,
elle et moi, le premier mai 1944 au passage à niveau de Sainval lorsque des
soldats armés ont fait irruption sur la route en criant "Halte" alors
que nous revenions de Houffalize lourdement chargés de froment et de beurre
échangés contre du tabac dont je me munissais en cachette à l'avance.
A remarquer que les
cultivateurs condruziens ainsi que les ardennais pratiquaient des prix plus
raisonnables. En hiver, plus question de parcourir les campagnes ni les
Ardennes le dimanche après une semaine de travail. Il fallait bien s'adresser à
des fraudeurs locaux. Alors il était temps d'avoir un porte-monnaie bien rempli
sinon il n'y avait plus qu'à se contenter de la maigre ration du ravitaillement;
ça aussi c'est la guerre !
Maintenant rendons un
hommage aux résistants que l'on désignait sous le nom d' "Armée
blanche", mais que les Boches traitaient comme des terroristes. En
réalité, laissez-moi vous expliquer ce que c'est.
Ecœurés par la lâcheté
d'un grand pays comme l'Allemagne qui osait attaquer le nôtre sans vergogne,
massacrer des gens qui ne demandaient qu'à vivre en paix et cela par deux fois
en vingt-cinq ans, des hommes et des femmes se sont groupés en écoutant les
conseils d'anciens militaires dans le but de causer le plus d'ennuis possibles
aux occupants.
On ne saurait compter les
actes de bravoure accomplis par ces personnes courageuses par idéal
patriotique. Par exemple faire dérailler des trains de munitions. Faire sauter
les pylônes à haute tension afin de freiner les ateliers produisant du matériel
de guerre. Saboter la production de charbon si nécessaire à l'industrie. En
plus fabriquer de fausses pièces d'identité pour les aviateurs alliés dont les
avions avaient été abattus par la DTCA. Cacher ces aviateurs américains ou
anglais, les nourrir, les soigner parfois, les habiller de costumes civils et
faire disparaître les uniformes, etc...
Ce n'est pas tout, il
fallait encore trouver des gens de confiance comme interprètes. Ensuite les
conduire en France pour les confier à des résistants français qui, à leur tour,
les prenaient en charge jusqu'à la frontière de l'Espagne, pays neutre, et de
là-bas, l'aviateur et ses compagnons, souvent, se débrouillaient pour retourner
en Angleterre et recommençaient à venir bombarder l'Allemagne...
C'est par milliers que
d'ardents patriotes ont perdu la vie dans les rangs de I' "Armée
Blanche". Non seulement des résistants mais aussi des civils.
-Mais, me dit Marcel,
c'est affreux ce que tu dis là, des civils qui n'ont rien fait, pourquoi ça ?
-Hé oui, Marcel, quand
une action se produisait , si les Allemands et leur Gestapo ne trouvaient pas
les auteurs, ils prenaient chaque fois dix otages et les fusillaient.
-Qu'est-ce que c'est ça
Gestapo, pèpère ?
-Cela veut dire : Geheim
Stadt Polizei. En français : Police secrète de l'Etat, voilà.
Allez un jour vous recueillir
à l'Enclos des Fusillés au parc de la Citadelle et priez de bon cœur pour ces
malheureuses victimes du nazisme, pas tout à fait disparu !
Maintenant, voyons un peu
quelques inventions qui datent de la guerre 40-45. D'abord, le stylo à bille
dont on se sert tous les jours. Plus un avion vole haut, plus la pression
atmosphérique baisse, si bien qu'il n'est plus possible de prendre des notes
avec un porte-plume à réservoir classique. C'est afin de parer à cet inconvénient qu'on a inventé
le stylo muni d'une petite bille qui récolte l'encre d'un genre particulier
contenue dans un fin tube. Ce système permet aux aviateurs d'écrire en plein
ciel !
Autre trouvaille , le plexiglass
et la matière plastique. Au cours des combats aériens, les vitres volaient
souvent en éclats, ce qui est dangereux parce que l'air pressurisé des
habitacles s'échappe.
Afin d'éviter ce risque,
on a remplacé le vitrage par d'épaisses plaques transparentes d'un matériau
incassable qui est du plexiglass dont est dérivée la matière plastique si
répandue de nos jours. On se demande comment on a pu vivre sans elle auparavant.
Toutefois, un regret :
beaucoup de gens ont perdu leur emploi en ne fabriquant plus dans des matières
comme la tôle ou le bois, ce qu'on coule actuellement en plastique. En effet
cette matière fond facilement et on la coule dans des moules appropriés pour en
faire toutes sortes d'objets à des prix de revient moins élevés.
Autre découverte géniale,
la pénicilline découverte par le docteur Fleming à partir d'une moisissure. Que
de soldats blessés ont été sauvés par ce merveilleux médicament qui est
toujours utilisé aujourd'hui.
L'ingénieur allemand Von
Braun, lui, n'a rien inventé pour soigner les gens. C'est plutôt le contraire.
Sa fusée V2 ne sert qu'à tuer et détruire. C'est à partir de cet engin de mort
qu'on est parvenu à construire les fusées spatiales.
Fasse le ciel que la
folie des hommes ne provoque la guerre des étoiles dont on nous rabat les
oreilles.
Comme vous voyez, mes
enfants, tout cela n'était guère encourageant et, cependant nous n'avons jamais
cédé au désespoir car les vieux avaient déjà l'expérience de la guerre
1914-1918.
Nous étions certains que
l'Allemagne nazie finirait par mordre la poussière, mais c'est principalement
la radio qui nous faisait espérer une fin logique de nos souffrances,
c'est-à-dire l'écrasement du Reich orgueilleux.
En outre, des hommes
courageux imprimaient en cachette de petits journaux dans lesquels ils dévoilaient
ce que les feuilles au service des Fridolins ne disaient pas.
Heureusement, presque
tout le monde avait la radio et, le soir on écoutait attentivement les émissions
en français de Radio Londres. De telle sorte que nous étions informés de façon
encourageante des événements mondiaux.
Combien de fois
avons-nous savouré les discours du général De Gaulle, de Van Acker, de
Paul-Henri Spaak. Ces ministres belges s'étaient réfugiés en Angleterre plutôt
que de se mettre au service de l'ennemi et, à Londres, ils rendaient service
aux Belges avec bonne volonté.
Bien entendu, l'écoute de
Radio Londres était passible de confiscation du poste de radio mais aussi de
peine de mort. Et le lendemain de ces émissions, c'était pour nous la grande
rigolade quand nous entendions I' I.N.R. belge sous contrôle germanique qui
s'emberlificotait dans des explications décousues pour démentir Radio Londres.
En vue d'empêcher une
bonne écoute d'une station étrangère, une radio allemande diffusait sans arrêt
un son modulé puissant. Mais nous comprenions quand même nos amis de Londres !
Et chaque matin, avant de prendre le travail, le sujet de conversation était
le commentaire des nouvelles.
Chaque jour, et surtout
chaque nuit, le bruit de la multitude d'avions sillonnant le ciel nous tenait
en haleine. Ils passaient dans le but d'aller détruire la machine de guerre allemande
en faisant de nombreuses victimes. Chaque fois, les sirènes beuglaient pour
qu'on se cache dans sa cave ou dans un abri, tandis que là-haut des combats se
déroulaient entre avions et il était fréquent d'en voir tomber en flammes
n'importe où. C'était effrayant. Les éclats des "scrapnels" de la
D.C.A. eux aussi retombaient n'importe où.
Et bien, c'est dans une
telle ambiance que ton papa est né, mon cher Xavier, ah oui. C'est inoubliable..
Nous lui avons donné le
prénom de Jean-Claude et sa naissance nous causait un tel bonheur que nous ne
pensions plus du tout à la guerre. L'heureux événement répondait au vœu de nos
filles qui souhaitaient depuis toujours avoir un petit frère à dorloter.
Cela s'est passé le vingt
août 1943, au soir, et quelques heures après sa naissance, le bébé a dû être
porté à la cave dans les bras de ses sœurs pendant que Mémère au lit, et moi à
côté du lit, nous récitions des prières tandis qu'au-dessus de nos têtes, haut
dans le ciel, les combats entre avions faisaient rage. C'était assourdissant.
En outre, par moments, la clarté était si forte qu'on se serait cru en plein
jour. Ceci à cause des fusées éclairantes, des avions en flamme également. Deux
avions anglais sont tombés dans un champ en bordure de la rue de l'Aunaye.
Comme tu vois, mon petit
Xavier, ton papa est né en pleine bataille aérienne.
Bien sur, nous avions
pris nos dispositions pour que notre fils ne manque de rien malgré les événements.
C'est ainsi que nous avons pu acheter une belle voiture d'enfant par un échange
de trois cents kilos de charbon contre cette voiture.
Je vous ai déjà parlé de
nos randonnées à tandem dans le but de trouver de quoi manger. Seulement, les
pneus, cela s'use et les Prussiens avaient raflé tous les stocks. Des artisans
ingénieux se sont donc mis à rechaper les pneus avec une espèce de goudron qui
ne résistait que quelques jours. Qu'importe, nous avions enfin un fils douze
ans après la naissance de notre fille Jeannine. Et les nouvelles de Radio
Londres nous rendaient de plus en plus optimistes quant à la fin de cette
maudite guerre.
XXVI. LES PASSAGES D'EAU
En 1940, j'exerçais mon
métier d'ajusteur à l'atelier du Charbonnage de Wandre.
Le dix mai, on s'est
réveillés au bruit des avions qui lâchaient leurs bombes et des canons belges
qui leur tiraient dessus avec succès car j'ai vu comme tout le monde, sept
avions boches tomber en flammes.
Pas question de se rendre
au travail, bien entendu, ni les jours suivants car tout était désorganisé.
Beaucoup de gens s'étaient sauvés vers la France et il y eut de nombreuses
victimes des Stukas allemands qui s'amusaient à mitrailler les malheureux civils
! Nous, on est resté ici car nous avions l'expérience de l'autre guerre.
La grande préoccupation
était de chercher à ne pas mourir de faim et aussi d'éviter le plus possible de
rencontrer des "Fridolins".
-"Qu'est-ce que
c'est ça, Pèpère ?"
-"C'est un des
gracieux surinons pour désigner les envahisseurs. Quand on parlait d'eux, on
disait "Sales Boches", "Fridolins" ou encore doryphores, du
nom de l'insecte qui dévore les plants de pommes de terre.
Lorsqu'on a pu reprendre
son boulot, le problème était de traverser la Meuse afin d'aller à Wandre car
tous les ponts avaient sautés, les Belges croyant ainsi freiner les Boches !
Pour y parer, un petit remorqueur faisait la navette. Mais il était trop petit
pour assurer la traversée correcte des nombreux ouvriers et autres personnes.
Pour traverser le Canal Albert, il n'y avait qu'à franchir les portes de
l'écluse et passer sur le bout de terrain séparant les deux cours d'eau.
Bientôt le remorqueur a été
remplacé par une espèce d'Arche de Noé à propos de laquelle je crois utile de
vous toucher quelques mots.
En fait, voilà brièvement
de quoi il s'agit : imaginez deux barges à gravier accolées côtes à côte et
recouvertes d'un immense plancher pourvu d'un garde-corps rudimentaire. Au
milieu, une cabine en planches, toute simple et dans celle-ci, bien à l'abri
des intempéries, un treuil à moteur coiffé d'un câble dont les bouts sont
amarrés aux rives respectives du fleuve.
Aux heures de pointe, il
y avait foule et le prix de la traversée était raisonnable. On vendait même des
abonnements ! Tout alla bien jusqu'au jour où, en hiver, le courant fut
tellement fort qu'une amarre céda et l'esquif fut emporté par les flots
furieux.
-"Et tu étais
dessus, Pépère ?"
-"Non, cet accident
venait de se produire un instant avant mon arrivée au lieu
d'embarquement."
Ce n'est qu'à grand
renfort de muscles mariniers que la catastrophe put être évitée. Ils sont
parvenus à échouer l'embarcation sur l'île de Chertal sans autres dommages. J'avais
entendu dire que les Allemands avaient construit un pont en bois à côté du pont
Maghin, détruit lui aussi. Le temps d'aller voir, à vélo, eh bien oui, c'était
vrai. Je l'ai donc franchi, puis celui de Bressoux, intact, et je suis rentré à
mon travail avec seulement une heure de retard. Peu après, voici les compagnons
qui ont dérivé sur la Meuse. Débarqués difficilement sur l'île puis, ayant eu
une longue marche à faire avant de pouvoir retrouver un remorqueur parti à
leurs secours. Pas de victime heureusement.
Bientôt, un solide pont
en bois fut établi au quai de la Goffe et le précédent près du pont Maghin, démonté.
C'est par là que, chaque jour, j'effectuais le trajet de La Préalle à Wandre et
retour, soit 24 kilomètres par jour.
Un jour, sur ce pont,
j'ai renversé un soldat descendu du trottoir juste devant mon vélo. Il s'est
relevé sans mal mais en me regardant de travers. Alors un officier qui avait
tout vu se planta devant moi en claquant les talons et me dit en bon français :
" Excusez la maladresse du soldat, il est sans doute distrait ." Un
salut militaire accompagné d'un "Bonne route Monsieur'. L'incident était
clos et je repris mon chemin tranquillement vers La Préalle...
Quand je pense au passage
de la Meuse sur les embarcations de fortune en remplacement des ponts détruits,
je ne peux m'empêcher de me souvenir d'autres chaloupes par lesquelles, étant
gamin, j'ai traversé des cours d'eau.
-"Oh, Pèpère,
raconte-nous ça!"
-"Soit, mais c'est
assez long, ça ne vous fait rien ?"
-"Pas du tout, on
aime bien."
Je vous ai déjà raconté
que mon oncle Toussaint venait parfois le dimanche me chercher pour me promener
avec lui et tante Guillemine. Soit en train, en tram ou même en bateau-mouche
ou tout simplement en chaloupe.
Donc, un jour, mon oncle
vint me prendre pour aller à Jupille auprès d'un ami
colombophile en passant par l'île Monsin.
colombophile en passant par l'île Monsin.
Je vous ai déjà un peu
évoqué le canal Liège-Maastricht. Traversons-le donc et ensuite le Pont Willem
qui enjambe la Laye ou dérivation. Du haut de ce pont la vue est de toute
beauté avec comme toile de fond, la rangée des ormes qui bordent le canal aussi
loin que porte le regard. C'est vraiment splendide !
Une fois le pont
traversé, on aborde la si belle île Monsin avec ses guinguettes, ses laiteries,
ses restaurants fameux d'où sort un parfum de fricassée ou de poisson de Meuse
fraîchement pêché puis frit selon une méthode à vous mettre l'eau à la bouche.
N'oublions pas les jeux pour enfants, il y en a tout un choix, bref du plaisir
pour tous.
La rue de Jupille est
noire de monde, il fait beau. Nous dépassons bientôt les fermes et les prés où
broute un très beau bétail et ensuite, des cultures prospères grâce à la
richesse exceptionnelle du sol bien nourri par les alluvions qu'y dépose la Meuse
lors des inondations. Et nous arrivons enfin au bord du fleuve à l'endroit où
se trouve un passage d'eau. La barque est justement là ! Nous y prenons place
et pour quelques sous, oncle, tante et moi traversons gentiment la Meuse en
quelques minutes. Nous voici à Jupille. Poursuivons notre promenade jusque chez
l'ami en question où toute la famille nous reçoit à la bonne franquette avec
énormément de gentillesse. A cette époque, je devais avoir six ans.
-"Mais pour revenir,
vous avez pris le bus ?"
-"D'abord, en ce
temps-là, on ne connaissait que le tram, mais comme on avait de bonnes jambes,
on est rentrés à la maison à pied, par les mêmes chemins, fatigués mais
heureux."
-"Mais, pèpère, si
Monsin était une si belle région, alors pourquoi l'avoir démantelée comme on
dit maintenant ?"
-"A présent, à part
l'esplanade Albert Premier, tout le reste a été bouleversé pour en faire un
port fluvial et des entreprises industrielles s'y sont implantées. Que veux-tu,
c'est l'évolution, le développement, la vie quoi!"
-"Mais ce passage
d'eau qu'est-ce que c'est au juste ?"
Celui dont il est question
constituait la seule liaison entre Jupille et Herstal via l'île Monsin sinon,
pour un attelage, par exemple, il fallait faire des kilomètres de détour soit
par Bressoux soit par Wandre et
son pont soit par Liège avec le Pont de Bressoux sur la dérivation plus le pont
Maghin sur la Meuse.
Par conséquent, les
piétons ou les cyclistes avaient plus de facilité de se servir du passage
d'eau.
En réalité, il s'agit
d'une grande barque pourvue de deux bancs le long des parois de la coque généralement
en fer. Un long câble relie l'embarcation à un trolley à deux poulies qui roule
sur un solide câble qui va d'une rive à l'autre supporté par deux pylônes, un à
chaque rive. Par une manoeuvre habile du passeur, la barque est maintenue en
oblique par rapport au courant du fleuve et, de cette façon, c'est le courant
lui-même qui fait déplacer la barque.
Imaginez la triste vie du
passeur qui, par n'importe quel temps, devait assurer le passage des nombreux
ouvriers et autres usagers. Seule exception, les fortes inondations et la gelée
du cours d'eau.
Il m'est arrivé de
traverser l'une ou l'autre rivière sur un passage d'eau dont le câble pendait
tout simplement dans l'eau et passait en glissant entre deux anneaux fixés aux
deux bouts de la barque.
Dans ce cas, le passeur
tirait sur le câble à l'aide d'un court manche muni d'une profonde entaille qui
accrochait le câble à chaque mouvement du bras du passeur. Malheureusement, on
était parfois contraint d'attendre longtemps parce que le passeur était occupé
à l'entretien du matériel dont il était responsable.
XXVII. FIN DE LA GUERRE
Par un beau dimanche
d'été, après-midi, nous étions assis dans la pelouse du jardin, en famille. On
bavardait de choses et d'autres, les enfants jouaient, les oiseaux dans le ciel
tout bleu, virevoltaient à qui mieux. Bref, c'était la dolce farniente. Pas
pour longtemps d'ailleurs!
L'aîné des gosses, déjà
grands à présent, s'approcha de moi et s'asseyant sur le gazon me dit :
"Pèpère, l'autre
jour chez Bobonne, tu nous a parlé de la guerre 40-45 mais tu n'as pas dit comment
elle a fini".
-"En effet tu as
raison. Je n'en ai plus rien dit parce que la nuit commençait à venir et qu'il
fallait rentrer. D'ailleurs les livres de l'école doivent mieux que moi
raconter comment ça s'est passé".
-"Ecoute Pèpère,
j'aimerais mieux que ce soit toi, voilà!"
-"Petit flatteur va,
enfin je veux bien essayer."
Comme
cette guerre s'éternisait, le Général Eisenhower, le Ministre anglais Winston
Churchill et le Président de la Russie soviétique
Staline se sont mis d'accord pour frapper un grand coup destiné à anéantir les
Allemands et Japonais. C'est le Japon qui a reçu la première puis la deuxième
bombeatomique qui d'un coup a fait des milliers de victimes et fait capituler
son armée.
Mais pour l'Europe, pas
question de recourir à cette bombe car il y aurait eu trop de victimes parmi
les populations qu'on voulait délivrer des nazis. Alors que faire ? Envahir la
France et les autres pays occupés. Bien entendu, afin de dissimuler leur vrai
but, les alliés ont effectué de petits débarquements d'abord en Afrique où
eurent lieu de terribles combats, ensuite en Sicile où les combats furent tout
aussi durs. Toutes ces actions ne constituant qu'une mise en scène trompeuse
car le vrai débarquement a eu lieu le six juin 1944 à l'aube.
C'était formidable, la
mer de Nord était littéralement couverte de navires de guerre, d'escortes et d'approvisionnements outre les sous-marins chargés de les protéger. Quant au
ciel, il était noir des onze mille avions alliés ! Et allez-y les bombardiers
qui lâchent leurs engins sur les fortifications allemandes baptisées par eux du
nom de "Mur de l'Atlantique". Des parachutistes innombrables furent
lâchés avec des missions soigneusement préparées. Parmi eux il y avait des
Américains, des Anglais, des Canadiens, des Australiens ainsi que des Belges,
des Français et des Polonais qui avaient pu rejoindre la Grande-Bretagne.
C'est sur les plages de
Normandie que tout a commencé. Du reste, vous aurez certainement l'occasion de
voir cela à la télévision. C'est fantastique !
De leur côté, à l'intérieur
des pays occupés, l'Armée Secrète des Partisans donnait du fil à retordre aux
nazis. Pourtant ces derniers se cramponnaient ne reculant que tout en laissant
la mort et les ruines sur leur passage. Au fur et à mesure que les Alliés
délivraient les villes ce fut partout une indescriptible allégresse. Bien que
peu de gens fussent capables de parler l'anglais, on eut tôt fait de se
comprendre pour les recevoir à bras ouverts, comme des sauveurs. C'est
inoubliable ! Mais au fur et à mesure qu'on les expulsait, ces damnés Boches
eurent recours à une arme diabolique, terrible ! La bombe volante.
-"Qu'est-ce que
c'est, Pépère ?
-"Il s'agit d'une bombe
de cinq cents kilos possédant deux ailes et un moteur à réaction..."
Le réservoir de pétrole
en contient juste assez pour effectuer un trajet précis et quand le réservoir
est vide, c'est la chute et ça tombe n'importe où. Rien que pour Liège et la
banlieue il en est tombé 1854 en causant bien des malheureuses victimes
innocentes sans parler des dégâts par milliards. Vitesse de ces ordures
mortelles : 900 kilomètres/heure. A tous moments les sirènes hurlaient puis on entendait la pétarade du
moteur semblable à celle d'une moto et quand la pétarade s'arrêtait cela voulait dire : attention ça va tomber et exploser.
Des milliers
d'habitations se sont effondrées de cette manière écrasant les occupants sous
leurs décombres. Il faut rendre hommage aux sauveteurs qui, au prix de leur
propre vie, ont fait tout leur possible pour sauver le plus de gens qu'ils
pouvaient. Anvers et son port ont également beaucoup souffert car les nazis
voulaient empêcher l'entrée des navires alliés qui, malgré tout, ont rempli
leur mission de déchargement du matériel destiné à écraser une bonne fois les
hordes hitlériennes, de vrais abrutis !
Quant à notre cher petit
hameau, il n'a pas été épargné par le fléau : des morts, des handicapés à vie,
des maisons volatilisées. Et notre vieille demeure a eu, elle aussi, sa part de
dégâts : plus de toit ni de fenêtres. Incroyable et pourtant vrai : le souffle
de la déflagration avait été si fort que les portes des meubles s'étaient
ouvertes et à l'intérieur, les éclats de vitres s'étaient incrustés jusque dans
les vêtements de la garde-robe !
Vous connaissez le grand
sapin au fond du jardin. Et bien le robot est tombé sur le terrain derrière le
sapin. Heureusement, aucun de nous ne se trouvait à la maison lors de la chute.
Mes parents faisaient la queue devant une boulangerie de Vottem, Mèmère et les
enfants partis glaner au champ et moi, au travail à l'atelier du charbonnage de
l'Espérance. Il était à peu près trois heures de l'après-midi et rien qu'en
entendant le bruit et la direction d'où il venait, j'ai localisé mentalement le
point de chute et j'ai vécu dans les transes pour ma famille jusqu'à ma rentrée
chez nous vers quatre heures et demie. Lorsque j'ai retrouvé la famille intacte
parmi les décombres, j'ai remercié le Bon Dieu. Il faut avoir passé par de tels
moments pour les comprendre.
V1 |
Nous, on a trouvé à se
caser dans un des abris antiaériens de l'usine Pieper qui n'existe plus.
Ensuite, un très beau
baraquement à proximité dans lequel nous avons vécu dix-sept ans tandis que mes
parents ont pu regagner leur maison où nous sommes à présent, après les
réparations rapides des dommages de la guerre, pour le prix de 46 000 francs en
1946. A l'entrée de l'hiver de 1944, Hitler lança sa dernière carte et ce fut
l'offensive "Von Rundstedt" dans les belles Ardennes. Depuis deux
mois, les Américains nous avaient délivrés, mais cette offensive désespérée
nous donnait à réfléchir. Comment cela va-t-il finir ?
Enfin, le ciel se dégagea
et l'aviation alliée a pu déloger les "Fridolins".
Hélas, que de morts et
toujours à cause de Hitler !
Toutes les localités ont
souffert mais c'est principalement autour de Bastogne que les batailles ont
fait rage. La population a enduré un long martyre, de même les soldats
américains qui étaient encerclés. Le haut commandement germanique a sommé le
Général américain Mac Auliff de se rendre, mais il s'est contenté de répondre
par un seul mot, désormais célèbre : "Nuts !" "Des noix !",
en français. Un immense monument en forme d'étoile a été édifié dans la
campagne de Bastogne à la mémoire des soldats qui ont perdu leur vie pour nous
délivrer. Paix à leur âme. Mais après que les Allemands furent chassés de
l'Ardenne, ils reculaient dans leur Reich en se battant comme des lions enragés
tellement la propagande hitlérienne les avait fanatisés. Ils prononçaient
souvent un salut dont on leur avait rempli le crâne, c'était "Heil Hitler
." Il a fallu les poursuivre jusqu'à Berlin pour leur faire demander pardon
!
L'Allemagne n'était plus
qu'un tas de ruines parce que, pour mater ces orgueilleux, les avions
américains et les Anglais ont pilonné jour et nuit ce pays. Je vous en ai déjà
parlé à propos de leur passage mouvementé par ici. La fameuse ligne "Siegfried"
dont les nazis étaient si fiers n'a guère résisté aux blindés alliés. C'est à
Berlin, ou du moins ce qui en restait, que les Alliés ont rejoint les troupes
soviétiques qui, de leur côté, ont découvert, la rage et le dégoût au cœur, les
camps de concentration où Hitler et ses complices faisaient mourir des millions
de gens qui ne leur plaisaient pas. A se demander comment l'abjection peut
atteindre un tel degré I!!
C'est
donc à Berlin que l'Armistice fut signé le huit mai 1945. Il va sans dire que
ce fut une explosion de joie totale partout dans un enthousiasme compréhensible
mais qui ne pouvait pas se comparer au véritable vent de folie qui a déferlé
sur l'Europe.
XXVIII. L'APRES-GUERRE
Il arrive que nos petits
viennent passer chez nous leur après-midi de mercredi et, un jour, tandis que
les filles jouent à la balançoire, les deux aînés Marcel et Xavier viennent
près de moi et l'un des deux me dit :
-"Dis, Grand-Père,
tu nous a parlé de la fin de la guerre mais on aimerait bien savoir ce qui a eu
lieu après"
-"Oh là là. Comme vous
y allez. Enfin, je vais essayer de me souvenir, puisque ça vous intéresse"
Mais, tout d'abord,
allons nous asseoir dans le gazon de la pelouse, là, à l'ombre...
Donc, résumons, après le
débarquement du 6 juin 44, la guerre a encore duré onze mois.
Vous pensez bien que la
vie n'a pas repris son cours normal du jour au lendemain. La reconstruction a
duré longtemps et coûté fort cher. C'est surtout la jeunesse qui avait hâte de
vivre très fort, et cela se comprend.
On a tendance à brûler la
chandelle par les deux bouts et on exagère un peu trop, ce qui a donné naissance
à ce fameux existentialisme qui dit bien de quoi il s'agit : profiter de la vie
au maximum, sans retenue aucune, c'est à cette époque qu'est apparue la drogue
qui fait tant de ravages malgré la lutte menée contre son usage.
Les jeunes gens et jeunes
filles qui se livraient à des excentricités, on les appelait les zazous !
Par exemple, les plaisirs
de la danse n'avaient plus lieu dans des salles mais dans des caves. Il y avait
aussi les trop célèbres blousons noirs parmi lesquels des voyous bagarreurs.
Après la période zazou,
vint la mode des « be-bop », encore une manière quelque peu anormale
de vivre, pas très méchante. Un jouet qui a fait fureur alors est le scoubidou
qu'on fabriquait fort bien soi-même en tordant un fil électrique isolé de façon
à en tirer des sujets tels que des chiens ou autres formes suivant
l'inspiration du moment. Il y a même eu des concours de scoubidou !
On a commencé à voir des
autocars pour touristes.
Beaucoup de vélos et
tandems sur les routes dont fort peu étaient en macadam. Les pavés de l'Ourthe
couvraient encore la plupart des routes. Les autos devenaient de plus en plus
belles et rapides et les prix plus démocratiques.
Et le bâtiment, mon Dieu,
quelle affaire, partout des chantiers qui vous achevaient des buildings en un
rien de temps afin de loger les immigrés qui envahissaient notre pays renommé
pour son bon accueil.
Mais en ce qui concerne
les inventions qui sont surtout le sujet du présent ouvrage, j'ai eu la chance
d'assister à des essais, des expériences qui ont permis la naissance d'une des
plus formidables réalisations du cerveau. C'est la télévision dont on ne
saurait plus se passer. Vous, mes jeunes amis, qui êtes nés depuis qu'elle
existe, imaginez un instant si vous deviez vous en passer ! Quel drame.
Et pourtant, nous les
vieux, avons vécu de longues années sans ce merveilleux instrument. C'est
pourquoi nous l'apprécions mieux.
La photographie elle
aussi a évolué. Jadis, pour avoir des photos en couleurs, on disposait d'encres
spéciales pour photos. Il fallait d'abord humecter la photo, l'étaler sur une
plaque de verre et colorier à l'aide d'un fin pinceau tandis que maintenant, on
va la chercher toute faite chez le photographe, dans des couleurs magnifiques.
En un mot, la reproduction de l'image et du son atteint un degré de perfection
presque absolu.
Mais un événement
extraordinaire est arrivé pendant notre génération. L'homme est allé marcher
sur la lune chantée par les poètes et, au moment même, la télévision a permis
de voir cette conquête vraiment miraculeuse.
XXIX. LA MINE
Un mercredi après-midi,
notre arrière-petit-fils Marcel vient nous dire bonjour, tout seul car sa maman
est partie faire des courses en ville avec sa petite sœur.
Après nous avoir
embrassés, il nous raconte avoir lu une publicité concernant un charbonnage
désaffecté que le public peut aller visiter. Il me demande l'opportunité de ce
genre de visite et aussi si je suis descendu dans le fond d'une mine.
Sur ma réponse
affirmative, la petite phrase souvent entendue sort toute seule.
-"Dis, pèpère,
raconte !"
-"D'accord, mais
d'abord quelques explications."
I
l faut savoir qu'au cours
des douze années passées au charbonnage, mon travail consistait à entretenir et
surtout réparer les multiples machines de toutes sortes. La plupart du temps,
c'est à l'atelier que cela se passe puisque c'est là qu'on a tout le nécessaire
à sa disposition.
Mais il nous incombait
également de descendre au fond nous occuper sur place de grosses machines qui
réclamaient périodiquement des soins.
Dans de tels cas, on
allait en équipe, munis des pièces de rechange nécessaires et de l'outillage
approprié et les opérations duraient parfois plusieurs jours...
Il arrivait aussi
quelquefois le lundi que l'un ou l'autre des ajusteurs d'entretien du fond soit
absent.
Alors, on choisissait
quelqu'un de l'atelier afin d'assurer le service. De cette façon, on reçoit un
supplément de salaire égal à vingt-cinq pour cent, toujours le bienvenu.
-"Mais, Pépère,
dis-moi, à part les wagonnets, je me demande ce qui peut exister comme machines
là, au fond ."
-"Ecoute, à présent
que te voilà un vrai jeune homme, je crois qu'il n'y a pas d'inconvénient à ce
que tu sois un peu renseigné à ce sujet. Toutefois, ce sera assez long et ça va
peut-être te fatiguer.
-"Pas du tout,
j'aime bien m'instruire, alors vas-y". Bon, essayons de suivre le
déroulement réel des opérations d'extraction du précieux combustible, le
charbon. En premier lieu rendons hommage aux géologues, aux géomètres et autres
ingénieurs qui ont permis de trouver les couches et de les exploiter pour notre
plus grand bien à tous.
-"Pèpère,
excuse-moi, je me pose la question de savoir pourquoi il y a du charbon dans le
sol, qu'en dis-tu ?"
-"Ta question
m'étonne, c'est la nature qui est ainsi ! A propos de la houille, il est bien
connu qu'elle est d'origine végétale, tu dois l'avoir lu dans les livres.
Depuis la nuit des temps, la terre était en évolution, en cours de formation
géologique donc livrée à de monstrueux soubresauts qui ont finalement sculpté
la planète que nous habitons. Par ailleurs, les séismes font encore bien des
ravages."
C'est de la sorte que des
forêts entières furent englouties qui sous les pressions terribles subies se
sont au fil des siècles pétrifiées pour devenir la houille. Il faut remarquer
que l'espèce de charbon est fonction de la végétation carbonifère qui couvre le
terrain. Par exemple, le charbon de Campine est gras parce que les arbres de
cette région sont les sapins donc résineux. D'un autre côté le sillon Sambre et
Meuse produit un charbon plutôt maigre en raison de l'essence plus dure des
arbres : chêne, orme, hêtre et remarquons encore que les couches sont en
général inclinées dans le même sens que les versants des vallées sous
lesquelles elles se trouvent. Mais pas toujours, il y a parfois des exceptions.
"Mais c'est
formidable ce que tu dis là !"
-"Tant mieux puisque
ça t'intéresse, je continue."
Voyons maintenant les
machines du fond. Supposons qu'un puits d'extraction existe ainsi qu'une galerie
que l'on creuse. Pour ce faire, on utilise une perforatrice mue par de l'air
comprimé à une pression de sept kilos par centimètre carré. Munie d'une longue
mèche, elle fore des trous qui reçoivent chacun une cartouche explosive reliée
à un appareil de mise à feu placé loin de tout risque.
A la mise à feu, la déflagration
est effrayante, les débris lancés loin et une poussière incroyablement épaisse.
Il faut attendre qu'elle se soit dissipée quelque peu pour pouvoir évacuer dans
des berlines le tas de roches. Toutefois, de petits aspirateurs à air comprimé
font ce qu'ils peuvent pour avaler et noyer la poussière, mais les résultats
sont assez minces. Bien entendu, avant de procéder au tir on a soin de vérifier
si l'air ne contient pas de grisou !
C'est comme cela qu'on
creuse les galeries qui vont donner accès aux couches de houille. D'habitude,
ces galeries creusées dans la roche et aussi dans les zones de schiste très
friable, ont une hauteur suffisante pour pouvoir y marcher à son aise. On y
place une ou deux voies ferrées selon le cas. Bien entendu, on les rend plus
solides par un étançonnage approprié soit en bois ou à l'aide de cintres en
acier.
Il n'est pas difficile
d'imaginer la quantité de poussière que ces travaux ont provoquée. Les ouvriers
qui les exécutent contractent rapidement la terrible et sinistre silicose cause
de tant de victimes...
Naturellement ces hommes
ont tous une "chique de rote" en bouche qui leur fait cracher la
poussière de la bouche, oui, mais les poumons... Il existe de petits
aspirateurs à air comprimé mais les résultats sont plutôt minces.
Nous voici donc parvenus
au charbon, instant solennel ! Une fois la poussière un peu dissipée, c'est le
mineur, l'ouvrier à veine comme on dit, qui se met à l'ouvrage afin de fouiller
la houille que son manœuvre met dans une berline.
Le pied de la veine à
exploiter sera établi à une hauteur suffisante afin que le déversement de la berline, il doit remonter à genoux et pousser à nouveau la houille vers le bas de la taille.
Au fur et à mesure que la
veine est exploitée, presque toujours en montant, le manœuvre ne saurait plus
suivre ses aller et retour à pousser la production, alors on introduit des
couloirs en tôle qui aideront à évacuer plus rapidement le charbon vers la
berline !
Tout cela à la lueur
d'une petite lampe et dans des positions peu confortables car il ne fait pas
haut dans les tailles. Toujours moins d'un mètre, rarement plus. Ajoutes-y la
poussière et tu comprendras tout seul.
Par contre, certains
charbonnages n'ont pas cet inconvénient mais plutôt le contraire. Là-bas, les
mineurs sont astreints à travailler dans la boue, couchés ou accroupis, tout
simplement parce que le terrain est spongieux. Dans de telles conditions, il
est fatal que ces malheureux ne tardent pas à contracter des maladies diverses.
Je te signale également les rats, mais oui, qui sont les occupants non désirés
de ces lieux.
Donc le mineur creuse de
plus en plus, le chantier s'allonge et le manœuvre ne parvient plus à acheminer
assez vite le charbon car il ne faut pas oublier qu'à chaque volée qu'il a
poussée jusqu'à la berline, il doit remonter à genoux et pousser à nouveau la
houille vers le bas de la taille.
A ce moment là, l'équipe de nuit vient installer un couloir oscillant. Je vais
essayer d'expliquer de mon mieux ce que c'est.
Imagine des tôles en
forme de corniches demi-rondes reliées entre elles par des boulons et qui
reposent sur des galets ou roulettes. Le couloir ainsi constitué est animé d'un
mouvement de va-et-vient par un gros moteur à air comprimé. Mais ce moteur est
en réalité un gros cylindre dans lequel se déplace un piston, lentement dans un
sens mais brusquement dans l'autre ce qui veut dire que le charbon contenu dans
le couloir descend en même temps que le couloir, mais celui-ci remonte trop
vite et glisse sous la couche de charbon ce qui fait qu'à chaque mouvement du
couloir, notre charbon s'achemine par bonds successifs jusqu'à la berline qui
le reçoit. Ingénieux, non ?
Bien entendu, là encore,
poussière ou boue pour l'ouvrier qui les remplit.
Dès que le nombre de
berlines requis est atteint, une autre rame remplace celle qui est tout de
suite évacuée par un cheval qui les tire vers le puits d'extraction. A noter
que les chevaux ont été mis au chômage suite à la venue des petites
locomotives.
Dans les galeries, règne
un agréable et léger courant d'air produit par un immense aspirateur placé à la
surface.
La température moyenne
est de neuf degrés en été comme en hiver, du moins à la Petite Bacnure, mais
dans les tailles où l'air arrive plutôt mal, il fait plus chaud, c'est
normal...
Nous avons donc suivi la
rame à travers les galeries et passant à plusieurs carrefours dans lesquels le
conducteur actionne les aiguillages. Quand nous parvenons près du puits de mise
en cage des berlines à raison de deux à chaque étage de la cage. On est
agréablement surpris par la clarté qui règne là-bas : des lampes d'abord
faibles, puis de plus en plus claires à mesure qu'on approche du puits mais
quittons les berlines pour entrer dans une grande salle latérale, ce sont les
écuries des chevaux, très propres. Les litières sont pourvues de paille fraîche,
les mangeoires bien remplies, chaque stalle est surmontée du nom du cheval
titulaire. On y respire un air sain, l'éclairage bien calculé. Les déchets et
l'urine sont immédiatement évacués dans des wagonnets spéciaux et remontés au
jour. Plusieurs chevaux se reposent, ils travaillent comme les hommes à tourde
rôle.
Il est visible que les
palefreniers aiment les bêtes. En plus, un vétérinaire les visite régulièrement.
Fait curieux, quand vient la relève d'une équipe, inutile de le dire
aux chevaux, ils le sentent et mieux vaut de ne pas se
trouver sur leur route à ce moment ! Le samedi, on les remonte et il faut les voir batifoler dans leur prairie et brouter l'herbe
fraîche !
A ce propos voici une
petite anecdote amusante que je vais vous raconter, écoutez. C'était durant la
guerre 40-45 au charbonnage de Wandre à l'étage 650. Un ancien soigneur du
cirque Sarazani (détruit par un incendie à Anvers) s'était reconverti en
conducteur de cheval du fond et en se servant de l'expérience acquise avait
appris des tours de cirque à son cheval.
C'est ainsi que descendu
pour un travail, j'ai assisté à ce spectacle lors de la pause de midi en même
temps que quelques mineurs sortis de leur taille afin de casser la croûte à un
large carrefour de galeries.
A la seule lueur de nos
petites lampes; le quadrupède a exécuté une série de numéros dont je ne me
souviens plus très bien mais qui nous a fait oublier la guerre ! Pour le
remercier, chacun lui a donné un morceau de pain pourtant bien rare alors,
brave bête va !
Tu te rends compte ? Du
cirque à 650 mètres sous terre ! Comme de juste, de vigoureux applaudissements
ont salué la fin de ce divertissement inattendu et la pause étant finie, chacun
est retourné à son boulot.
-"Ma foi, j'aurais
aimé voir ce spectacle. Mais, grand-père, qu'y a-t-il comme machines au fond de
la mine ?"
-"Beaucoup plus que
ce que tu crois."
Tout d'abord les pompes
d'exhaure absolument nécessaires : dans notre pays au climat souvent pluvieux,
il est fatal que l'eau de pluie s'infiltre dans le sol en fonction de sa nature
plus ou moins spongieuse ou rocheuse.
Pour parer à ce
phénomène, on installe des pompes soit centrifuges soit à pistons. Ces pompes
aspirent l'eau contenue dans de grands puisards alimentés, eux, par de plus
petites fonctionnant à l'air comprimé et placées aux endroits adéquats. Elles
déversent leur eau par des tuyaux qui courent le long des parois des galeries
et aboutissent aux puisards ou citernes. Cette eau est alors renvoyée à la
surface au moyen de puissantes pompes installées aux différents étages de façon
à éviter une surcharge des tuyaux d'exhaure. En effet, la pression augmente
d'un kilo par centimètre carré, tous les dix mètres verticalement et il vaut
mieux ne pas trop forcer la pression de l'eau tant pour la sécurité des tuyaux
que pour les joints qui les relient entre eux.
Bien sûr, la pression
diminue au fur et à mesure que l'eau approche de la surface. Arrivée là, elle
est versée dans de vastes bassins de décantation. Comme cette eau contient
forcément de la poussière vu sa provenance, elle a tout le temps de déposer
cette poussière au fond du bassin.
Au bout d'un certain
temps, la boue est retirée et on en fait du "schlam" qui sert à la
confection de boulets, combustible bon marché.
D'immenses filtres débarrassent
l'eau des dernières impuretés qu'elle pourrait encore contenir puis, toujours
au moyen de pompes, envoyée dans un grand réservoir et par différentes
tuyauteries, sert à alimenter d'abord les chaudières qui en absorbent une
grande quantité, ensuite au lavoir à charbon où elle séparera le schiste du
charbon.
N'oublions pas la
buanderie, les salles de douches plus tous les besoins des installations sanitaires
ainsi que tous les besoins en eau non potable. Toutes ces pompes doivent être
très bien entretenues, il y va de l'existence même du charbonnage.
Dans la mine, il faut
aussi beaucoup de treuils pour les plans inclinés. De ces plans inclinés, il
faut retenir ceci : si on devait relier chaque veine directement au puits
d'extraction, cela reviendrait trop cher et serait bien trop compliqué. Alors,
dans le but de faire communiquer les différents chantiers dans des conditions
plus logiques, avec des galeries conduisant au puits, on établit des plans
inclinés qu'on appelle grêle, frein, sous-puits, balance etc... ou encore
d'autres appellations suivant la région. Afin d'animer tout cela, on se sert de
treuils, la plupart à air comprimé mais souvent à moteur électrique.
-"Pèpère, tu viens
de parler de balances, qu'est-ce que ça veut dire ?"
-"Bonne question, en
effet, je vais essayer de te faire comprendre de quoi il s'agit."
Eh bien supposons qu'à
350 mètres il existe une couche de charbon rentable mais trop difficile à
relier au puits. Admettons encore qu'à 375 mètres existe une galerie qui dessert
d'autres chantiers en exploitation. On creuse alors un tunnel en pente qui permettra
au chantier de 350 mètres d'évacuer sa production 25 mètres plus bas par le
truchement d'une balance. C'est le nom du tunnel doté d'une double voie ferrée.
Un câble en acier tait correspondre les voies par l'intermédiaire d'une poulie
à gorge placée au sommet du plan. Là, on accroche une berline pleine, d'un
poids de 900 kilos tandis qu'au pied du plan, on accroche une vide. Une simple
poussée à la pleine et la voilà engagée dans la descente entraînant l'autre
dans la montée; de là le nom de balance. Bien sûr, la poulie est munie d'un
frein cela se comprend. Un simple système de sonnettes permet aux opérateurs de
communiquer par un code très facile.
Comme tu vois, c'est
pratique et ça ne consomme rien ! Si les étages sont assez distants
verticalement l'un de l'autre, par exemple 60 à 70 mètres, il va de soi qu'un
plan incliné serait vraiment trop long et d'un prix de revient exagéré. Dans ce
cas, on a recours au sous-puits, tout à fait comme le puits qui va jusque la
surface mais en plus petit. Là aussi, la sonnette est inévitable pour permettre
l'accomplissement correct des opérations de montée et de descente. Ce
sous-puits est mis en branle par un gros treuil à moteur électrique et le
travail s'y effectue à la lumière de lampes électriques.
Bien entendu, il s'agit
de moteurs spéciaux étanches et que le méthane, le sinistre grisou ne saurait
atteindre du moins dans sa partie interne, toujours sujette à faire des
étincelles et à provoquer des incendies...
Puisque nous parlons de
machines souterraines, voici encore un exemple, écoute.
Il est normal qu'à force
de creuser le sous-sol, les chantiers s'éloignent de plus en plus du puits.
Alors, plus question
d'utiliser les chevaux avec un conducteur à chacun, cela reviendrait trop cher.
En réalité, la galerie principale s'étend parfois sur plusieurs centaines de
mètres. C'est alors qu'on établit un traînage constitué en premier lieu par un
puissant treuil à mouvement continu, c'est-à-dire qui tourne toujours dans le
même sens. Sur les grandes poulies dudit treuil passe un câble d'une pièce qui
est supporté par toute une série de grosses poulies et qui va de cette manière
jusqu'au puits d'extraction où il passe sur un volant égal à la largeur des
deux voies de berlines et qui retourne au treuil par l'intermédiaire des
poulies pendues au plafond. A noter que ce câble tourne sans arrêt. Les rames
de berlines sont accrochées avec adresse au moyen de moufles munies d'un court câble,
avec crochet pour la première.
Une fois arrivées au
puits, on les décroche et on les engouffre dans la cage qui les remontera à la
surface à raison de 60 kilomètres/heure. Pas mal hein ?
Mais rassure-toi, quand
il s'agit de personnel ou de chevaux, la vitesse en sens vertical ne dépasse
jamais neuf mètres par seconde soit environ 32 kilomètres à l'heure, ce qui
n'est pas mal non-plus !
Lampe de mineur |
"Dis, Pépère, ça doit
faire drôle quand on descend ?"
-"Ma foi oui, mais
on s'y habitue vite. Comme tu vois, la mine est une véritable usine
souterraine"
-"Et tout ce que tu
racontes là se passe principalement à la lueur de petites lampes de mineurs
?"
-"Marcel, entendons-nous
bien...
Avant tout, quiconque
veut se rendre au fond, doit d'abord se procurer un chapeau en cuir, puis se
rendre à la lampisterie y remettre un jeton à son numéro-matricule en échange
d'une lampe.
Précautions élémentaires
faciles à comprendre. Mais tout le monde ne reçoit pas de lampe électrique. Les
gradés, eux, reçoivent une lampe à benzine, voici pourquoi : en cas de présence
dans le fond, de gaz dangereux, la flamme se met à vaciller plus ou moins et on
sait plus ou moins à quoi s'en tenir.
C'est grâce au chimiste
anglais Humphry Davy qu'on a une certaine protection pour déceler la présence
du grisou dans l'air. Il est mort en 1829. Toutefois, là où fonctionnent des
pompes ou autres machines mues par moteur électrique, il va de soi que
l'éclairage est meilleur mais sans exagération afin d'éviter l'éblouissement en
sortant de ces endroits. Il en est de même au puits d'extraction doté d'un
éclairage suffisant suivi de quelques lampes dans la galeries, de plus en plus
faibles afin de laisser les yeux s'adapter à l'ambiance des petites lampes des
mineurs.
D'autre part, outre les
sonneries de commande des cages, il y aussi le téléphone qui met, si besoin, le
préposé en relation avec le machiniste à la surface. Un deuxième puits est
situé à quelque distance du principal. C'est par celui-ci que l'air souillé est
rejeté dans l'atmosphère par le truchement d'un formidable aspirateur dont je
t'ai déjà parlé.
En hiver, ce puits est
auréolé de vapeur provenant de la respiration des êtres vivant dans les entrailles
de la terre.
Je crois avoir déjà dit
que, pour éviter les éboulements, les tailles et les galeries sont largement
étançonnées soit avec du bois ou par des cintres en fer et même parfois
bétonnées.
-"Ah ah, à propos,
tantôt, je parlais des couloirs oscillants, tu te souviens ?"
-"Certainement, tu
disais qu'il s'agit d'un moyen d'évacuer le charbon hors des tailles, c'est
bien ça ?"
"Bravo, tu retiens
bien, mais il existe encore un autre procédé dont je voudrais te parler : le
"scraper"
-"Qu'est-ce que
c'est ça, le "scraper " ?
-"Tout d'abord, ce
mot anglais signifie gratter et en effet, il s'agit d'un traîneau qui ramène le
charbon produit et le déverse dans une berline."
-"Raconte-moi un peu
en détail comment ce "scraper" fonctionne."
-"Bon, mais
commençons par le commencement...
Tout au bout de la
taille, à côté de l'ouvrier mineur, on cale solidement un vérin entre le sol et
la voûte et on y attache une grosse poulie à gorge protégée par un garant. Sur
cette poulie passe un câble en acier dont les deux bouts sont fixés chacun sur
un des deux tambours d'un treuil fixé lui aussi à un solide vérin au pied de la
taille. Le traîneau ou "scraper" est accroché à l'avant et à
l'arrière par deux brins du câble venant des deux tambours du treuil, un pour
remonter la pente, l'autre pour la descente. En haut de la taille, le clapet du
"scraper" est au sol et va gratter le sol couvert de charbon jusqu'à
la berline qui le recevra. En remontant, le clapet mobile se relève chaque fois
qu'il passe sur un morceau de charbon. Ces treuils sont généralement actionnés
à l'air comprimé. A chaque déversement, le préposé avale une dose de poussière,
évidemment, pauvre homme !
Comme tu vois, la mine
est une usine souterraine où chacun accomplit sa tâche au mieux possible sous
la conduite de chefs qualifiés car la responsabilité qu'ils assument est lourde
tant pour la sécurité de tous que dans le but d'assurer une production
rentable.
-Ecoute, Marcel, ça
suffit pour aujourd'hui d'accord ?
-Ca va, mais à ma
prochaine visite, j'aimerais que tu me dises ce que devient le charbon une fois
remonté à la surface de la terre.
-Je ferai de mon mieux
car cela me fait bien plaisir que tu t'intéresses aux choses du passé. Bravo
Marcel !
-C'est parce que j'ai lu
quelque part que pour préparer l'avenir, il est bon de connaître le passé.
-C'est très bien, ta
sagesse te récompensera.
Par parenthèse, j'aime
visiter les musées qui sont, à mes yeux, des leçons d'humilité. En effet,
lorsqu'on sait que nos aïeux ne disposaient que de moyens très limités, on
rougit de honte car, malgré les progrès, personne n'est plus capable de
produire les merveilles de toutes sortes qui font la gloire des musées et des
collectionneurs.
Pour en revenir au
charbon, depuis l'époque (1936-1948) où j'ai modestement accompli mon travail
d'ajusteur, bien des changements ont eu lieu, c'est certain.
On a fermé tous les
charbonnages wallons alors que, selon des professionnels de la houille,
certaines couches contiennent encore des réserves rentables. Qui a raison ?
A la place de ce charbon,
on épuise largement les gisements de pétrole sans se soucier de ce qui restera
pour nos descendants. Certes, il y a des gens qui essayent d'exploiter d'autres
sources d'énergie: le soleil, le vent, les cours d'eau, etc. mais on ne les
aide guère. Plus tard, tu comprendras le vrai motif de cette attitude...
-Pèpère,j'aimerais savoir
ce que devient le charbon une fois arrivé à la surface, peux-tu me le dire ?
-Globalement oui, mais ce
sera assez long.
-Ce n'est rien, ça m'intéresse,
continue Pépère !
-Je t'admire pour
l'importance que tu accordes aux choses du passé qui ont fait la richesse de la
Wallonie.
-Primo, la cage arrive au
jour à la vitesse de vingt mètres par seconde. Alors des taquets sont abaissés
sur lesquels va se poser la cage et ses quatre berlines. Un dispositif
automatique les débloque deux par deux aux deux paliers de la cage, alternativement.
Elles sont poussées hors de la cage par des berlines vides qui prennent leur
place. Les arrivantes roulent sur des rails en pente et parviennent au
culbuteur qui n'en admet qu'une à la fois et la cale par le même verrouillage
appelé étoile.
Le culbuteur est une
espèce de cage encastrée dans deux grands cercles posés sur des galets
rotatifs.
Dès qu'une berline y
pénètre, elle est bloquée puis fait un tour complet pendant lequel elle se
vide.
Revenu à son point de
départ, le culbuteur libère la berline et elle va parcourir le circuit qui la
ramène en face de la cage en vue de la prochaine descente.
Quant au charbon brut (et
aux pierres), il tombe dans un grand tamis, mis en mouvement par un moteur
électrique, où s'effectue déjà un premier triage et, suivant leur taille, les
morceaux vont dans des chêneaux respectifs. Les plus gros passent dans un
puissant concasseur. Ce mélange de charbon et de pierres est reçu dans une
trémie qui le distribue à une chaîne à godets qui le transporte au sommet du
lavoir. Là-bas, le tout est distribué au triage manuel suivi du passage au lavoir
où se fera la séparation finale du charbon et du schiste.
-A propos, est-ce que
ceci ne te fatigue pas trop?
-Au contraire, c'est fort
intéressant.
-Tant mieux car tu n'es
plus un enfant et il est bon que tu saches ce qu'on faisait jadis dans notre
pays !
Tout en haut du lavoir,
la chaîne à godets déverse tout sur un gros transporteur en panneaux en tôle
articulés les uns sur les autres.
De part et d'autre et sur
toute la longueur de l'appareil, des femmes retirent tout ce qui n'est pas
charbon et jettent les déchets dans de grands entonnoirs d'où ils partiront
vers le terril.
Arrivé au bout du
transporteur, le charbon débarrassé des corps étrangers passe à l'étage suivant
et là, écoute bien. Une véritable petite rivière est enfermée dans un large
conduit et un assez fort courant est entretenu par une grosse pompe de
circulation. Le principe de ce dispositif est basé sur la différence de densité
entre la pierre et le charbon. De gros pistons en bois dur agitent sans arrêt
la rivière de sorte que le charbon a tendance à rester à la surface de l'eau
tandis que les déchets de schiste plus lourds restent au fond. A la sortie du
couloir d'eau, un système de clapet est réglé de façon à ce que le charbon
passe au dessus et le schiste en dessous !
Juste à la sortie, deux chêneaux reçoivent l'un le charbon et l'autre les déchets qui seront dirigés
vers le terril. L'eau chargée des poussières donc salie est envoyée dans
d'immenses bassins de décantation où les poussières vont au fond et deviendront
du schlamm et après, des boulets. L'eau utilisée provient des pompes
souterraines.
Le charbon, enfin propre,
passera alors dans des cribles, gros tamis garnis de claies en tôle à trous de
plus en plus petits qui détermineront les calibres commerciaux du combustible.
De grandes
trémies-réservoirs ou silos recevront les différentes variétés de charbon pour
être expédiées à des fins domestiques ou industrielles.
La propreté du charbon a
une grande importance parce que des usines spécialisées en retirent une foule
de produits comme le goudron, l'asphalte, de l'engrais et même des composants
de certains médicaments !
Dans le but d'éviter
toute perte, même la poussière est récupérée. Voici comment. Toutes les machines
dans lesquelles la houille est agitée avant son passage dans l'eau du lavoir,
font de la poussière, c'est inévitable. Ces machines sont enfermées dans de
grandes housses reliées par des buses à un aspirateur qui envoie le tout dans
des appareils qui ne laissent passer que le tout fin destiné aux gicleurs des
chaudières tandis ce que les particules moins fines vont rejoindre le schlamm.
-Mais, Pèpère, cette
poussière qui a alimenté les feux des chaudières, que devient-elle ?
-Excellente question
Marcel. En effet, de par sa finesse, ce combustible une fois brûlé s'échappe
par la cheminée et va souiller toute l'atmosphère environnante. C'est pour
éviter ce désastre que la fumée passe d'abord dans une chambre de dépoussiérage
où elle est arrosée par des pommes d'arrosoir spécialement conçues à cet effet.
La bouillie ainsi formée tombe au fond de la machine et de là est envoyée au
terril.
-Eh bien, Pèpère, je te
remercie de tout ce que tu viens de me dire sur le charbon, c'est merveilleux!
Maintenant laissez-moi
vous embrasser, Mémère et toi car il faut que je rentre à la maison pour
raconter ce que tu viens de m'apprendre sur le charbon.
-Dis moi, as-tu toujours
travaillé dans des charbonnages ?
-On non, j'y suis resté
douze années mais j'ai poursuivi ma carrière d'ajusteur réparateur de machines,
mais cette fois en usine jusqu'à la fin de mon activité d'ouvrier. Maintenant
retourne, et en rentrant n'oublie pas de dire à ta maman et à Chantal que nous
les embrassons sur les deux joues.
XXX. LE DECOUPAGE
C'est notre
arrière-petit-fils Marcel qui montre le plus d'intérêt à mes évocations du
passé. Il est même assez fréquent de le voir venir seul, le mercredi après-midi
et s'entretenir avec nous de sujets qui n'ont plus rien d'enfantin.
C'est ainsi que l'hiver
dernier, le voici et après demande réciproque des nouvelles de la famille, il
me pose une question d'un air étonné:
-Pépère, au moment où
j'entrais, je t'ai vu sortir de ton petit atelier, est-il indiscret de savoir
si tu fabriques encore quelque chose en plein hiver?
-Il n'y a aucun mystère.
Tu n'ignores pas que j'aime passer mon temps à confectionner ce qui est utile
ou agréable et comme je ne suis pas trop mal outillé, beaucoup de choses sont
possibles à peu de frais.
Par exemple, ces jours-ci
je construis une crèche car c'est bientôt Noël et la crèche actuelle a
vingt-cinq ans. J'en veux une plus belle de la taille assortie à celle des
nouveaux santons.
En premier lieu, dresser
quelques croquis de l'objet qu'on se propose de réaliser, ensuite les soumettre
à l'attention de Mémère dont l'avis n'est jamais négligeable et choisir le plus
adéquat.
Vient alors une
occupation passionnante : dessiner chaque élément et établir les dimensions
exactes. Ce travail peut prendre plusieurs jours mais qu'importe, on s'amuse !
Attends, je vais te
chercher deux ou trois plans, tu comprendras mieux". Le temps de traverser
la cour et je reviens avec les plans en disant à Marcel :
-" Tu vois ces
dessins et ces chiffres, chaque dessin est de la grandeur du morceau à découper
avec une scie spéciale. Je colle les dessins sur les feuilles de contre-plaqué
et il ne reste plus qu'à suivre les traits avec attention.
Puis vient l'assemblage
de tous les morceaux toujours en suivant le plan d'ensemble, à l'aide de colle
et de fins clous. Je te dis que c'est passionnant!
Alors c'est le finissage
au papier verré. Ce n'est pas tout bien entendu il faut soigneusement enlever
la poussière produite par le papier verré.
-Eh bien Pèpère je te
souhaite bon courage.
-Comment bon courage?
Mais je trouve tout naturel de ne jamais baisser les bras lorsqu'on est
pensionné. En hiver, les occupations au jardin sont fort limitées et rester
inactif ne me tente pas sauf en cas de maladie bien sûr.
D'ailleurs, si cela ne
t'ennuie pas, écoute comment on se distrayait quand on n'avait ni radio, ni
télévision, ni stades de sports. On s'ennuyait crois-tu ? Pas du tout !
Par exemple la promenade
qui existe toujours mais ne se pratique plus comme avant. Je t'ai déjà parlé
des charmes de l'île Monsin. On se rendait aussi au bois de Pontisse. Les
routes étaient beaucoup moins dangereuses que de nos jours et l'air n'était pas
vicié par les gaz nocifs que répandent les moteurs d'auto. C'est la rançon du
progrès!
A la mauvaise saison, et
comme les journées de travail étaient plus longues, les travailleurs rentraient
tard et, après toilette et souper, on se réunissait autour de la
"plate-buse" ou de la cuisinière pour bavarder quelque peu pendant
que les enfants faisaient leurs devoirs à la lueur du quinquet. On se couchait
tôt pour pouvoir se lever tôt pour le travail et l'école.
Cependant, dans la
plupart des ménages, au moins un membre savait jouer d'un instrument de
musique: petite flûte à six trous en fer blanc, harmonica à bouche, accordéon
etc... Beaucoup d'hommes faisaient partie de l'harmonie locale et très nombreux
étaient les comédiens amateurs inscrits dans des sociétés dramatiques ou de
chorales.
En outre, dans les ménages où plusieurs
membres travaillaient, il y avait souvent un de ces bons
vieux phonos comme celui dont j'ai dit
quelques mots à propos de mon oncle Joseph.
Les femmes avaient
toujours quelque chose à faire car, je l'ai déjà dit les ustensiles électriques
n'existaient pas. J'ai connu des femmes qui, en plus du ménage, élevaient des
moutons, les faisaient paître le long des chemins et avec la laine qu'elles filaient
sur un rouet à pédale, elles tricotaient de chaudes vareuses, de douillettes
écharpes des moufles bien chaudes et des chaussons pour l'hiver. Ah le courage
de nos aïeules !
Quand je te dis qu'on
n'avait pas le temps de s'embêter ! Si l'on était vraiment libre, pour se
distraire, on avait également les jeux de toutes sortes.
Les jeux de cartes sont
trop connus, n'insistons pas.
Il y avait aussi le jeu
de l'oie, le loto, le domino, le jeu de dames, les échecs, dont beaucoup sont
encore pratiqués actuellement.
On jouait aussi
simplement avec son seul esprit comme les devinettes, les charades etc...
La plupart des jeux qu'on
entend à la radio ou même à la télévision sont des dérivés de ceux pratiqués
jadis. Mais en voici un que je te conseille d'essayer. Tu prends un jeu de
cartes et tu te mets à construire une pagode la plus haute possible. Tu crois
que c'est trop facile, trop naïf ? Et bien vas-y, essaye. Bonne chance, nous
verrons si tu sauras maîtriser tes nerfs.
A notre époque de confort
et de modernisme, il se trouve encore des hommes et des femmes, des garçons et
des filles qui s'adonnent à des plaisirs simples et sains. Tant mieux !
XXXI. LES METIERS DISPARUS
Hé oui, le temps passe.
Mes chérubins grandissent ils sont presque adolescents et leur mentalité
s'adapte à leur époque, ce qui est tout naturel. Et pourtant il leur arrive de
me poser des questions sur la vie d'autrefois.
Par exemple, après une
visite au musée local, les garçons me demandent comment on travaillait avant
les robots et l'informatique. En me limitant à la seule énumération des métiers
et artisanats qui ont fait la gloire et la richesse de Herstal, il y en a beaucoup
plus qu'on ne pourrait croire dont on ne parle pratiquement plus.
En premier lieu, les
professions qui ont un rapport avec la mienne : ajusteur, donc les métaux ouvragés.
Dans ce métier, on se sert surtout de limes dont on dispose obligatoirement
d'un stock car elles s'usent plus ou moins vite selon la dureté du métal à façonner.
Afin de les rendre à nouveau utilisables, on les remet au tailleur de limes
qui, après recuit pour les rendre aptes à recevoir une nouvelle taille conforme
à l'ancienne qui vient d'être enlevée à la meule. Pour cela, il emploie de
petits burins (en wallon des hèrpais) et, avec une incroyable dextérité, taille
de nouvelles dents au format voulu puis les trempe pour leur restituer la
dureté initiale. Ce sont de vrais artistes fiers de ce qu'ils font. Il y a
aussi la taille mécanique sur des machines ad hoc. Herstal comptait plusieurs
excellents tailleurs de limes dont il subsiste peut-être encore quelques
exemplaires.
Des forgerons un peu
partout, forgeaient un peu de tout : des fers à cheval, des clous adéquats, des
haches, des marteaux, des rampes d'escalier, des balustrades pour balcons, des
barrières, des clôtures, etc... Quelques ferronneries subsistent encore. Les
fonderies pullulaient littéralement un peu partout afin de fournir les pièces
de tous genres qui étaient usinées dans les fabriques de Herstal ou d'ailleurs.
Tous les métaux y passaient : fonte brute, fonte malléable, cuivre,
maillechort, alliages divers, etc...
-Mais dis donc, Pépère,
est-ce qu'il y avait du travail pour les jeunes, je serais curieux de le
savoir.
-Bien sûr c'est en
commençant de bonne heure qu'on arrive à devenir de bons ouvriers qui
travaillent avec goût.
Par exemple, dans les
fonderies évoquées, il fallait que le sable des mouleurs soit tamisé très fin,
qu'il soit tout ce qu'il y a de propre et dosé avec exactitude du degré
d'humidité idéal. Ce boulot était confié à de jeunes gens. Il y a aussi les
noyauteurs et noyauteuses, travail qui consiste à confectionner dans des moules
spéciaux, des objets en sable renforcés souvent par un bout de fil de fer et
qui ont la forme de l'excavation qui existera au sein de la pièce à couler. Là
encore, les jeunes gens ou des femmes remplissaient parfaitement leur tâche.
-Bon, compris, mais la
pièce elle même raconte un peu.
-En tout premier lieu, il
faut disposer d'un modèle, généralement en bois fabriqué par le modeleur comme
il en existait de merveilleux et encore à présent, bien sûr. Profession de
haute valeur car il faut tenir compte de la matière qu'on enlèvera à l'usinage
et du retrait que la pièce va subir en refroidissant.
Le mouleur, lui, dispose
de châssis ou cadres pourvus de douilles d'accrochage qu'il place sur sa table
parfaitement droite et propre. Il le remplit de sable préparé comme je le dis
plus haut dans lequel sable il va creuser la forme de la moitié du modèle
tandis que l'autre moitié prendra place dans l'autre châssis muni de broches
qui se logeront exactement dans les douilles de l'autre châssis.
Naturellement, le modèle
est d'abord retiré et il servira autant de fois qu'il y a de pièces à obtenir.
Quand il s'agit de
petites pièces, on prépare une plaque modèle ce qui accélère le travail.
Les châssis sont mis à
sécher après y avoir placé les noyaux et quand arrive le moment crucial de la
coulée, c'est le fondeur et son aide, tous deux vêtus de tabliers en cuir,
gantés idem, qui retirent le creuset brûlant et, à l'aide de grandes pinces
vident le métal en fusion dans les orifices des châssis. C'est impressionnant
de les voir opérer calmement, rouges comme des démons !
Lorsque tout est
refroidi, on démonte les châssis, on démolit les moules et on retire les pièces
reliées entre elles par le jet de coulée, vrai cordon ombilical. Il faut alors
les détacher. Encore un travail de jeune qui les déposera dans un grand tonneau
horizontal monté sur pivots, ensuite, une fois le tonneau refermé, enclencher
la machine et en avant, cela fait un boucan de tous les diables, les pièces se
heurtent les unes contre les autres et c'est ainsi que le sable est détaché, on
pourra alors mettre les pièces à l'atelier de finissage.
LE CHEVAL
-Dis, Grand-père, tu
racontes si bien ça qu'on aurait envie d'en faire autant.
-Heureux de t'entendre,
mon garçon. Mais si on parlait un peu de ce qu'il faut pour le cheval, pas pour
le nourrir, mais pour son travail. Comme partout ailleurs, Herstal se servait
énormément du valheureux ami de l'homme.
C'est ainsi qu'outre les
fers des forgerons, il y avait également des fabricants de harnachements,
colliers, et la bourrellerie, le cuir, etc...
LES CARROSSERIES
Bassin du Commerce, Coronmeuse. |
La charpente, la caisse,
les roues cerclées de fer, les garnitures intérieures, la peinture, tout était
fait sur place. Ainsi, cercler les roues est un travail de très grand intérêt.
En effet, après relèvement de la roue en bois d'acacia, le plus souvent, il
faut cintrer la barre de fer plat, souder les bouts à la forge, réchauffer
pour dilater et l'introduire de force sur la roue en bois puis se précipiter
avec les seaux d'eau pour refroidir le tout. Que c'était passionnant !
Après cela, forer des
trous dans le cercle et y placer des boulons spéciaux. Voilà le travail !
LES MOTOS
Dans ma jeunesse, j'ai
connu quatre fabriques de motos à Herstal : la Fabrique Nationale, Saroléa,
Gillet, Brondoit, dont les produits ont remporté des trophées partout dans le
monde.
Pour suivre, voici une
liste que je dresse de mémoire et qui concerne des professions dont fort peu
subsistent.
-"Tu écoutes, Marcel
?"
-"Oui, Pèpère, je
t'écoute très attentivement."
Les voici donc pêle-mêle
: tailleurs de limes, forgerons, charpentiers, tailleurs d'habits, fonderies,
et personnels, émailleries au four, émailleurs de vélos, autos et motos, polissage-nickelage
au four, conducteurs de tram, houilleurs, gardes-barrières, allumeurs de
réverbères, limeurs de cadres de vélos et motos, monteuses de roues, opérateurs
de cinéma, musiciens dito, artistes, artistes de music-hall, laitiers avec
charrette, grappilleurs de terrils, chauffeurs pour chaudières et gazogènes, rectifieurs
de cylindres, boulonneries, loueurs de charrettes, monteurs de T.S.F.
pontonniers au canal, remorqueurs, loueurs de chevaux, couveuses à pétrole,
réparateurs d'ustensiles de ménages.
Comme tu le constates,
les métiers exercés à Herstal et à La Préalle étaient rien moins qu'impressionnants
!
Et si quelques
entreprises ont eu la volonté ou la chance de s'adapter au progrès industriel,
les autres se sont dégradées pour finalement disparaître...
Pour ceux qui ont vécu à
l'époque où la commune était une vraie fourmilière bourdonnante d'activité, le
regard s'assombrit lorsque lorsque l'on passe devant les endroits qui,
autrefois débordaient de vie. Bien sûr, à leur place, d'autres centres
d'intérêt se sont installés.
Par exemple, là où existe
le Super-Bazar, c'était jadis, la brasserie Kirchman avec ses camions à chevaux
qui s'en allaient livrer leur excellente bière un peu partout. Et, à côté, là
où la banque se trouve, il y avait les ateliers d'estampages Olivier.
Les ateliers et fonderies
Gerkinet ont cédé la place à l'actuel Brico-Center, rue Haute-Marexhe. La
C.G.E.R. rue Elisa Dumonceau remplace la célèbre fonderie D'heur. Rue Marexhe,
un grand garage remplace le polissage et nickelage de Pierre Thomas, si réputé
au temps passé. Il en est ainsi un peu partout, tout évolue très vite ! Et la
vie continue. Par contre, d'autres coins de la commune sont laissés à
l'abandon. Voyez les ruines de la Petite-Bacnure qui me rappellent les belles
années de notre enfance... Que c'est loin tout ça comme le dit la chanson !
-" A propos, ça ne
te fatigue pas d'entendre ce que je raconte ?"
-" Au contraire, ce
que tu me dis là démontre que l'esprit d'entreprise des Herstaliens n'est pas
mort, je crois qu'il y a encore une volonté de reconversion qui rendra aux
jeunes la certitude de gagner leur vie en s'inspirant des exemples de ceux qui,
avec courage, ont jadis créé tout ce qui a fait le renom de notre
Commune."
-" Bravo, Marcel, je
suis fier de toi. Je reprends, tu te souviens que nous avions parlé de motos eh
bien, à ces motos, on ajoutait assez souvent un side-car.
-"Oui, et alors
?"
-"Ces sides-cars,
vois-tu, étaient presque toujours fabriqués à Herstal avec le plus grand soin.
Il y en avait plusieurs modèles suivant le goût des clients."
Nessonvaux. Nagant, plus ancien, était aussi fort connu.
Mais, la plupart du
temps, on achetait seulement le châssis pourvu de son moteur, et la
carrosserie, on allait la faire chez le carrossier herstalien comme il en
existe toujours pour les réparations tandis qu'alors on fabriquait toute la
carrosserie de A à Z à commencer par l'armature en bois qu'on recouvrait de
panneaux en contre-plaqué ou en tôle y compris les portières plus le capot, les
sièges, les garnitures intérieures, pour finir par la peinture à la main. Que
c'était beau le travail du peintre qui enjolivait avec amour son œuvre par des
filets magnifiques. A présent, la peinture au pistolet prédomine malgré ses
émanations de brouillard cancérigène ! C'est le progrès... Seul, le vitrage
provenait de Liège, suivant plans.
L'ARMURERIE
Combien nombreux
existaient encore de petits ateliers accolés aux maisons. C'est dans ces
ateliers que de bons artisans confectionnaient la partie de fusil qui leur
incombait: limeur, "biddeleur", graveur, faiseur de la crosse ( les
feux d'bwès ), vernisseur, bronzeur, basculeur, etc...
Tous les jours, les rues
étaient parcourues par ces travailleurs portant leur fagot de canons de fusil
ou autres éléments qui étaient assemblés jusqu'à l'arme achevée, éprouvée par
des experts du fabricant pour aller ensuite au banc d'épreuve officiel rue Fond
des Tawes à Liège, où chaque arme subissait un contrôle sévère et, en fin de
compte, recevait l'estampille de l'Etat.
Pèpère, je t'arrête, tu nous a déjà à dit que les vélos s'en allaient par wagons, te rappelles-tu comment cornent on parvient à produire tant de vélos chaque jour ?
-Bonne question, sache
seulement que beaucoup de personnes collaboraient à leur réalisation. En
premier lieu, les ateliers, les ateliers nombreux où on fabriquait tout ce
qu'il faut: les cadres, raccords, guidons, pignons, manivelles, moyeux,
pédales, garde-chaînes, sonnettes, etc..
Une fois le cadre
assemblé par brasure au cuivre, on le remettait à un des limeurs à domicile
pour
en faire la toilette à la
lime et au papier émeri, ensuite, le limeur allait le porter chez le sableur
afin de l'avoir tout à fait propre ce qui est indispensable pour permettre à
l'émailleur de faire un travail impeccable. On poussait la beauté du cadre
jusqu'à y tracer des filets dorés !
Velo FN Acatene, Transmission. |
Les moyeux et les autres
pignons, pédales, etc. sont polis à l'aide de roues en feutre émerisé, de
brosses rotatives en coton qui assurent un poli parfait et ensuite recouverts
d'une fine couche de nickel au moyen de bains électrolytiques, ceci en atelier
mais plus fréquemment par de petites firmes spécialisées comme Herstal en
comptait un peu partout.
C'est encore à domicile
la plupart du temps que, des femmes surtout, montaient les rayons aux roues.
Les freins, poignées, câbles et lampes provenaient de maisons
d'approvisionnement existant en Belgique ou même à l'étranger. Les pneus sont
fabriqués en majorité à Liège, chez Englebert, établi à présent à Herstal sur
le plateau des Hauts- Sarts.
A noter que le tandem
était aussi fort en vogue. Une fois la belle saison de retour, c'est par caravanes
que défilaient le long de la berge du canal Liège-Maastricht les deux roues et
sur toutes les routes du pays en toute sécurité car les autos étaient très
rares en raison des salaires fort modestes de ma jeunesse.
RECTIFIEUR DE CYLINDRES
Avant 1936, les autos
étaient donc rares. Voici en quelques mots pourquoi. Il fallait de solides
revenus car leur prix atteignait des sommes telles que le monde des ouvriers
devait se contenter d'un vélo et encore, pas toujours.
Ceux dont les revenus
permettaient l'acquisition d'un véhicule à moteur étaient nécessairement aux
petits soins avec lui.
De sorte que si l'un ou
l'autre organe devenait caduc, on le réparait tant que possible avant de le
jeter.
Par exemple, quand le
moteur perdait de sa puissance par l'usure des pistons, cylindres, coussinets
des bielles, que penses-tu qu'on faisait ?
-On le foutait aux « riquettes »
(vieux fers) bien sûr !
-Eh bien non, on le
faisait remettre à neuf, tout simplement. Des rectifieurs spécialisés
enlevaient la partie ovalisée des cylindres. De fort bons tourneurs
confectionnaient les pistons et les segments adéquats au centième de millimètre
près. Travail identique pour le vilebrequin et les coussinets des bielles. Les
soupapes et tout le reste étaient révisés, comme cela on avait un nouveau
véhicule car la carrosserie, elle ne connaissait pas la rouille puisqu'en bois
et simili-cuir.
Je ne pense pas que le
métier dont je viens de te parler soit encore pratiqué comme jadis; la fabrication
en grandes séries des autos en a tellement fait diminuer le prix qu'il est plus
profitable d'éviter les longues remises à neuf évoquées ici.
TOPOGRAPHIE.
L'évolution technique n'a
pas seulement modifié notre manière de vivre, elle a en plus modifié de
nombreux endroits. Tiens, prends la rue Elisa Dumonceau, là où se trouve un
beau magasin de prêt-à-porter et une agence bancaire, sache que jadis c'était
un moulin.
Ferme Cajot |
A présent le ruisseau est
voûté et la rue entièrement rénovée. Souvent des gamins jouaient à l'équilibre
sur le garde-corps.
Au bas de la rue
Dumonceau, il y a la C.G.E.R. Avant, il existait là-bas la très connue fonderie
D'heur qui produisait des pièces en fonte malléable. Régulièrement, on pouvait
voir sortir les camions tirés par des chevaux pour conduire aux usines le fruit
du travail des hommes. Ceci n'est qu'un aperçu car la commune a joliment changé
d'aspect au cours de notre génération. Par exemple, le téléphone, il faut se
rendre à la campagne pour voir des poteaux porteurs de fils. Auparavant, la
ligne de chemin de fer était bordée par des poteaux en bois de la forme d'un A
majuscule garnis de consoles à isolateurs qui supportaient une masse de fils
servant de perchoirs à des kyrielles d'oiseaux beaucoup plus nombreux que de
nos jours.
Ah ah, j'allais oublier
la grand-rue pavée (elle) et qui a le privilège de posséder une importante
ligne de tramways qui dessert l'une la ligne N 5 vers Vivegnis et l'autre la N 6
qui n'allait que jusqu'au passage à niveau de la gare de Wandre en ce temps-là.
Ce qui veut dire que la
rue comportait quatre rails, ma foi plutôt dangereux pour les innombrables
cyclistes qui y circulaient.
D'autant plus qu'il
fallait à tous moments dépasser les attelages, manœuvre risquée principalement
par temps de pluie. Dans ce cas, les chutes n'étaient pas rares !
J'ai eu l'occasion
d'aller regarder à Poulseur ces hommes qui taillent les pavés avec leurs
outils.
Je t'ai déjà longuement
parlé des charbonnages, donc n'en parlons plus.
Voyons maintenant
d'autres petits métiers qui étaient indispensables.
Ainsi l'allumeur de
réverbères qui les allumait à l'aide d'une perche surmontée d'un manchon
métallique où on voyait briller une petite flamme. C'est avec sa perche qu'il
ouvrait le robinet du réverbère et enflammait le bec Auer puis refermait la
porte vitrée du lampadaire.
Le matin, nouvelle
tournée pour éteindre le tout. Et cela par n'importe quel temps. Quand on prend
la peine de réfléchir aux bienfaits de l'éclairage électrique !!
Puisqu'il y avait une
brasserie, il fallait des tonneaux. Je me souviens qu'il existait un tonnelier
rue du Grand-Puits (je crois que c'est le puits qui est au rez-de-chaussée du
musée qui a donné le nom à cette rue ).
Et les trams dont nous
parlions tout à l'heure, il fallait des conducteurs pour les conduire et aussi
des percepteurs sur chaque voiture, cela faisait du monde. De nos jours , on
paye au conducteur de bus. Parfois même le bus est si long qu'il en est articulé.
Les passages à niveau
avaient chacun leur garde-barrière qui n'avait pas de téléphone pour les
avertir de l'arrivée des trains mais une cloche enfermée dans un support
monumental en fer, d'ailleurs très beau. Pour plus de sureté, beaucoup de machinistes
prévenaient de leur arrivée par un vigoureux coup de sifflet de leur locomotive
à vapeur. Fini tout ça, c'est automatique.
La grand-rue possédait
quatre cinémas, plus un rue Haute-Maison (Demet) et un face à l'église de La Préalle (Tinlot).
Chacun avait son personnel : l'opérateur, guichetier, ouvreuse, barman, toilettes, outre le machiniste du moteur à gaz qui produisait l'électricité. Un orchestre avait pour mission de soutenir les diverses séquences des films muets projetés et, à l'entracte, des artistes en tous genres montraient leur savoir-faire. En plus du cinéma, ces salles servaient de terrain favori aux différentes Sociétés dramatiques dont Herstal pouvait être fier. Que de soirées inoubliables passées de la sorte. Pourtant, il existe de modestes troupes qui maintiennent cette si agréable tradition: la Charlemagn'rie, par exemple.
Chacun avait son personnel : l'opérateur, guichetier, ouvreuse, barman, toilettes, outre le machiniste du moteur à gaz qui produisait l'électricité. Un orchestre avait pour mission de soutenir les diverses séquences des films muets projetés et, à l'entracte, des artistes en tous genres montraient leur savoir-faire. En plus du cinéma, ces salles servaient de terrain favori aux différentes Sociétés dramatiques dont Herstal pouvait être fier. Que de soirées inoubliables passées de la sorte. Pourtant, il existe de modestes troupes qui maintiennent cette si agréable tradition: la Charlemagn'rie, par exemple.
Charlemagne |
Sais-tu qu'à Herstal, la firme Haberscheif fabriquait des couveuses à
pétrole dans lesquelles naissaient des poussins ? Non ? C'est pourtant vrai.
Quand a commencé l'usage de la T.S.F. (radio) des hommes entreprenants se
sont mis à monter sur commande des postes récepteurs alimentés par batteries,
mais cela coûtait si cher que bien des gens ont dû attendre des années la
vulgarisation de cette merveilleuse invention.
Les ustensiles de ménage se réparaient, on ne les mettait pas à la poubelle comme à présent. Il y avait ici plusieurs petits ateliers dans différents quartiers où on remettait des pièces aux marmites percées, ressoudait une louche cassée, etc... Incroyable, hein ? Et pourtant...
Le canal Liège-Maastricht comportait plusieurs ponts tournants. A chacun,
une maison où habitait la famille du pontonnier qui ouvrait puis fermait le
pont à chaque passage, fréquent alors, des péniches.
-Et ces péniches, avaient elles chacune leur moteur ?
Oh non, les chalands étaient tirés par des chevaux que des loueurs, des
"naiveux", louaient pour des trajets convenus. Chaque couple de
chevaux avait son territoire et cela jusqu'à Maastricht.
-Tu te trompes, Pèpère, le canal va jusqu'Anvers.
Entendons-nous bien, mon petit, le canal allait bien à Maastricht.
Toutefois, pour aller jusqu'Anvers, on a creusé la tranchée de Lanaye dans la
colline Saint-Pierre afin que le canal Albert reste uniquement en territoire
belge. En plus des chevaux, il existait aussi des remorqueurs à vapeur qui
tiraient plusieurs péniches tout doucement. C'est ainsi que si on devait
traverser le canal quand un convoi arrivait, il n'y avait plus qu'à prendre son
mal en patience.
Pour de petits transports mais trop lourds pour une brouette, on allait
louer une charrette à bras pour quelques francs à l'heure chez plusieurs carrossiers
de Herstal. Certains hommes effectuaient même vos courses avec leur propre
charrette à bras pour un prix très raisonnable.
Et les crieurs publics, par exemple pour annoncer les décès sur la voie
publique. Dans ce cas, le crieur portait sur le bras gauche, une pièce de
tissus noir ! Ils officiaient également pour annoncer des festivités ou
d'autres événements.
Durant la guerre 1914-1918, à Tongres où nous habitions alors, comme je
l'ai déjà dit, le crieur communal annonçait son passage par une grosse sonnette
qu'il agitait avant de crier son message, en flamand, naturellement. A
l'exception des annonces nécrologiques, c'était pour faire connaître à la population
les modalités du ravitaillement.
Je n'ai garde d'oublier les paveurs de rues qui devaient réfectionner les
nids de poules et ceci par tous les temps et entourés par le charroi des attelages
au risque de leur vie, simplement protégés par un petit drapeau rouge et une
brouette de sable.
XXXII. PROMENADE RETROSPECTIVE
Un de nos arrière-petits-fils, élève en secondaire, me fait cette
réflexion:
-Dis, Pépère, dans les cours qu'on nous donne à l'institut il est surtout
question d'informatique, de robotique, etc...
-Mais c'est très bien ça. Il faut suivre la marche du monde pour maîtriser
l'avenir.
-Oui bien sûr, mais j'aime quand même également quand tu racontes si bien
le mode de vie de jadis.
Que veux-tu savoir, au juste ?
Hé bien voilà, tu me ferais plaisir de me décrire ce qu'on pouvait voir
dans les rues comme industries.
-Ben mon vieux tu n'y vas pas de main morte. Enfin pour te contenter, je
vais faire un effort de mémoire mais si je commets des erreurs ou des oublis,
sois indulgent, j'ai tout de même septante-huit ans. Au fond, je t'admire de
chercher à connaître la petite histoire aussi bien que celle avec un grand H !
Nous allons donc parcourir notre commune en commençant par le Sud en
suivant la rue principale et en jetant un coup d'œil à gauche et à droite à la
manière d'une arête de poisson.
-Ah, ce que tu es rigolo par moments, grand-père!
-Allons-y, écoute.
Tout d'abord, rue Derrière Coronmeuse, le Dépôt des Tramways Liégeois avec
ses ateliers, ses écuries, mais oui, et sa centrale électrique qui permet aux
véhicules de se mouvoir sur rails sans les chevaux dont les quelques survivants
ne servaient plus qu'à de courtes manœuvres.
Cette centrale devait distribuer sur le réseau un courant continu de 550
volts ce qui n'allait pas sans problèmes. Car les voitures en circulation absorbaient
l'électricité fort irrégulièrement : démarrages, côtes à franchir, etc...
Afin de régulariser le mieux possible l'intensité du courant, un de mes
voisins, Monsieur Dupont, manœuvrait un grand levier relié à un puissant rhéostat
dont la mission était de maintenir un courant plus ou moins stable.
Le pauvre homme devait sans arrêt surveiller l'aiguille du voltmètre, tu te
rends compte ?
Depuis belle lurette, cela est automatisé. D'ailleurs il n'y a plus de tram
du tout à Liège et sa région.!
Revenons Place Coronmeuse. Là, nous passons en face d'un établissement où
l'on produisait de bien belles choses. Son nom ? Fonderies et ateliers Plein.
Tout ce qu'on peut imaginer en objets d'ornement y était coulé par du métal blanc,
travaillé soigneusement, poli et couvert de nickel.
Nombre de ménages possèdent encore des christs, cendriers, coffrets à
bijoux, cadres, garnitures de cheminée etc... La main-d’œuvre était
principalement féminine.
Le long de la place, le port jouissait d'une intense activité surtout par
le mouvement des tombereaux qui y venaient verser le charbon des houillères situées
loin du canal. On y traitait aussi des matériaux de construction, du bois pour
les mines, etc...
Sur cette place, figure un bel immeuble, il s'agit de l'ex-Palais de
Justice du Département de l'Ourthe du temps de l'occupation française.
Plusieurs belles maisons rehaussent l'aspect de l'endroit.
Jadis, il existait quelques cafés "dansant" fréquentés par les
charretiers qui allaient boire la goutte et remplir un seau d'eau pour le
cheval qui attendait son maître en plongeant son museau dans le sac d'avoine
pendu à son cou !
Suivons la berge du canal, bientôt, s'offre à nos yeux la scierie Delaveux
actionnée par une machine à vapeur. Dans la cour, de vraies tours de planches
soigneusement empilées ainsi que des tas volumineux de troncs d'arbres. Une
activité de bon aloi s'agrémentait du sifflement des scies à ruban pendant
qu'en face, au bord du canal, une grue à vapeur retirait des troncs d'arbres
d'une péniche. Parfois, ces troncs provenant des environs arrivaient suspendus
à d'étranges véhicules à roues immenses tirés par de robustes chevaux. En
wallon, cela s'appelle un triqueballe.
Tout le terrain face à la scierie était couvert de troncs classés par
catégories.
Après la disparition de la firme, cette esplanade rendue disponible a été
convertie en gare à plusieurs voies à l'occasion du prolongement vers Liège de
la ligne de tram vicinal Riemst-Herstal. Ensuite, après enlèvement des rails,
c'est le boulevard qui a pris une bonne part du terrain.
Dépassons la rue Masset du nom d'un ancien bourgmestre et nous abordons la
rue Haute-Marexhe.
-Pourquoi ce nom, Grand-Père, la rue est toute plate ?
-Bonne question, ce nom est dû au fait que jadis, avant le creusement du
canal, des marécages existaient à côté des champs à travers lesquels on a
établi une rue au fur et à mesure que s'accroissait la population. La rue
Marexhe conduisait aux marécages et la nouvelle percée surélevée par rapport
aux marais devint tout naturellement Haute-Marexhe, voilà.
Eh bien, au coin de cette rue et de la rue Masset, une importante usine
donnait du travail à beaucoup de monde. C'était les établissements Gerkinet
spécialisés dans la fabrication de pièces pour vélos. Tout se faisait au sein
de l'usine : fonderie, atelier mécanique très bien outillé et personnel
hautement qualifié, atelier pour le polissage et le nickelage des pièces.
-As-tu travaillé là, Pépère ?
-Oui, et Mémère aussi.
-Que faisiez-vous ?
-Mémère travaillait durement sur une presse à main pour emboutir des pièces
en grosse tôle. De mon côté, dans un autre groupe, je montais des gros moyeux
destinés à la Chine pour placer sur des pousse-pousse.
GILLET 720cc |
Je me souviens encore du bruit caractéristique de ces engins à moteur deux
temps. Que c'est loin tout cela !
L'esplanade de la Paix avec ses buildings est à peu près situé à
l'emplacement de l'usine défunte.
Continuons, dépassons la rue Masset, et admirons un peu plus loin, à droite
un hangar ouvert et qui abrite les bois précieux qui vont devenir, entre les
mains de spécialistes habiles de belles crosses de fusils. Nous sommes en face
de chez Boinem. A remarquer que la rue Hayeneux comporte assez bien de belles
maisons bourgeoises dont celle très ancienne et connue "Vinaigrerie
Lourtie" dont les ateliers sont toujours visibles depuis la rue Haute
Marexhe.
Outre le vinaigre, on y préparait des oignons confits et des cornichons.
Votre Arrière-Grand-Mère y a travaillé. Ah, je crois qu'elle nous apprête une
bonne tasse de café, n'est-ce pas, Maman ?
-"Mais oui, je suis sûre que vous avez soif à force de parler. Tenez,
la voilà. Tiens Marcel, veux-tu du lait ?"
-"Oui Mèmère, merci. Alors tu racontes ?"
"Ben oui, j'y ai passé quelques semaines très pénibles."
En effet, peler de petits oignons à longueur du jour sous l'œil vigilant
d'une surveillante exigeante n'a rien d'amusant surtout à cause des larmes qui
ne cessaient de perler à mes yeux à cause des oignons. A tout moment j'étais
obligée de m'essuyer la figure ce qui me faisait chaque fois recevoir un afront.
Heureusement j'ai très vite trouvé du travail aux "Etablissements
Plein" dont Grand-Père te parait tout à l'heure.
-"Alors, Marcel qu'en dis-tu si on laissait ainsi pour aujourd'hui. A
ta prochaine visite, mon cerveau aura un peu fonctionné pour un autre voyage
dans le temps."
-"D'accord, chers grands-parents, d'ailleurs je rentre à la maison
récapituler mes leçons. A bientôt !
Nous reconduisons notre arrière-petit-fils sur le seuil, il remet sa
mobylette en marche et nous salue en démarrant.
A quelques pas de chez Lourtie, voici la rue Henri Dacot pas très vieille
car il n'y a pas tellement d'années en cet endroit existait une usine de mécanique
avec un assez important personnel. C'était chez Herman. Mais elle n'a guère
survécu probablement à la suite de la grande crise des années trente que j'ai
déjà évoquée dans les pages précédentes.
A peu près en face, une belle façade jouxtant une entrée charretière donne
accès aux célèbres ateliers de Léon Pietteur largement réputés pour
l'excellente qualité de sa visserie de précision.
Charbonnage Belle-Vue |
Et voici à droite l'ex-rue du Gazomètre qui a changé de nom en souvenir du
Bourgmestre Duchatto qui fut lâchement abattu pendant la guerre non pas par des
soldats allemands mais par des inciviques.
Avant d'aborder la suite de notre promenade, il est bon de se faire une
idée de ce qu'était la grand-rue à cette époque.
D'abord les boutiques et les cafés étaient beaucoup plus nombreux d'où
l'animation sur les trottoirs. Dans la rue proprement dit régnait un trafic important
mais moins rapide et surtout moins malsain que de nos jours car c'était en
majorité la traction chevaline ou humaine qui tirait les véhicules munis de
roues en bois jantées de fer. Le revêtement n'était pas du macadam mais des
pavés du genre "Paris-Roubais" c'est vous dire...
Une double ligne de rails enclavée entre les pavés causait parfois des
chutes de cyclistes par temps de pluie. Et les trams devaient souvent faire
usage de leur sonnette à pédale afin d'écarter les tombereaux plus lents et bruyants
par leur roues ferrées sur le pavé.
La rue du Gazomètre comprenait naturellement cette institution communale
avec ses fours dont on apercevait le rougeoiement le soir ainsi que les énormes
ballons en fer galvanisé de forme cylindrique dont la hauteur variait suivant
qu'ils contenaient plus ou moins de gaz. Même rue, il y avait les ateliers
Heynts fabrication de petites pièces métalliques et, en plus, l'installation
pour le nickelage-polissage.
C'est là que notre fille Marie-Thérèse a contracté des brûlures aux jambes
pendant la guerre à la suite des émanations acides des bains de nickelage.
Au bout de la rue, avec leur façade au quai du canal, la Fonderie Nottet
donnait du travail à de nombreux ouvriers : modeleurs, mouleurs, noyauteurs,
ébarbeurs, etc.
Ici, je m'arrête car je viens d'entendre le bruit du vélomoteur de Marcel.
La porte s'ouvre et, en effet, c'est lui qui tout de suite embrasse sa grand-mère
et moi. Conversation à bâtons rompus pendant quelques minutes et sans plus
tarder la question attendue.
-"Alors, Pépère, as-tu préparé une autre promenade ?"
-"Mais oui. Aujourd'hui, nous parcourrons la rue Saint-Lambert, riche
en magasins de toutes sortes, avec son école dirigée par les sœurs de la
Charité en ces temps-là."
L'église constitue le centre pieux de la rue. Elle est dédiée à saint
Lambert, patron de Herstal. Une très belle procession déroule ses fastes chaque
année le dimanche qui suit la Saint-Lambert qui se fête le 17 septembre.
SAROLEA Atlantic |
Les locaux sont maintenant utilisés pour la fabrication d'emballages pour
le commerce, par la firme Veirmeire.
-"A propos, Marcel, peut-être ta maman t'a-elle déjà raconté qu'elle y
a travaillé il y a quelques années."
Tout à côté, le fameux, l'inoubliable Casino Charlemagne des frères Antoine
et Louis Namotte qui se trouve toujours là.
Depuis longtemps, finis les spectacles qui ont réjoui plusieurs générations
car il constituait la récompense d'une semaine au labeur ou à l'école.
Clientèle assidue qui ne ratait jamais un dimanche pour aller se régaler
les yeux par les films choisis et les oreilles grâce à l'excellent orchestre de
Monsieur Deprez qui accompagnait judicieusement d'une musique bien assortie au
genre de film projeté. C'était merveilleux, et les séances semblaient toujours
trop courtes, même au temps du cinéma muet.
Bien sûr, l'avènement du parlant fut un événement mais on a bien regretté
la disparition de l'orchestre.
Outre le cinéma, on y organisait assez souvent de très beaux bals de tenue impeccable
et animés par de fort bons orchestres.
A remarquer que l'électricité n'existait pas encore, alors chaque salle
possédait sa propre centrale qui comportait toute une installation adéquate: moteur
à gaz de ville qui transmettait son énergie à une dynamo par une longue
courroie, en cuir le plus souvent.
Par mesure de sécurité et pour le confort des spectateurs que le bruit
aurait pu incommoder, c'est dans une annexe derrière la salle que le groupe
électrogène se trouvait, surveillé par un préposé spécialisé.
Durant un long temps, la salle a servi à emmagasiner des meubles. A
présent, je ne sais pas... Et nous voici au carrefour Marexhe qui croise deux
routes importantes la N 17 que nous suivons et l'autre qui relie Jupille
jusqu'à Eindhoven en Hollande en passant par Tongres, Hasselt, etc... Pour le
moment nous nous bornerons à fureter dans les rues adjacentes. D'abord la très
séculaire rue Marexhe connaissait jadis une activité intense. Elle compte
toujours des magasins. A l'entrée, il y avait une honorable famille qui
fournissait toutes sortes d'articles de quincaillerie et cela depuis bien
longtemps, c'est chez Lebeau. Un peu plus loin, une émaillerie à chaud pour les
articles en fonte.
Dépassons la rue des Trois-Pierres et nous arrivons chez Pierre Thomas,
polissage-nickelage où de courageuses femmes se faisaient un devoir de donner
un bel aspect de fini aux pièces de toutes espèces qu'on leur apportait.
En majorité des pièces pour vélos, guidons, pieds de selles, manivelles,
jantes, pignons, etc... A noter que, en ce temps-là, l'atelier était un peu
comparable à une forêt de transmissions, courroies dans tous les coins. Tout
cela toumant à toute vitesse grâce à un moteur à gaz au rythme incessant des
chansons et du teuf-teuf du moteur.
Et tout le monde y allait de bon cœur avec avant tout le souci du travail
bien fait dont chaque ouvrière était fière, à la satisfaction du patron, cela
se comprend.
-Dis, Pèpère, tu les as vues travailler, toi ?
-Parfaitement, ma Mère y a occupé l'emploi de raviveuse, et à l'occasion
des vacances, j'étais autorisé à passer mon temps parmi le personnel ainsi que
le patron et son épouse qui prenaient part exactement comme tout le monde aux
travaux souvent sales, insalubres et dangereux inhérents à cette activité.
Ce que j'admirais également, c'était l'atelier de nickelage séparé du
polissage. D'abord une dynamo à courant continu reliée à la transmission par
courroie. Ensuite de grandes cuves à eau acidulée surmontées par plusieurs
paires de barres en cuivre dont la moitié comporte des plaques de nickel, l'autre
moitié, les pièces qui, sous l'action de circulation de courant recevront une
couche de nickel mate qu'on remet à la raviveuse qui va les faire briller en
les passant sur des disques en coton tournant très vite. En ce temps-là, les
jours ouvrables étaient de six par semaine à raison de dix à douze heures par
jour, samedi compris !
Au bout de la rue encore, une fonderie qui produisait des pièces pour les
besoins de l'industrie locale. Je crois que c'était chez Dheur.
Tout à côté, la rue Petite-Voie prenait également part à ce besoin de se
remuer cher aux Herstaliens.
Outre les innombrables petites forges, comme on dit, où de petits artisans
mettaient tout leur cœur à faire du bon travail dont ils sont fiers. Presque
toujours pour des maisons plus ou moins importantes. Les contrôles étaient
sévères quand ils rapportaient leur travail. Comme ateliers avec personnel, il
y avait la maison Devillé qui fournissait tout le harnachement pour les
nombreux chevaux qui sillonnaient les routes et les champs, avant que
n'apparaisse la traction à moteur.
Chez Jean Marcq, on fabrique tout ce qu'il faut pour les canalisations de
vapeur.
Revenons sur nos pas, nous allons maintenant aborder un autre quartier
laborieux : les Foxhalles.
Commençons par la rue Petite Foxhalle, outre la gare, il y avait l'usine
Pieper, importante fabrique d'armes et de cartouches sous la marque Bayard, du
même côté de la rue, la fonderie Remy et rue Champ-des-Oiseaux une fonderie de
non-ferreux, chez Valkeneers.
Rue Grand Foxhalle, les frères Haberscheid produisaient des couveuses à
pétrole ! Plus haut, c'est chez Matray, mon premier patron chez qui j'ai
travaillé douze ans, là-bas régnait une ambiance familiale irremplaçable.
-Ah, et qu'y faisait-on de bon, Pèpère?
-Toute la cuivrerie de bâtiment, mais rien que du luxe et on y travaillait
avec goût et volonté de bien faire ! D'abord, c'est la fonderie dans laquelle
de bons mouleurs façonnaient de belles pièces en laiton, maillechort ou cuivre
pur.
De l'autre côté de la cour, l'atelier avec ses tours, ses foreuses, etc...,
et son groupe de polissage où s'affairait le personnel, hommes et femmes. Les
ajusteurs occupaient une pièce latérale et le ciseleur, un vrai artiste,
travaillait à l'étage de même que le magasinier avec son important stock de
pièces finies.
Dans une annexe, l'atelier chimique destiné au décapage et aux différents
bronzages demandés par les clients.
Ce n'est que la crise de 1929 qui a fait liquider l'usine. Comme des millions
d'autres, j'ai chômé durant quatre ans sans rien toucher. J'ai pratiqué des
métiers inattendus à gauche et à droite et grâce aux cours d'électricité suivis
à l'Ecole Technique, nous avons pu survivre jusqu'à mon entrée au charbonnage
fin 1936.
Derrière la fonderie, la Visserie Nationale occupait bien du monde.
Berthe BOVY |
Juste en face, l'étirage des frères Danse a connu une prospérité inouïe par
son outillage de qualité. Son camion, tiré par un cheval n'en finissait pas de
circuler sans arrêt du matin au soir pour aller à la gare chercher des barres
brutes sur wagons, les amener à l'atelier et repartir avec son chargement de
barres de tous calibres étirées avec précision afin de les conduire dans les
innombrables ateliers de la région qui en faisaient des vis, écrous, bagues,
tiges, axes de tous modèles utilisés en construction mécanique.
Je rappelle qu'avant l'effrayante invasion automobile, ce sont les chemins
de fer et la batellerie qui avaient le quasi-monopole des transports en général.
Nous avons habité rue Guillaume Delarge dans les années vingt. Il existait
là-bas, un maraîcher digne d'éloges : Valentin, qui avec ses fils, cultivait
des légumes savoureux exempts de produits chimiques. Plusieurs artisans y
déployaient leur goût du travail bien fait. D'abord la maison Stubbé, meubles
de style de toute beauté. A côté, les Bertrand père et fils étaient de
merveilleux ciseleurs sur cuivre que j'allais parfois regarder faire à la main
de petites merveilles.
Quelques boutiques mettaient de l'entrain dans la rue et aussi un atelier
de polissage-nickelage en face de notre maison, chez Denouchamps.
Un peu plus haut, une petite forge dans laquelle les frères Richard
réparaient à longueur du jour tous les ustensiles de ménage et autres objets
qu'on leur confiait. En effet, alors, on ne gaspillait pas, on réparait ! La
matière plastique si vulgaire aujourd'hui était à inventer longtemps après.
La rue Félix Chaumont, voisine, a vu naître la firme Caby qui produisait de
fort beaux et bons "quinquets" à pétrole et des réchauds idem. Presqu'à
côté un atelier où on ne faisait que des crémones pour fenêtres.
Même rue, des limeurs de cadres de vélos, des limeurs de pièces d'armurerie
dans de minuscules locaux attenant aux maisons, il en existe encore des centaines
!
Parallèlement, la rue Nicolas Defrêcheux, compositeur d'immortelles
chansons wallonnes; en haut de la rue, la fonderie Schoonbroodt spécialisée en
grosse mécanique et pourvue d'un pont roulant évidemment.
Non loin de là, rue Gallo-Romaine, un vaste atelier d'estampage dont on
entendait le sourd martèlement des presses qui produisaient du matériel de
chemin de fer. Propriétaire : la famille Olivier, à côté de la gare.
Plus au nord c'est le hameau de La Préalle que j'ai longuement évoqué
précédemment avec son charbonnage mais là aussi florissaient d'autres industries.
Entre autres, les ateliers G. Romain spécialisés dans la fabrication de roues
de différentes sortes destinées aux voitures d'enfants, ainsi que les autres
éléments qui composent tous les véhicules pour enfants.
Dans la même rue Verte, chez Ronday, on construisait des crics pour autos
ainsi que d'autres accessoires.
Rue Lucien Colson, une assez importante fonderie que l'on appelait
communément chez Kepenne occupait assez bien de personnel. Tout le hameau
vibrait d'une saine animation car outre les nombreuses boutiques et artisans,
c'était surtout le charbonnage qui ronronnait avec ses berlines qui s'entrechoquaient,
la locomotive de la paire, les machines d'extraction, les nombreux trains à
vapeur.
Comme à cette époque la radio et la télévision n'étaient que chimère, c'est
par soi-même que l'on se distrayait. Au travail ou chez soi, on sifflait des
airs populaires ou on chantait les chansons des rues qui, il faut le
reconnaître, racontaient toujours quelque chose.
Quand je vous ai dit que notre commune ressemblait à une ruche en pleine activité, je n'ai rien exagéré.
Revenons au carrefour Marexhe où la rue Hoyoux nous attend. Allons-y, elle
est suffisamment connue avec son ambiance commerciale mais que de fois suis-je
allé chez Rongé près de la rue Laloux chercher des barres de fer dont j'avais
besoin, car je suis un bricoleur né, alors... C'est fou ce qu'il y avait comme
choix incroyable aussi bien pour l'industrie que pour le particulier.
Rue Laloux, par les portes ouvertes, on voyait des femmes en train de
souder des tubes et en faire des cadres de vélos. Le patron s'appelait, je
crois, Monsieur Van Herck.
Et nous arrivons rue Elisa Dumonceau anciennement rue de la Chapelle avec, tout
d'abord, la maison de transports Pâques où on se rendait chaque fois qu'il
fallait faire sa provision de charbon ou un petit déménagement. Ceci en vue de
louer une charrette à bras pour quelques francs. Il en existait de plusieurs
tailles. Mais la principale raison d'être, c'était le transport industriel à
l'aide de camions, charrettes diverses et surtout les attelages pour gens
aisés, calèches, landaus pour les mariages de luxe et autres cérémonies
officielles. Tout cela animé par une foule de cochers et une écurie nombreuse.
Outre le tram électrique, la grand-rue connaissait une animation aussi
intense que de nos jours mais au lieu des autos qui vous envoient leur oxyde de
carbone, c'était alors le parfum des crottins de cheval ! Cet ensemble fait maintenant
partie de l'Institut Saint-Lambert, c'est le progrès !
A côté, la famille Vercheval tenait un atelier dans lequel on fabriquait
des crémones pour fenêtres.
Et là où siège la C.G.E.R, il y avait un petit parc devant une villa où
vivait la famille D'Heur et joignant une entrée cochère qui donnait accès à une
fonderie très renommée pour ses pièces en fonte malléable qu'elle expédiait
partout aux ateliers de mécanique.
J'ai déjà un peu décrit la rue dans un chapitre précédent, donc, n'y
revenons pas. Jetons un coup d'œil rue des Mineurs. Là-bas, une firme a
également contribué à faire la réputation des produits herstaliens. C'est chez
Deprez-Joassart qui se faisait un point d'honneur de ne fournir à sa nombreuse
clientèle que des vélos et tandems de toute première qualité. C'est par wagons
entiers que mon père voyait charger les "crettes" en bois qui
contenaient chacune un vélo et qui s'en allait un peu partout dans le monde.
Tout près, la rue de l'Abattoir avait son atelier
qui s'était spécialisé dans l'ornementation de luxe.
Allons place Communale, actuellement place Jean Jaurès, son aspect a terriblement
changé, en effet le parking et ses arbustes ont remplacé un pâté de maisons à
usage commercial exclusivement : coiffeur, boucher, épicerie, magasin de
chaussures, accoucheuse, etc...
Nous sommes au cœur de Herstal, grouillant d'activité, Hôtel de Ville,
Maison du Peuple avec sa grande salle, ses billards et ses Services Sociaux.
Avant le GB, il y avait la brasserie Kirchman et à la place de la banque,
ou à peu près, il existait les ateliers d'Estampage Olivier. Cette place ainsi
que la rue Laixhaut est le siège du Marché du jeudi comme tu sais.
Place Laixhaut début des années 50. |
-"Dis, Pèpère, Que peux bien vouloir dire Laixhaut ?"
-"Ma foi, j'ai l'habitude de décomposer le mot à analyser."
Moulin Nozé . |
Outre les nombreux magasins, la Fabrique Nationale y possède des ateliers
et une entrée secondaire jouxtant un raccordement au chemin de fer à la gare de
Herstal. Voyons un peu la place Camille Lemonnier surplombée de la très
ancienne chapelle Saint-Lambert mais plus connue par le nom de saint Orémus.
Pénétrons rue Faurieux. Tout au début, à côté de l'école ménagère et de
l'école de musique, un vaste et beau bâtiment qui est le Commissariat de Police
mais qui, jadis, était la demeure d'une famille d'industriels réputés: la
famille Lafeuillade dont l'atelier derrière la maison fabriquait des armes
hautement qualifiées. La cheminée carrée de la chaudière à vapeur est bien
visible depuis la place Jean Jaurès.
A peu près en face, le grand atelier de décolletage Jacques est devenu la
fabrique des renommées machines à coudre Pax, universellement appréciées
partout.
C'est la FN qui est l'actuel propriétaire de cet atelier. Même rue, des
artisans divers : tailleurs de limes, limeurs à domicile, outilleurs, tailleurs
d'habits, peintres et je ne voudrais pas oublier la Firme Tilly qui fabriquait
de délicieuses limonades dont on se régalait.
Tout à côté, la rue Nadet possédait un polissage-nickelage. La rue
Croix-Jurlet n'est pas loin, allons-y. Outre des établissements toujours en
activité, il y avait là-bas une usine d'avant-garde pour l'époque, celle de Clément
Mornard. Le personnel assez nombreux produisait tout ce qu'il faut en cuivrerie
pour bâtiments, meubles, etc... C'est surtout la fonderie qui était
remarquable.
En effet, Mornard fut un de premiers à abandonner le sable pour y couler
ses pièces. A la place, il coulait le cuivre dans des coquilles en acier et
cela sous pression ce qui fait que les pièces avaient meilleur aspect et
réclamaient moins de main-d'oeuvre pour la finition !
Presqu'à côté, une petite fonderie de cuivre également mais le patron,
Louis Bonhomme, consacrait son savoir à l'art, ce qui veut dire que, chez lui,
pas question de séries mais de créations artistiques à la demande du client.
Toute la rue Croix-Jurlet est une ruche vivante. Je ne saurais dire avec
certitude les diverses activités qu'on y déployait.
Mais ce que je sais, c'est que cette rue comptait un nombre incroyable de
petits ateliers. Aussi bien pour le travail du bois que des métaux.
Je me souviens fort bien d'une petite usine produisant un outillage de très
haute précision pour alimenter les fabriques herstaliennes en : mèches à forer,
alésoirs, tarauds, filières, matrices d'estampage et de découpage et autres.
Dans la même rue, les rares automobilistes d'alors confiaient leur véhicule
quand le moteur perdait sa puissance afin de réaléser les cylindres et d'y
introduire des pistons faits au centième de millimètre !
J'ai évoqué cette profession au chapitre des métiers aujourd'hui disparus.
A présent, on met la voiture à la ferraille trop facilement. C'est que,
jadis, seuls les riches pouvaient s'offrir une automobile.
A proximité, c'est la place Ferrer, là aussi un atelier d'estampage
occupait du personnel.
Voiture FN (voir Autoworld.be) |
Continuons jusqu'au bout de la rue. Nous abordons la rue Clawenne fort
active avec ses commerces. En outre, elle est dotée d'une belle école (que j'ai
filmée avant son remplacement par l'actuelle, plus moderne).
Dans cette rue, figurent également les Etablissements Jolet où l'on trouve
tout ce qui intervient dans la construction d'une maison et de son équipement
intérieur. C'était aussi le paradis des bricoleurs.
Et voici la rue en Bois où les Etablissement Defize fabriquaient des
meubles en séries.
Un peu plus loin, la firme Gasqui, spécialisée dans la fonderie de pièces
en alliages spéciaux plus connus sous le nom commercial de sincuial avec lequel
l'atelier de parachèvement produisait toutes sortes d'objets permis lesquels
figuraient entre autres, de belles autos-miniatures.
Pas bien loin de là, existe la rue Bossuron, la firme Lejeune occupait un
important personnel, féminin surtout, dans son atelier de décolletage connu à
la ronde.
Allons à présent faire un tour rue Thier-des-Monts. A droite, un bruit de
martèlement fait tourner la tête, on est en face de l'atelier d'estampage Warnand.
Un peu plus haut, les voies ferrées du tram vicinal Liège-Bassenge coupent
la rue et juste après ce sont les ateliers de décolletage Dejenef dont il reste
des vestiges. Les rails du vicinal ne sont plus là et à la place du passage
privé de la voie, c'est à présent l'Avenue d'Alès établie après expropriation
des riverains.
Revenons Place Jean Jaurès et suivons la ligne de tram dans la rue
Large-voie. A peu près en face de la Poste, une grande maison flanquée d'une
large barrière en tôle. Au fond de la cour, un assez spacieux atelier surmonté
d'une cheminée, ce sont les Etablissements S.A.F.O. ce qui signifie Société Anonyme
pour la Fabrication d'Outillage.
L'atelier comportait toutes sortes de machines-outils, et des étaux où s'activaient
d'excellents outilleurs de précision. Une machine à vapeur actionnait le tout.
En plus, une salle de trempe avec ses fours. J'y ai passé un court stage pour
compléter les cours de l'Ecole Technique.
Plus loin, c'est la rue
des Gris (à présent R. Heintz). Là-bas un atelier avec machine à vapeur mise en
mouvement par mon grand-père maternel, Hubert Raeven. C'était la Maison Léonard
mais j'ignore ce qu'on y fabriquait.
Plus près de la Place
Licour, en retrait de rue, un grand hangar abritait tout ce qu'on peut imaginer
en métaux destinés à l'industrie herstalienne. C'est chez Mottard.
Presqu'à côté, la
Boulonnerie Vercheval estampait et parachevait des boulons à longueur de jour.
Traversons
le Canal et tout de suite après le pont prenons à gauche le chemin du Jonkay où se trouve une fonderie très réputée, c'était chez Delrez.
Mais revenons au
carrefour du Pont de Wandre très animé car là-bas débouchent pas moins de sept
voies de communications : la rue du Grand-Puits, rue du Prince, Avenue du Pont,
rue Chéra (en deux endroits) rue Clawenne et rue du Crucifix que nous allons
parcourir.
D'abord à droite, le long
mur du Charbonnage de Bonne-Espérance et son imposante barrière par laquelle
nous regardons les bâtiments administratifs, les belles-fleurs, le lavoir,
l'atelier de réparations, les transporteurs etc... ainsi que la vaste
"paire" avec ses voies ferrées en plus des tombereaux qui attendent
leur chargement.
La locomotive à vapeur
conduite par mon vieil ami Henri Scoofs manœuvre les wagons qui, une fois
chargés, seront amenés à la gare de Herstal.
Mais ce n'est pas tout.
Sur le canal tout à côté, les péniches sont déchargées de leur bois de mine
afin de charger une cargaison de houille.
De nos jours, plus rien
ne subsiste à part une partie du mur d'enceinte. Tout à disparu, même le terril
! Cet endroit n'est plus qu'un grand chantier en vue du pont en cours de
construction et d'une autoroute ce qui modifiera le quartier dans l'avenir.
En ce qui a trait aux
loisirs, à l'autre côté de la rue, il y a les habituels cafés et également une
salle de cinéma qui a fait les beaux jours des habitants des environs pendant
plusieurs générations. C'était chez Skreutz dont la seule évocation du nom fait
briller les yeux de ceux et celles qui l'ont fréquenté jadis... Quelques commerces,
parfois importants, mettent une bonne animation dans toute la rue qui, d'autre
part, est parcourue par énormément de véhicules publics et privés car c'est la
route nationale 17 Givet-Maaseik. L'usine ACEC est toujours là. Et l'Association
Sportive Herstalienne fait depuis bien des années le bonheur de ses supporters
dans son stade du Pré Wigiy!
Un peu plus loin, à
droite, la rue des Naiveux donne accès au Charbonnage d'Abhooz et son fameux
téléphérique. A noter qu'au cours de cette promenade du souvenir, je m'en suis
tenu autant que possible aux établissements qui ne sont plus que des
souvenirs...
Je
pense avoir fait de mon mieux pour n'oublier aucune des entreprises qui ont fait le gagnepain de toute une population ouvrière et
des cadres responsables.
Alors, mes enfants, qu'en dites-vous ?
C'est Marcel qui prend la parole.
"J'avoue que je n'en reviens pas, car quand on passe dans les rues de
la commune, qui pourrait se douter qu'il y régnait dans le temps un aussi grand
remue-ménage. Ce que tu viens de nous faire visiter par la pensée est tout
simplement formidable."
"C'est vrai, mais ailleurs également, le progrès a marché à pas de
géant."
"Je ne dis pas, mais que sont devenus tous ces gens qui gagnaient leur
vie dans ces établissements disparus ?
A écouter la Radio et la Télévision, on est plutôt découragé d'apprendre un
métier: on ne parle que de chômage, restructuration, fermetures, faillites etc,
c'est pénible..."
-"Marcel, écoute mon expérience d'octogénaire et remontons l'Histoire
sociale."
Moi aussi, j'ai chômé durant quatre ans, je vous l'ai déjà dit, mais
dites-vous bien ceci, jeunes amis, à savoir que chaque fois qu'une invention a
bouleversé les habitudes, il s'en est toujours suivi une période d'adaptation.
Par exemple quand Gutenberg a inventé l'imprimerie, ce fut un drame pour les
écrivains publics qui écrivaient pour les gens très nombreux qui ne savaient ni
lire ni écrire. Quand le train a remplacé les diligences et chars-à-bancs,
nouveau mécontentement. A la mise sur pied de la Poste, les nombreux porteurs
de messages furent eux aussi touchés et ainsi de suite, c'est l'évolution
irréversible...
Mais il n'est pas douteux que les politiciens finiront par adopter des
horaires plus susceptibles de résorber le chômage petit à petit. Patience !
Les heures libres, plus nombreuses, seront plus aptes à contribuer au
bonheur de tous, mais oui, ça viendra ! Les travaux trop lourds iront aux robots.
En cette fin de siècle, nous sommes en pleine évolution technologique et sociale.
Courage, l'avenir vous sourira plutôt que vous ne pensez.
Voyez l'exemple des Hauts-Sarts, et cet exemple est loin d'être le seul.
L'aurore d'un temps meilleur approche ! Courage !!!
XXXIII. L'AGRICULTURE
Nos
arrière-petits-enfants sont devenus de grands adolescents que nous avons vus
grandir.
A présent, ils
s'appliquent à suivre leurs études avec de la volonté ! Cependant, ils
continuent à s'intéresser aux choses du passé. C'est ainsi que Mylène, maintenant
une belle jeune fille, me dit un jour :
"Dis, Pèpère, je
t'ai écouté en même temps que Marcel. Tu as fait la description des industries
disparues, rue par rue, à travers notre commune mais ne trouves-tu pas qu'il serait
bon d'un peu penser à l'agriculture ? Tu ne parles que d'usines, ateliers, fonderies,
etc... mais pour tout ce monde, ça veut dire qu'il faut produire beaucoup
d'aliments. Alors, en plus des industries, il y a aussi des agriculteurs."
"Hé bien bravo chère
Mylène, félicitations. Il serait en effet impardonnable de ne pas rendre un
hommage mérité à ces courageux fermiers et maraîchers qui tout au long de
l'année assurent notre pain quotidien !"
Je vous ai déjà fait
mention des fermes de l'île Monsin. Revenons sur le territoire communal et
voyons un peu la partie consacrée à autre chose que l'industrie. En réalité,
les surfaces cultivées représentent plusieurs centaines sinon de milliers d'hectares
si l'on tient compte des jardins particuliers.
"Pèpère, je
t'arrête, qu'est-ce que veut dire Patâr ?"
-"C'est le nom d'une
monnaie typiquement préalliene car c'est dans l'atelier du Monastère près de la
rue Rogivaux qu'on la fabriquait. Ce bâtiment est actuellement au centre de
terrains consacrés à l'horticulture. Je continue à énumérer les fermes."
A l'orée du Bois de
Bernalemont, près du château, existe encore une ferme en pleine activité. Côté
Pontisse, il existait aussi une ferme dominant une vaste plaine agricole ainsi
que des prés arborés dans lesquels le bétail partage l'herbage avec la
basse-cour. La Maison de Repos qui jouxte la Cité Wauters est cette ancienne
ferme entourée d'imposantes terres, cela jusque Vivegnis. D'autres fermes
encore en différents endroits. Ajoutez-y les nombreux maraîchers et petits
éleveurs de lapins un peu partout.
Il serait impardonnable
de ne pas parler des gens qui cultivent leur jardin particulier soigneusement,
pendant les moments de loisir !
Afin de les approvisionner
en outillage, semences, fumiers, les grainetiers et pépiniéristes disposent de
stocks au service des clients.
Près de chez nous, nous
faisions nos achats chez Karl Darimont ou chez Deffet l'un et l'autre à Vottem,
qui nous ont toujours très bien servis.
Comme vous voyez, mes
enfants, la gastronomie locale n'a rien à envier, le commerce est florissant et
la renommée des boulangers, bouchers et restaurateurs est hautement méritée et
digne de tous les éloges !
J'aime parcourir la
campagne en plein essor. Que c'est magnifique les blés qui ondulent sous le
vent. Et, à l'arrière-saison, les longues échelles appuyées contre les arbres
tandis que dans l'herbe, les mannes attendent les fruits que viennent y verser
les hommes et les femmes chargés de la cueillette.
Depuis le début de nos
entretiens, vous avez remarqué je n'en doute pas, combien j'aime la nature. A
votre tour, aimez-la, respectez-la. N'oubliez surtout jamais que c'est grâce à
elle que la vie est possible ! En outre, elle est une source de joies saines.
Les plantes, les oiseaux, les animaux, les fleurs, quoi de plus beau ?
Ferme Cajot |
-"Oh Pèpère,
qu'est-ce que c'est ?"
"Ma foi, il s'agit
tout simplement de séparer le grain de froment ou de seigle, etc... de la
paille."
Certes, j'ai déjà regardé
battre à la main à l'aide de fléaux, les gerbes étendues sur le sol mais c'est
plutôt celui à la machine qui m'amusait le mieux. Je vous raconterai ça car il
s'agissait, à mes yeux, d'une vraie fête !
XXXIV. UN TRES BEAU JOUR
Une scène que je n'aurais
jamais voulu rater, c'est le battage du blé à la Ferme Cajot, merveilleux.
Juste en face de
l'entrée, vous connaissez la cour en contrebas de la place Jacques Brel (jadis
Oscar Beck).
Eh bien, sous le
portique, à cette occasion, trône un gros véhicule, genre roulotte dont l'un
des flancs comporte une roue en bois, couverte d'une courroie qui va jusqu'au
volant de la locomobile semblable à celles qui amènent les carrousels à la fête
de la Préalle. Une foule de gens, hommes et femmes desservent la machine à
battre tandis qu'on décharge la moisson au fur et à mesure qu'arrivent les
gerbières lourdement chargées de la récolte et tirées par de forts chevaux.
On engouffre les gerbes
par l'ouverture béante de la machine qui les avale pour les rendre à l'autre
bout sous forme de paille dégarnie des précieux grains. Ceux-ci tombent dans
des sacs que de puissants biceps évacuent dès qu'ils sont pleins, cela sans
arrêt. Tout va vite ! Il faut profiter tant que le soleil brille. Tout le monde
est joyeux dans la bonne odeur du blé chaud.
Les quolibets vont bon
train, c'est l'été. Les chariots se succèdent et sont vite déchargés.
Dans la cour de la ferme,
c'est le branle-bas afin de retirer la paille de la machine, qui n'attend pas,
et en faire de grands tas qui seront engrangés pour l'hiver. La volaille ne
sait où se fourrer, et pourtant quelques poules risquent leur vie en vue de
grappiller les grains qui tombent à côté des sacs.
Dans la vaste cuisine, la
fermière et ses aides sont en pleine activité à préparer le repas qui clôturera
la journée de tous les participants au battage.
Dans la prairie près de
là, les vaches meuglent comme pour annoncer l'heure de la traite... on les
oublie un peu !
Pendant tout ce temps, la
locomobile tourne sans relâche et son « tchouf-tchouf » tient les
oiseaux à distance. La vapeur est absorbée tout de suite car l'air est sec et
chaud, c'est l'été. Le mécanicien soigne sa machine comme fait un bon père à
son enfant. Belle conscience professionnelle !
Les chariots arrivent
sans cesse bourrés de gerbes et cela sent si bon la campagne et des coquelicots
et aussi des bluets pointent ça et là leurs fleurs rouges et bleues. Une heure
auparavant, ces gerbes se chauffaient en plein soleil estival sous forme de
meules que les oiseaux maraudaient allègrement.
Tard dans la soirée, une
fois passée la dernière gerbe, la locomobile lance un long coup de sifflet qui
fait aboyer furieusement tous les chiens des environs !
Et voilà la journée
terminée, on est fourbu et content. Le temps de s'essuyer la sueur qui perle au
front, chaque participant cherche de quoi s'asseoir afin de déguster à son aise
le verre du patron. Ensuite, c'est la ruée vers le festin pendant lequel chacun
ira de sa petite histoire rigolote tout en avalant les mets amoureusement
préparés. Et la soirée se termine par une farandole joyeuse et toute simple et
la nuit vient tout doucement dans l'allégresse générale.
Ah, ces événements
heureux, villageois, que nous avons connus étant gamins et gamines, c'est
peut-être un peu naïf. Pour nous, les vieux, c'était une fête, mais si belle...
A l'automne, les charrues
iront retourner les chaumes qui recouvrent encore les éteules ainsi que du
fumier en prévision de l'année suivante.
XXXV. CONCLUSIONS
Ce huit mai 1987, c'est
un jour de congé dans les écoles. En effet, cela fait 42 ans que l'Allemagne de
Hitler a capitulé à 2 heures 41 du matin.
Il s'agit donc d'un
Anniversaire à célébrer dignement.
Deux de nos
arrières-petits-enfants nous ont rendu visite. Ce sont maintenant de gracieuses
petites jeunes filles bien éveillées, pleines d'entrain.
Mylène m'interpelle.
"Dis Pèpère et toi
Mèmère, Mamy m'a déjà raconté que durant la guerre elle a voyagé avec vous en
tandem."
Chantal à son tour dit :
-"Oui, ma Marraine
aussi m'a dit la même chose, alors Pèpère, qu'en est-il au juste ?"
-"Ma foi c'est vrai
pour toutes les deux et aussi pour Mèmère.
Toutes trois
m'accompagnaient à tour de rôle. Vous voulez des détails ?"
Ensemble : "Oui
Pèpère, raconte."
Hé bien voilà; début
1939, Henri Abry marchand de cycle à côté de chez nous, nous a fait un tandem
de toute beauté, avec des moyeux à freins à tambour, et à trois vitesses, pneus
ballon, selles confortable, lampes électriques, porte-bagages, un vrai bijou !
Nous l'avions à peine
étrenné que la Belgique fut envahie par les hordes teutonnes dont je vous ai
déjà parlé. Dès le 10 mai, les prix n'ont cessé de grimper, or mon salaire d'ajusteur
à l'atelier du charbonnage était de 45 francs par journée de huit heures, mais
j'effectuais beaucoup d'heures supplémentaires. De plus, tout fut bientôt
rationné, juste assez pour ne pas mourir de faim.
Il fallait absolument
s'approvisionner chez les fraudeurs ou dans les fermes à prix d'or...
Rue Faurieux, octobre 1925 |
-"Comment et
pourquoi Pèpère ?"
-"Afin de paraître
de simples touristes aux regards des Allemands et des rexistes qui espionnaient
les routes à l'affut d'une bonne prise car n'oublions pas que le marché noir
était punissable. Et puisque je prestais souvent des heures supplémentaires, il
me restait à les reprendre en fin de mois, ce dont nous profitions à tour de
rôle.
Lorsque nous fûmes bien
équipés, nous nous sommes mis à sillonner, à ratisser toute la région comprise
entre Houffalise et Bastogne en visitant les fermes une à une afin d'échanger
notre tabac contre du froment, du seigle, des pommes de terre, des œufs, du
beurre, parfois du pain, du lard... Toutes ces randonnées nous ont permis de
découvrir des coins de Wallonie d'une rare beauté souvent très loin des grandes
routes. Des rivières tortueuses, ruisseaux fougueux, sous-bois féeriques, forêts
somptueuses. Qu'elle est belle notre Ardenne !
Rendons également hommage
à la serviabilité des habitants de cette région qui, rappelons-le, ont caché
des milliers de patriotes traqués par l'ennemi !
Tout comme Mèmère, vos grand’mères
ont participé à cette vie agitée, à cause de la guerre. En plus de ces visites
aux fermiers, le moment venu, on a glané sur des éteules là où le blé venait
d'être fauché et ensuite retourné les terres qui venaient de subir l'arrachage
des pommes de terre. Chaque fois, après avoir obtenu l'autorisation du fermier,
bien entendu !
"Mais du côté des
Allemands sur le chemin du retour, jamais d'ennui ?"
"
Si, plusieurs fois, mais
chaque fois, j'ai pu nous tirer d'affaire en leur racontant, dans un allemand
approximatif, des histoires idiotes et ils ne nous ont jamais rien pris malgré
le tandem lourdement chargé. Nous avons parcouru de la sorte 8259 kilomètres...
-"Et les prix, vous
en souvenez-vous ?"
-"Pas tous, car nous
faisions surtout du troc. Mais il a parfois fallu payer en argent, faute de
tabac à échanger. Le tabac, lui, je l'achetais à 35 francs les cinquante
grammes et je ne le lâchais que contre cinq kilos de froment ou de seigle, soit
à sept francs le kilo. Par contre, chez les fraudeurs locaux, ça coûtait environ
quarante francs. Il ne restait plus qu'à moudre... Les pommes de terre, par ici
se payaient dans les vingt francs le kilo. En Ardenne, la moitié ! Le reste à
l'avenant.
Revenons au huit mai
1945, certes, ce fut un jour faste, suivi de nombreux autres à l'occasion de la
paix enfin retrouvée. Mais le clou final, ce fut la procession nautique sur la
Meuse, le 18 mai 1946.
Quantité de péniches somptueusement garnies, chargées de
personnages revêtus de costumes historiques de toute beauté, chacune d'elles
tirée par un remorqueur à vapeur. C'était splendide et inoubliable ! Cette fête
a débuté par une messe célébrée par les plus hautes autorités ecclésiastiques
et une foule de prêtres et diacres.
Procession nautique sur la Meuse 1946. |
Partout le long du
fleuve, une foule immense, malgré le temps maussade, savourait le spectacle. Le
moment le plus pathétique a été l'Elévation car, à cet instant solennel, les
sirènes de tous les remorqueurs ont rugi en même temps, j'en ai encore la chair
de poule !
Après la Bénédiction, la
procession démarre au son des musiques de circonstance. Certes, ces fastes
avaient pour but de fêter dans la joie le retour de la paix mais, avant tout,
c'était afin de rendre un respectueux hommage à sainte Julienne de Cornillon,
créatrice de la Fête-Dieu.
En conclusion de ce
livre, mes enfants, cessons de nous pencher sur le passé, ne l'oublions pas,
respectons-le, mais pensez principalement à l'avenir. Celui-ci vous
appartiendra si vous faites preuve de volonté. Comme je vous l'ai déjà dit,
Herstal et son hameau la Préalle, forment ensemble une seule et même ruche bien
vivante.
A vous de vous montrer de
bonnes abeilles !!!
En recherchant des images sur l'exposition de Liege en 1939, j'ai trouvé sur Galica.bnf.fr un livre intitulé:"Exposition Universelle de Liege 1905. Les Colonies françaises."
En visitant le site de la ville de Liege j'y ai trouvé des copies couleurs de quelques très belles affiches.
Ces affiches décrivent assez bien l'état d'esprit de la société au debut du 20° siècle.
Cette exposition précède de deux ans la naissance d'Alphonse FREDERIX.
Très beau site. Que de souvenirs. J'y ai retrouvé l'image du récepteur à galène que mon papa avait réalisé d'après la revue "Système D". Merci.
RépondreSupprimerJe suis slovaque Ma mère est née à Herstal. Ils vivaient à La-Prealle. Elle s'est rendue à l'église de l'Immaculée Conception. Grand-père est mort à Liège. Vous recherchez des informations où il est enterré. J'ai un certificat de décès. Merci pour votre aide. ivo0305@gmail.com
RépondreSupprimerLa photo annotée place oscar beck n'est pas juste, c'est bel et bien la place caesar de paepe ;)
RépondreSupprimerbonjour
RépondreSupprimerSerait-il possible de disposer d'une bonne copie (scan haute définition) de la photographie intitulée "pont sur la Naye", montrant le pont Willem dans toute sa longueur? j'étudie les ponts métalliques historiques belges et cette photo montre quelque chose d'assez surprenant, mais à vérifier en haute définition.
marc.braham@yahoo.com
merci d'avance